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Hirudo medici nalis Des sangsues dans les hôpitaux
Née à Audenge, élevée à Eysines par Ricarimpex, domiciliée dans un aquarium de la pharmacie hospitalière du CHU de la Conception à Marseille, affamée pendant 6 mois, la sangsue médicinale ou Hirudo medicinalis finira gorgée du sang d’un patient à qui elle permettra de revasculariser un greffon. Une vie sang dessus dessous.
650 espèces dans le monde
Un tube, deux ventouses dont l’une abrite une bouche munie de trois mâchoires pleines de dents coupantes, tel est le portrait peu flatteur de Hirudo medicinalis, l’une des 650 espèces d’annélides dans le monde. A l’état naturel, elle vit surtout dans les marais et les étangs, son biotope favori. Dans l’eau, elle se déplace par mouvements ondulatoires à la manière d’une minuscule anguille. Elle peut aussi, sur terre, progresser en utilisant ses ventouses, la tête en haut puis en bas, et ainsi de suite. Réputée strictement hématophage, elle se nourrit du sang des mammifères et, faute de mieux, de larves d’insectes, de grenouilles, de tritons ou de poissons. Une fois fixée par ses ventouses sur sa proie, elle pratique une incision trifide en libérant une salive aux propriétés anticoagulantes, anti-inflammatoires, vasodilatatrices et anesthésiantes. Il y a quelques années, elle est sortie du purgatoire pour faire un retour en force dans les services de chirurgie plastique, réparatrice ou traumatologique des hôpitaux et chez quelques rares médecins de ville et naturopathes où elle est utilisée contre les phlébites, l’arthrose ou les varices.
1-L’élevage en milieu naturel
A l’apogée de leur gloire, au début du XIXe siècle, on dénombrait plus de 60 millions de sangsues médicinales en France. Victimes de la pollution, de l’urbanisation, elles ont quasiment disparu à l’état sauvage mais sont encore élevées chez quatre gros hirudiniculteurs, au pays de Galles, en Allemagne, en Russie et en France, chez Ricarimpex à Eysines, près de Bordeaux. L’élevage s’effectue dans les bassins d’Audenge, en Gironde, et de Pouydesseaux, dans les Landes, où la qualité de l’eau est totalement maîtrisée par Brigitte Latrille, dirigeante de Ricarimpex. Brigitte Latrille a reconstitué à l’identique le milieu naturel : fonds tourbeux, plantes aquatiques servant à l’oxygénation de l’eau, feuilles de nénuphars géantes pour protéger ses chères sangsues du soleil estival, îlots de terre humides.
2-la pêche À ciel ouvert
La pêche se pratiquait autrefois en rentrant jambes nues dans les bassins, en guise d’appât ! Dommage pour cette charmante coutume, mais elle se fait maintenant à l’aide d’épuisettes. Les sangsues sont ensuite triées par taille dans le laboratoire d’Eysines. Les petites sont engraissées avec du sang de canard issu d’un élevage certifié, jusqu’à ce qu’elles soient commercialisables. Les « Belles Moyennes », de 1 g à 1,8 g, sont placées en unité de stockage et, après un jeûne sévère, sont vendues aux hôpitaux français (25 % des ventes) et étrangers ainsi qu’à quelques particuliers et médecins de ville. Une grande partie des « Grosses Moyennes », est placée en reproduction en labo. Avec un petit bémol : l’animal a des caprices, dont celui de préférer se reproduire en liberté.
3-expédition
Confortablement installées dans leurs boîtes de polystyrène, les sangsues arrivent, par transport express, au sous-sol de l’hôpital de la Conception à Marseille. Comme chaque mois. Le CHU les stocke et les distribue à plusieurs autres établissements de la région. Vendues par lot de 50 unités, les sangsues, prudemment entourées de coton cardé et placées dans un sac de coton humide, ont pu supporter sans problème leur périple de quatre jours. La pharmacie du CHU en utilise 600 par an pour une quarantaine de patients.
4-réception et stockage
Les sangsues sont aussitôt prises en charge par le préparatoire et plongées dans un aquarium rempli d’eau de Volvic, naturelle et pure. Elle leur convient mieux que l’eau javellisée du robinet qui les tuerait. A 6 Û la pièce, il vaut mieux prendre un minimum de précautions ! Chaque lot est répertorié et stocké dans un local maintenu à la température constante de 15° C. Parfait pour des petites bêtes que la chaleur affole au point qu’elles peuvent alors se mordre entre elles. Précision qui a son importance : les aquariums sont fermés pour éviter toute tentative de fuite.
