Cannabis : Le mythe et la vertu

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Publié le 17 septembre 2005
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Le cannabis véhicule encore trop souvent une image de « drogue sympathique ». Son usage semble pourtant comporter plus de risques que de bénéfices. Même si certains préconisent sa consommation pour l’amélioration de certaines pathologies. Le point sur Cannabis sativa.

Evolution de 1993 à 2003 du niveau d’expérimentation du cannabis chez les adolescents de 17 ans

Dans Tanguy, Sabine Azéma et André Dussolier n’hésitent pas, en parents inquiets, à fumer un petit joint pour se détendre. Cette scène a fait sourire beaucoup de spectateurs. Idem dans Bienvenue en Suisse, où c’est en famille qu’est dégustée la substance illicite. Après le verre de vin, le joint tend à se banaliser. Le cannabis est perçu comme « une substance peu nocive pour la santé, associée à la convivialité, la détente et la relaxation », peut-on lire dans le rapport « Trend 2004 » de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

En France, les chiffres de la consommation de cannabis explosent depuis dix ans (voir ci-contre). 850 000 personnes sont considérées comme des consommateurs réguliers (au moins 10 usages au cours des trente derniers jours). 450 000 d’entre elles, âgées de plus de 12 ans, ont une consommation quotidienne. Avec un tel palmarès, la France s’inscrit au rang des plus grands consommateurs de cannabis d’Europe aux côtés de la République tchèque et du Royaume-Uni.

Evolution de la consommation régulière chez les adolescents de 17 ans

Non seulement les Français consomment beaucoup mais ils consomment de plus en plus tôt. La proportion des jeunes Français ayant expérimenté le cannabis est presque deux fois plus élevée que la moyenne des autres pays européens (38 % contre 21 %). Une précocité confirmée par le fait qu’un jeune de 17 ans sur deux déclare avoir fumé du cannabis au moins une fois dans sa vie, soit deux fois plus qu’il y à 10 ans. Une précocité qui, une fois n’est pas coutume, frappe plus les garçons que les filles. Ainsi, à 12 ans, 4 % des garçons déclarent avoir expérimenté le cannabis contre 1 % des filles. A 14 ans, ce sont 18 % des garçons qui déclarent s’être livrés à l’expérience contre 10 % des filles.

Enfin, l’écart se creuse à 18 ans avec un effectif de deux tiers chez les garçons contre la moitié chez les filles. En termes de consommation répétée, les garçons détiennent toujours la première place et leur consommation a été multipliée par trois en 10 ans. A 18 ans, c’est un garçon sur cinq qui consomme régulièrement, soit 21 % contre 9 % de filles.

C’est pas le kif.

Des chiffres qui sont sans doute les héritiers d’une classification trompeuse des drogues en deux groupes : « drogues dures » et « drogues douces ». Pourtant, comme le répète Patrick Beauverie, pharmacien au CHS Paul-Guiraud (Villejuif), membre de Médecins du monde, responsable de la mission Rave : « Il n’y a pas de drogues dures ou de drogues douces, il y a des drogues, point. » Si l’absence de phénomène de dépendance physique concourt à la bonne image du cannabis, la dépendance psychologique qu’il génère nécessite une prise en charge cognitivocomportementale, d’autant plus lourde qu’il n’existe aucun traitement pharmacologique de soutien. De même, si le phénomène d’escalade n’est pas reconnu (ce n’est pas parce qu’un jeune consomme du cannabis qu’il consommera d’autres drogues), il ne faut pas perdre de vue que pour « 5 % des utilisateurs ce sera l’occasion d’une mauvaise rencontre », signale Jean Lamarche, pharmacien, membre de Croix verte et Ruban rouge.

« L’usage du cannabis plonge le consommateur dans un milieu qui peut être violent et dont les acteurs ont leurs propres règles de vie, rappelle Patrick Beauverie. De plus, la levée d’inhibition provoquée par le cannabis peut conduire à l’auto-administration d’autres drogues ou à des conduites à risque (rapports sexuels non protégés…). » Il faut donc le rappeler, l’usage du cannabis est d’emblée dangereux aussi bien pour ses conséquences sociales que sanitaires. Et son usage quotidien peut conduire à des troubles multiples et parfois lourds, une désociabilisation voire, dans certains cas, à l’incarcération.

Le lien souvent tissé entre cannabis et troubles mentaux est avéré mais doit être mesuré. « Chez les sujets prédisposés, le cannabis diminue la période prodromique et exacerbe la symptomatologie, explique Patrick Beauverie. Non seulement le malade entre plus vite dans la maladie, mais ses rechutes sont d’autant plus fréquentes que son addiction diminue son observance au traitement qui lui a été prescrit. » Le cannabis peut également conduire à une psychose toxique qui se manifeste sous des formes variées allant d’épisodes de dépression à des hallucinations en passant par des idées délirantes et nécessitant une hospitalisation en milieu psychiatrique. Ce type de psychose, en fonction de sa gravité, disparaît après un traitement d’une durée de 1 à 4 mois. La toxicité se manifeste également par des troubles cognitifs, la mémoire à court terme étant altérée ce qui nuit gravement à l’éducation et à la scolarité.

