La pharmacie est désunie

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Publié le 3 octobre 2015
Par Annabelle Alix
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Un an après la mobilisation historique du 30 septembre 2014, le monopole pharmaceutique est presque intact, le capital toujours aux mains des pharmaciens et le maillage officinal encore indemne… mais l’économie du secteur demeure menacée et ses collaborateurs se désolidarisent.

Si l’union fait la force, l’officine n’a jamais dû se sentir aussi faible. Il y a tout juste un an, le 30 septembre 2014, pharmaciens et préparateurs manifestaient main dans la main dans la rue pour s’insurger contre les intentions de la future loi Macron : vente des médicaments conseils en grande surface, liberté d’installation des pharmaciens, ouverture du capital aux investisseurs.

Un an plus tard, l’officine a évité le pire, mais l’avenir ne lui sourit pas. La chute drastique du prix des médicaments et les déremboursements massifs sans compensations financières pèsent de tout leur poids sur les croix vertes. Réactifs, les collectifs Pigeons pharmaciens, Pharma cool et leur page relais, « Ma pharmacie ne fermera pas », sur Facebook, ont relancé l’idée d’une mobilisation « du 30 septembre » (voir encadré). Mais si les titulaires constatent à l’unisson l’état d’urgence, les syndicats sont divisés sur les revendications de fond et les actions à mener. L’unité entre les pharmaciens peine à voir le jour et les préparateurs ne sont plus à leurs côtés.

Un budget Sécu qui se réduit

Ce qui rassemble encore les titulaires ? La dénonciation d’un coupable clairement identifié, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016, prochainement voté. Ce PLFSS, qui fixe le budget de l’Assurance maladie pour l’année à venir, est dans le viseur des titulaires. En 2016, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) n’augmentera que de 1,75 % par rapport à 2015. En clair, « le budget des dépenses en médicaments de l’Assurance maladie restera sensiblement le même, mais comme sa part augmentera sur le médicament hospitalier, elle diminuera sur les remboursements de produits vendus en officine », précise Philippe Besset, vice-président et responsable de la communication et du pôle économie-protection sociale à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF, syndicat de titulaires majoritaires). Les conséquences sont bien connues : déremboursements, baisses des prix des médicaments remboursés… Le PFLSS s’annonce gravement nuisible à la santé de l’officine en ce qu’il réduira encore les marges et probablement les ventes, sans nouvelles compensations financières.

Des honoraires, oui, mais lesquels ?

L’idée d’une rémunération déconnectée des ventes revient donc en force. Et c’est là que le bât blesse, car chacun y va de sa conviction et de sa proposition. L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO, autre syndicat de titulaires) souhaite la suppression de l’honoraire à la boîte – trop dépendant des ventes –, instauré l’an dernier par un accord signé entre la FSPF et l’Assurance-maladie. Il désire le remplacer par un honoraire à l’ordonnance qui récompenserait l’analyse, le conseil et l’acte de délivrance. Celui-ci figure déjà dans les engagements conventionnels, rétorque dans un communiqué la FSPF, qui exige de ce fait « l’accélération de la réforme de la rémunération pour évoluer au plus vite vers un honoraire de dispensation à l’ordonnance »… Sans renoncer à l’honoraire à la boîte, « qui rémunère notamment le conseil en l’absence d’ordonnance », rappelle Philippe Besset.

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Une journée, mille actions…

Dans ce brouhaha ambiant, il a été difficile de s’entendre. Des représentants des trois syndicats, de l’Ordre, de groupements et d’étudiants se sont donc réunis le 8 septembre dans les locaux de l’USPO afin de tenter de trouver des points de convergence. En vain… De son côté, l’USPO recommande aux pharmaciens d’écrire au directeur général de l’Assurance maladie pour lui demander de rouvrir les négociations sur l’honoraire. Le syndicat a également lancé une pétition contre les déremboursements, remise au ministère le 30 septembre. La FSPF soutient, elle, toutes les actions destinées à défendre l’économie de l’officine, dans la mesure où elles sont respectueuses des patients – ce qui exclut les fermetures et les grève de tiers-payant. Quant à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), elle va de l’avant en publiant un livre blanc dans lequel figurent vingt propositions concrètes « pour faire avancer la profession ».

Des préparateurs aux abonnés absents

De leur côté, les syndicats des salariés n’ont pas été contactés. L’an dernier, « les titulaires avaient apprécié la participation plus ou moins spontanée de leurs salariés aux manifestations, rappelle Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche officine à Force ouvrière. Mais deux jours plus tard, la négociation salariale sur la réévaluation du point échouait lamentablement ». Chez les préparateurs, la stagnation des salaires au surlendemain de la mobilisation avait sonné le glas d’une solidarité jugée à sens unique. « Nous laissons parfaitement la liberté aux salariés d’agir comme bon leur semble et nous leur rappelons que toute fermeture de l’officine à l’initiative de l’employeur ne peut entraîner ni récupération, ni baisse de salaire », se borne donc à préciser Olivier Clarhaut. Sur Facebook, des relents d’amertume inondent encore les pages des groupes de préparateurs… Certains se disent définitivement désengagés de l’officine.

Repères

→ Septembre 2015 : appel à la mobilisation lancé par les collectifs Pigeons pharmaciens et Pharma cool, notamment au travers de la page « Ma pharmacie ne fermera pas ».

→ 8 septembre 2015 : réunion des représentants de syndicats de titulaires, de l’Ordre, de groupements et d’étudiants dans les locaux du syndicat USPO pour réfléchir à des actions communes. La réunion se conclut par un échec.

→ 30 septembre 2015 : actions de mobilisation de la profession.

→ Octobre 2015 : examen à l’Assemblée nationale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016.

Une mobilisation « réseaux sociaux »-dépendante

Les collectifs Pigeons pharmaciens et Pharma cool, deux groupes Facebook, se sont démenés pour mettre sur pied un nouveau « 30?septembre » pour dénoncer une politique gouvernementale du médicament délétère pour l’économie de l’officine. Leurs revendications, les actions prévues et les nombreuses affiches de communication soignées (voir ci-dessus) ont été relayées sur les pages « Ma pharmacie ne fermera pas » et « Pigeons pharmaciens », qui comptent des milliers de « like ». De leur côté, les groupes Facebook de préparateurs, « Tu sais que tu es préparatrice en pharmacie quand… », « Blabla du préparatoire », etc., sont restés muets. Certains ont ensuite opposé de vives réactions à nos interrogations. Excédés, ils se refusent, cette année, à toute action de solidarité envers leurs employeurs.

« Désormais, je fais le minimum syndical, comme on dit, je ne prends plus d’initiatives car je n’ai jamais un merci ou un peu de reconnaissance », s’exclame une préparatrice sur la page Facebook de Porphyre. L’an dernier, Facebook avait joué un rôle clé dans l’organisation des manifestations du 30 septembre. Il avait permis aux officinaux d’une même ville d’entrer en contact et de définir les modalités de leurs rassemblements.

Le groupe Pigeons pharmaciens était l’initiateur de ce mouvement, suivi de près par les préparateurs, qui avaient partagé leurs opinions, leurs intentions de manifester, puis leurs photos de défilés sur leurs propres groupes. Rien de tel cette année…