5-nettoyage
Jeudi, c’est jour de sortie. En l’absence de l’interne, Jean-Vincent et Clarice, externes de 5e année, prennent la direction des opérations. Ginou, préparatrice hospitalière, ne les quitte pas du regard, prête à rectifier toute erreur de manipulation. L’heure est grave. Il faut suivre à la lettre le protocole de désinfection mis au point par Charleric Bornet, pharmacien hospitalier, avec le comité de lutte contre les maladies nosocomiales et le service des maladies infectieuses du professeur Raoult. Un protocole en 5 temps.
1 Les externes sortent les sangsues de leur aquarium une à une et à la main. Ils les transfèrent dans un seau rempli d’eau stérilisée. Pas toujours facile. La bête est rapide, prête à s’échapper à la moindre faute d’inattention ou à ramper sur le gant pour mordre le bras. Celles qui tomberont sur le sol ne seront pas éliminées. Elles auront le droit de finir tranquillement leurs jours dans un récipient de secours. C’est comme ça, les pharmaciens ont le coeur sensible.
2 Les externes désinfectent minutieusement les aquariums au permanganate de potassium, en n’oubliant pas les parois.
3 Les aquariums sont remplis d’eau de Volvic. Ensuite, les sangsues retournent dans leur bocal d’origine et reviennent dans le local réfrigéré.
6-le jour J
Le grand jour est arrivé. Une ordonnance vient d’arriver au préparatoire. Elle émane du professeur Régis Legré, de la Conception. Spécialisé dans la chirurgie de la main et en microchirurgie, le service de chirurgie plastique utilise 80 % du stock de sangsues de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille. Les externes vont à la pêche à la main (gantée) en puisant dans le lot le plus ancien, conditionnent les sangsues dans des petits pots pour une durée de traitement de 24 heures. Ginou, la préparatrice hospitalière, remettra l’ensemble à l’infirmière, avec le traitement antibiotique approprié. Ginou prendra soin de faire signer un récépissé afin de tracer les lots.
7-le protocole de bornet
Charleric Bornet, praticien hospitalier, docteur en bactériologie, s’intéresse aux sangsues depuis 5 ans : « On s’est rendu compte qu’on pouvait, sans grand risque, les utiliser pour assurer le drainage du sang sur une greffe de doigt ou de lambeau musculocutané et permettre la revascularisation rapide du greffon. Seul gros souci, la salive-médicament de la sangsue contient des bactéries de type Aeromonas hydrophila. Elles sont issues de son tube digestif et peuvent provoquer des problèmes infectieux graves (pulmonaires, par exemple). Les sangsues sont aussi porteuses d’entérobactéries et de Pseudomonas contenus dans l’eau de l’aquarium. » Le protocole Bornet tient en quelques mots : matériel nettoyable ou stérile, nettoyage hebdomadaire des aquariums, un seul lot par aquarium, traçabilité des ordonnances et traitement systématique des patients par un antibiotique de type fluoroquinolones pour éradiquer tout risque infectieux. Résultat significatif : deux ans et demi après la mise en application du protocole, le risque de contamination animal-humain est réduit à néant.
8-bye bye kikinette
Fin de parcours pour Kikinette, la sangsue (c’est le petit nom qu’on lui donne au préparatoire). Posée sur la plaie avec une compresse, la sangsue affamée mord le patient qui ne sent rien. A l’exemple des autres, il n’a pas refusé le traitement. Il s’est seulement étonné qu’à une époque moderne, le chirurgien lui propose des techniques de soin appartenant à un passé qu’il croyait révolu. La certitude que la sangsue, chargée de revasculariser un greffon, était la seule option possible a probablement réussi à le convaincre. 30 minutes après, Kikinette a ingurgité 10 à 15 ml de sang et ressemble à une poire de petite dimension. Enfin rassasiée, elle se décroche toute seule ou est retirée par l’infirmière. Ce festin sera le dernier. Tuée dans de l’eau de Javel, enfermée dans un conteneur réservé aux produits souillés par le sang humain, elle sera incinérée une fois le devoir accompli. Personne ne lui tendra plus jamais la main.
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