Votre mission, si vous l’acceptez…

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Votre mission, si vous l’acceptez…

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Publié le 23 août 2025
Par Sana Guessous
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Les officinaux s’impliquent de plus en plus activement dans les missions. Cet investissement reste cependant inégal : si l’engouement pour la vaccination, les Trod angine et cystite et la remise du kit de dépistage du cancer colorectal est très marqué, le déploiement des entretiens pharmaceutiques concerne moins de 20 % des officines.

Environ 400 000 vaccinations ont été réalisées en officine en mars 2025. « Un résultat sans précédent », se réjouit Julien Chauvin, président de la commission études et stratégie économiques à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Et d’ajouter qu’environ «un quart de ces vaccinations ont été effectuées sans prescription médicale ». Les chiffres de l’observatoire de l’économie officinale pour l’année 2024 sont tout aussi satisfaisants : 99 % des officines ont vacciné contre la grippe, une progression de 8 % par rapport à 2023, avec à la clé une rémunération record de 48 millions d’euros. « Les rappels vaccinaux ont augmenté de 182 %, pour un résultat de 24 millions d’euros, soit 15,5millions de plus qu’en 2023. C’est considérable», poursuit Julien Chauvin. Pour le pharmacien, la vaccination est «l’exemple même de la mission rentable, peu chronophage et facile à intégrer dans le flux d’activité des officines».

Les officinaux se sont aussi fortement emparés de la remise du kit de dépistage du cancer colorectal : en hausse de 1 627 %, cette mission a généré pas moins de 8,6 millions d’euros de rémunération, contre 500 000 € en 2023. Le bilan de l’observatoire de l’économie officinale révèle également une appétence marquée pour les tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) de l’angine et de la cystite : «81 % des officines ont effectué des Trod angine (5,3 millions d’euros), contre 60 % en 2023. Les Trod de la cystite ont été réalisés dans 68 % des officines, contre 0 % l’année précédente. Cela s’est directement traduit par 2,6millions d’euros de rémunération », explique Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

Pour les accompagnements pharmaceutiques, la dynamique est beaucoup moins forte. Même si le bilan partagé de médication (BPM) progresse de 157 % pour un résultat non négligeable de 2,6 millions d’euros, il n’a été effectué que dans 19 % des officines. « C’est toutefois mieux que les 6 % de l’année précédente », relativise Pierre-Olivier Variot. Les entretiens pour l’accompagnement des patients sous anticoagulants oraux d’action directe (AOD), sous antivitamines K (AVK) et asthmatiques sont également en augmentation : conduits dans 19 % des pharmacies, contre 4 % en 2023, ils représentent une rémunération de 1,6 million d’euros, le double du résultat précédent.

L’essor rapide des Trod

Autorisée depuis le 18 juin 2024, la réalisation en officine de tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) pour l’angine et la cystite s’est très vite développée, rapportant au réseau officinal une rémunération de 8 millions d’euros en 2024. Plus de 15 000 pharmacies se sont impliquées dans cette mission, une performance saluée par Sophie Kelley, responsable du département des produits de santé à la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Pour le ministre  de la Santé et de l’Accès aux soins, Yannick Neuder, ces résultats peuvent encore s’améliorer : « Il est urgent de mieux communiquer sur ces Trod auprès de la population », a-t-il assuré en février lors des rencontres de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Les Trod angine et cystite sont les missions qui progressent le plus vite au sein de notre groupement. 90 % du réseau Aprium a réalisé au moins un Trod par mois », affirme Laurent Kaiser, directeur de la stratégie chez Aprium. Rapides à effectuer, ces tests ne nécessitent pas de réaménagement de locaux : un espace de confidentialité suffit. Ils sont aussi gratifiants pour les pharmaciens, qui participent ainsi à la juste prescription des antibiotiques.

De nombreuses officines débordées

Pour fidéliser leur patientèle, les officines ont tout intérêt à se positionner comme des hubs de santé de proximité en développant notamment des missions d’accompagnement pharmaceutique. Toutefois, la mise en place de ces entretiens reste ardue pour une grande partie du réseau. Plus de 60 % d’officinaux interrogés par l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) citent le manque de temps, une rémunération insuffisante et des effectifs réduits comme principaux freins au développement des missions chronophages comme le BPM ou les accompagnements des patients chroniques. Cette enquête, réalisée en 2022, reste d’actualité. « L’enjeu, c’est de trouver le moyen de répartir cette charge de travail pour que les entretiens fassent partie du quotidien », explique David Syr, directeur général de Gers Data. Pour les petites officines dotées de peu de salariés, cela ne va pas de soi. « De nombreuses pharmacies, débordées par leurs activités au comptoir, ne pourront pas suivre le rythme des officines de grande taille qui, elles, disposent des ressources financières et humaines pour déployer les entretiens. Le risque d’une filière à deux vitesses se dessine », regrette Julien Chauvin.