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Lorsque le cannabis est fumé, avec ou sans tabac, la dangerosité pulmonaire et les risques de cancer des voies aérodigestives supérieures sont plus forts qu’avec la cigarette. Les troubles vasculaires liés à l’usage du cannabis sont eux équivalents à ceux développés sous l’effet du tabac. En plus de ces troubles à long terme, le cannabis provoque parfois une intoxication aiguë immédiate ou « bad trip » qui se traduit par un malaise physique (tremblements, vomissements, perte de conscience, difficultés à respirer, palpitations) et psychique (angoisse, hallucinations…).

Démythifier le cannabis.

Ce fossé entre la cote de popularité du cannabis et la réalité de ses méfaits a donc poussé les pouvoirs publics à lancer, en février dernier, la « campagne cannabis ». « Il fallait s’attaquer au mythe du cannabis considéré comme un produit cool, convivial, qui ne crée pas de dépendance, qui ne donne pas le cancer, qui n’est pas taxé par l’Etat, un produit naturel, bio… », expliquait Didier Jayle, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), en juillet dernier lors de la deuxième conférence franco-allemande sur les addictions.

Cette première campagne européenne, menée conjointement par le ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille, par la MILDT et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), a pour objectif non seulement d’informer les utilisateurs et leur famille mais aussi d’améliorer la prise en charge des usagers. La communication s’appuie sur la diffusion de trois brochures (une destinée aux jeunes, une autre à leurs parents et un guide d’aide à l’arrêt du cannabis) téléchargeables sur le site Internet de l’INPES (http://www.inpes.sante.fr). Afin de fournir une information personnalisée, un numéro Ecoute cannabis (0 811 91 20 20) a été mis en place et oriente le cas échéant vers les centres départementaux de consultation cannabis. Là, l’accueil est assuré par un médecin, un psychologue, une infirmière ou un éducateur. Les consultations permettent de faire l’évaluation de la consommation et de dépister un éventuel usage nocif du cannabis ou d’autres substances consommées comme l’alcool. En fonction des situations, les consommateurs abusifs se voient proposer une prise en charge brève et, si nécessaire, sont orientés vers des structures plus adaptées (services éducatifs, centres de soins spécialisés…).

« Il est trop tôt pour connaître l’impact de notre action en termes de consommation et de consommateurs, constatait Didier Jayle à Strasbourg, mais on a lancé un mouvement… »

Quel consommateur pour quelle consommation ?

Abstinent : n’a jamais consommé de cannabis au cours de sa vie

Expérimentateur : au moins un usage au cours de sa vie.

Usager répété : au moins 10 usages dans l’année mais moins de 10 usages dans le mois.

Usager régulier : au moins 10 usages au cours des 30 derniers jours.

Usager quotidien : usage quotidien au cours des trente derniers jours.

Les effets recherchés

Si les effets varient d’un consommateur à l’autre et en fonction du type de produit consommé, notamment en raison de la concentration variable en THC et de la quantité utilisée, généralement, l’utilisateur ressent :

– une détente,

– un état d’euphorie,

– une envie spontanée de rire,

– une somnolence,

– une modification des perceptions (acuité auditive accrue, ralentissement du temps…),

– une désinhibition légère,

– une stimulation de l’appétit.

Ce que dit la loi

La loi du 31 décembre 1970 prévoit en France de lourdes amendes et/ou des peines d’emprisonnement en cas d’usage et de revente de cannabis.

– La loi réprime la provocation à l’usage et au trafic. Il est interdit d’inciter à la consommation, ne serait-ce qu’en portant un T-shirt où figure une feuille de cannabis. Les peines sont d’autant plus lourdes lorsque l’incitation se fait à l’encontre d’un mineur.

– Pour les usagers : si la police trouve une personne en possession de cannabis, même si la quantité retrouvée est faible, c’est un délit pour lequel la loi prévoit une peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement et jusqu’à 3 750 euros d’amende. S’il s’agit d’une première fois, le juge peut ordonner une orientation vers une structure sanitaire, éducative ou d’insertion sociale.

En 2003, plus de 82 000 personnes ont été interpellées en France pour un usage simple de cannabis (âge moyen de 22 ans).

– Pour les trafiquants : en cas de vente ou de don de cannabis (même en très faible quantité pour « dépanner » une connaissance), la peine encourue peut aller jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Ces peines sont doublées quand le cannabis est vendu ou donné à des mineurs. Elles peuvent s’appliquer aux complices du vendeur (guetteurs, rabatteurs, intermédiaires…).

En 2003, plus de 12 000 trafiquants ont été interpellés et 82 tonnes de cannabis saisies.

L’internationale du cannabis

En france

– Chanvre, herbe, beuh, chiendent.

– Foin (qualité médiocre).

– Kif (mélange de tabac et de poudre de haschisch).

– Thé, pot, marie-Jeanne.

– Douce.

– Zamal (créole).

– Hasch.

– Shit ou teuch.

– Miel.

– Afghan, libanais (cannabis rouge par coupage avec du henné), « cainmaro » ou marocain.

à l’étranger

Inde

Bangh ou bhang, ganjah, charas, majoun.

Jamaïque

Ganjah.

Algérie, Maroc

Kif, chira.

Tunisie

Takouri, takrani.

Turquie

Kabak, habak, hafioum.

Syrie, Liban, Egypte, péninsule arabique

Haschisch el kief, haschich (sous toutes ses formes orthographiques).

Brésil

Maconha, djamba,

griffa.

Afrique

Dagga, yamba