L’opacité et les risques des téléexpertises dermatologiques en officine dénoncés

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L’opacité et les risques des téléexpertises dermatologiques en officine dénoncés

Publié le 12 septembre 2025
Par Christelle Pangrazzi et Diane Mottez
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En juillet 2025, France Assos Santé et la Société française de dermatologie alertaient sur les dérives des services de téléexpertise dermatologique proposés en pharmacie. Si ces dispositifs promettent un accès simplifié au diagnostic des lésions cutanées, elles mettaient en garde contre les risques liés à l’absence de certification, de supervision médicale et d’information des patients. L’Ordre des pharmaciens se saisit du sujet.

La pénurie de dermatologues et la promesse d’une détection précoce des cancers cutanés ont ouvert la voie au déploiement, en officine, de dermatoscopes connectés, souvent associés à des algorithmes d’intelligence artificielle. Présentés comme des solutions d’avenir, ces dispositifs permettent de scanner une lésion suspecte, d’obtenir une analyse automatisée, et parfois un avis médical à distance. Mais France Assos Santé dénonçait, en juillet dernier, un déploiement sans garde-fous, où les promesses marketing prennent souvent le pas sur la sécurité des patients.

Des dispositifs peu ou pas certifiés

Plusieurs appareils proposés en pharmacie ne disposent pas d’une certification médicale solide, comme le soulignait également la Société française de dermatologie (SFD) dans un communiqué. Leur fiabilité diagnostique, notamment pour les mélanomes, reste incertaine.

Des cas de patients faussement rassurés et diagnostiqués trop tardifs ont déjà été signalés. Un risque majeur lorsque l’on sait que le pronostic d’un mélanome repose sur une détection précoce.

La supervision médicale… à géométrie variable

Autre motif d’inquiétude : la supervision des résultats par des professionnels de santé. Certaines offres, vendues comme des téléexpertises médicales, reposent en réalité sur un tri opéré par l’intelligence artificielle. Seuls les clichés jugés suspects par l’algorithme seraient transmis à un dermatologue. Pour France Assos Santé, cette pratique est incompatible avec l’exigence d’une supervision humaine systématique, indispensable dans le cadre d’un acte médical.

Quatre exigences pour des pratiques responsables

France Assos Santé rappelle les piliers incontournables pour sécuriser ces pratiques :

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– une information claire et loyale des patients ;

– des technologies médicales certifiées par des organismes indépendants ;

– une supervision humaine systématique des actes de téléexpertise ;

– une régulation nationale nécessaire.

L’IA, un levier prometteur… sous conditions

France Assos Santé reconnaît le potentiel de l’intelligence artificielle, notamment en prévention, mais insiste sur la nécessité d’une intégration maîtrisée. Philippe Bergerot, président de la Ligue nationale contre le cancer, rappelle : « Sans encadrement ni transparence, ces outils risquent de brouiller le parcours de soins au lieu de l’optimiser. »

L’association appelle aussi à un financement public des dispositifs certifiés, au bénéfice des patients et du système de santé.

L’Ordre se saisit du sujet

Suite à ces alertes, l’Ordre national des pharmaciens indique avoir saisi, le 22 août 2025, les services du ministère chargé de la santé (Direction générale de la santé et Direction générale de l’offre de soins) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) « afin que des investigations et une analyse soient menées, notamment s’agissant de la conformité réglementaire de ce dispositif », indique-t-il dans un communiqué.

L’Ordre attire l’attention des pharmaciens d’officine sur différents points de vigilance :

– les conditions de réalisation du dépistage doivent entrer dans le champ des missions des pharmaciens (téléconsultation, télésanté…) et les modalités de mise en œuvre (consentement du patient, restitution des résultats, traçabilité des actes réalisés…) doivent respecter les référentiels en vigueur ;

– en cas d’utilisation d’un dispositif médical, celui-ci doit être conforme au règlement européen 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux. Tout dispositif, y compris les logiciels, revendiquant une finalité médicale doit disposer d’un marquage CE.

L’Ordre rappelle que la mise en place de campagnes de dépistage non conformes ainsi que l’utilisation d’un DM non certifié engagent directement la responsabilité du pharmacien. Un point que France Assos Santé rappelait également en juillet : « Les pharmaciens sont garants de la qualité des services qu’ils proposent. Ils doivent s’assurer des certifications des dispositifs, notamment lorsqu’ils intègrent de l’IA », insiste Chantal Cateau, présidente de l’association Le Lien, citée dans leur communiqué.

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