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La rémunération, jugée peu incitative, est un motif majeur du désengagement de nombreux officinaux. Si le bilan de prévention, valorisé 30 € pour une seule visite, est considéré comme correctement rétribué, ce n’est pas le cas des entretiens pharmaceutiques, facturés seulement 60 € pour trois visites. « Il y a deux solutions : soit on allège et on raccourcit les protocoles pour que cela cadre avec la rémunération actuelle, soit on augmente la rémunération si on garde les protocoles tels quels », suggère Pierre-Olivier Variot. Pas sûr cependant que l’Assurance maladie accepte cette seconde proposition, « vu le montant astronomique d’économies requis pour combler le déficit de la Sécurité sociale », doute Julien Chauvin. Une meilleure rémunération serait pourtant « la principale motivation à investir et s’impliquer davantage » pour 77 % de pharmaciens cités dans une enquête de l’UNPF et de Gers Data, publiée en 2024. 

Régulièrement évoquée, la complexité des entretiens rebute nombre de pharmaciens. « Le BPM est, par exemple, trop universitaire et rigide. Les supports, très lourds, compliquent sa prise en main », explique Guillaume Racle, élu au bureau national de l’USPO. « Nous avons besoin de protocoles clairs et faciles à établir. Nous sommes parfaitement capables de relever ce défi mais, de grâce, simplifiez-nous la tâche », exhorte Laurent Kaiser, directeur de la stratégie chez Aprium, groupement de 450 officines.

Mieux s’organiser et se fédérer

Avec le déploiement annoncé de sept nouvelles missions de santé publique, une rigoureuse organisation sera nécessaire. « C’est la clé. Une bonne gestion des compétences et du temps des équipes passe par la mise en place d’une procédure adéquate et d’entretiens bien cadrés, n’excédant pas une certaine durée. Grâce à un bon management, les missions peuvent être rentables », assure Christophe Le Gall, président de l’UNPF.

Le pharmacien recommande également de « déléguer des tâches logistiques et administratives pour libérer du temps pour les missions ». Rejoindre un groupement d’officines permet aussi de bénéficier d’un arsenal d’outils pour fluidifier la réalisation des missions : solutions numériques de prise de rendez-vous, brochures explicatives à destination des patients, diverses formations pour les équipes officinales, etc.

De futures missions peu chronophages

Inspirées de l’expérimentation Orientation dans le système de soins (Osys), menée en Bretagne, dans le Centre-Val de Loire, en Occitanie et en Corse, les futures missions du pharmacien – prise en charge des plaies simples, piqûres de tiques, brûlures superficielles, conjonctivites, rhinite allergique, sinusite aiguë, otite – devraient être plus faciles à intégrer dans le planning officinal que les entretiens. Ces consultations ne nécessitent pas plus d’un quart d’heure et se fondent sur des arbres décisionnels élaborés par des médecins. Pour chacune d’entre elles, les officinaux testeurs perçoivent un forfait « premier recours » de 12,50 €. « Les négociations avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) n’ont pas encore débuté, mais nous n’accepterons pas moins que le tarif pratiqué dans les régions expérimentatrices », prévient Pierre-Olivier Variot. Pour Laurent Keiser, cette rémunération peut suffire « à condition de déboucher sur une dispensation. Sinon, ce serait trop juste ».

Entretiens : le paiement à l’acte est-il pertinent ?

La signature de l’avenant économique à la convention nationale pharmaceutique a introduit le paiement à l’acte pour les entretiens pharmaceutiques. « C’est une amélioration notable qui pourrait favoriser l’adoption de ces missions », juge Christophe Le Gall, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). « Avant, le paiement s’effectuait à la fin du cycle des entretiens. C’était très frustrant et pénalisant, car on perdait des patients en milieu de parcours pour des raisons diverses : déménagement, changement de pharmacie, décès… », explique Julien Chauvin, président de la commission études et stratégie économiques à la FSPF. Résultat : en cas d’interruption du cycle, les officinaux ne touchaient rien. Désormais, le paiement à l’acte permet de facturer à chaque entretien une partie du montant total de l’enveloppe.