Sida : Des multithérapies prometteuses

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Publié le 16 février 2002
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Fin 2001, 40 millions de personnes dans le monde étaient infectées par le VIH, selon les derniers chiffres de l’OMS. En vingt ans, la pandémie a fait 25 millions de morts, dont 39 000 en France. Si aujourd’hui les stratégies antirétrovirales sont bien codifiées, 30 % des patients ne répondent plus aux traitements. Heureusement, de nouveaux médicaments entretiennent l’espoir.

Les schémas thérapeutiques reposant sur l’administration d’au moins trois antirétroviraux additifs (trithérapie) voire synergiques constituent le standard du traitement de l’infection par le VIH. Ces HAART (highly active antiretroviral therapies ou traitements antirétroviraux hautement actifs) augmentent considérablement l’espérance de vie des malades du sida, rendant la charge virale plasmatique indétectable (seuil de 20 copies/ml), d’une façon rapide et durable. Le pourcentage de sujets susceptibles de survivre au moins 24 mois a ainsi atteint 90 % dès 1997 pour les sidas évolués contre 67 % en 1993.

L’arsenal antirétroviral appartient à trois familles différentes : inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse ou INTI (Retrovir, Hivid, Videx, Zerit, Epivir, Ziagen et associations : Combivir, Trizivir), inhibiteurs non nucléosidiques ou INNTI (Viramune, Sustiva), inhibiteurs de la protéase virale ou IP (Invirase, Fortovase, Crixivan, Norvir, Viracept, Agénérase, Kaletra).

Les associations de deux INTI et un IP, correspondant au schéma de trithérapie proposé dès 1996, sont encore les plus courantes. La cinétique des IP contraint à plusieurs prises quotidiennes et ce traitement reste souvent mal toléré à terme (lipodystrophies). Les IP sont des inhibiteurs puissants des enzymes du cytochrome P450, ce qui entraîne de multiples interactions médicamenteuses mais permet de mettre à profit l’action du ritonavir, notamment pour potentialiser l’action d’autres IP auxquels il est souvent associé à faible dose (100 ou 200 mg x 2/j) pour améliorer l’efficacité tout en réduisant les posologies.

Un patient sur trois porteur de souches résistantes

Substituer un INNTI (éfavirenz, névirapine) à l’IP peut améliorer la tolérance (les INNTI ne sont pas dénués d’effets secondaires parfois graves : hépatotoxicité et hypersensibilité avec la névirapine ; troubles neuropsychiques avec l’éfavirenz). Mais substituer un INNTI à l’IP peut aussi favoriser l’observance (leur demi-vie plus longue autorise une réduction du nombre de prises quotidiennes), voire l’efficacité (leur diffusion dans le système nerveux central est supérieure à celle de la plupart des IP).

Des trithérapies associant trois INTI montrent, elles, une efficacité comparable à celle obtenue avec les trithérapies incluant un IP : stavudine + didanosine + lamivudine et zidovudine + lamivudine + abacavir (Trizivir). Cette combinaison compte au nombre des choix préférentiels pour le traitement inaugural des sujets adultes à un stade non avancé de la maladie. Un HAART bien supporté et efficace n’a pas de raison d’être modifié. Toutefois, environ 30 % des patients finissent par être porteurs de souches résistantes à la totalité des molécules disponibles. Un traitement de « sauvetage » parfois mis en oeuvre dans cette situation peut associer jusqu’à huit ou dix antirétroviraux, d’où son appellation de « gigHAART ». Des équipes ont ainsi obtenu une réduction considérable de la charge virale en la rendant même parfois indétectable.

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Malgré tout, le tissu lymphoïde constitue, avec d’autres sites « sanctuaires », des réservoirs de virus intracellulaires donnant lieu à une multiplication résiduelle très faible mais suffisante pour que des cellules infectées circulent dans le sang malgré une virémie plasmatique indétectable.

Quatre nouveaux antirétroviraux à l’essai

Les nouveaux antirétroviraux présentés ci-dessous, en cours d’essais cliniques aux Etats-Unis, seront peut-être un moyen d’inhiber cette multiplication en agissant avec les antiviraux actuellement disponibles.

-> T-20. Ce peptide (pentafuside) inhibe la fusion virus/cellule hôte en bloquant l’un des sites de liaison du VIH (protéine gp41) à la membrane cellulaire des lymphocytes CD4. Des résistances apparaissent en deux semaines environ si le médicament est utilisé en monothérapie. Le T-20 s’administre à raison de deux injections sous-cutanées de 90 mg deux fois par jour. Le traitement est bien toléré, les effets indésirables étant limités à la survenue de réactions cutanées (rougeurs, prurit, formation de nodules) au site d’injection.

-> T-1249. Cet analogue du T-20 pourrait s’avérer actif sur des souches résistantes au T-20. Il résiste mieux à la dégradation enzymatique : sa demi-vie est de 9 à 14 heures suivant les patients et sa biodisponibilité atteint 40 à 65 %. Il s’administre en une prise quotidienne unique. Il semble pouvoir exposer à des effets indésirables plus graves que le T-20 (neutropénie, hypersensibilité).

-> Inhibiteurs de l’intégrase virale. Ils agissent sur l’enzyme qui permet l’intégration de l’ADN viral dans l’ADN de la cellule hôte. Les styrylquinoléines capables de complexer in situ les ions Mg2+ (indispensables au fonctionnement de l’enzyme), pourraient connaître un développement rapide en raison d’une activité puissante et d’une absence apparente de toxicité.

-> Anti-tat. Après avoir été synthétisée dans le cytoplasme, la protéine virale tat migre vers le noyau où elle active les gènes viraux et participe au syndrome d’immunodéficience par action sur les lymphocytes T non infectés. Les molécules anti-tat inhibent son activité de façon irréversible. La multiplicité de leurs points d’impact laisse espérer qu’elles exercent une action antirétrovirale et immunostimulatrice. Les anti-tat pourraient constituer une classe de médicaments curatifs de l’infection, mais seuls les essais cliniques permettront de l’affirmer, puisqu’il n’existe pas de techniques le montrant in vitro.

Patients sous saquinavir : attention à l’ail !

On connaissait les interactions entre le jus de pamplemousse et certains antirétroviraux. Il faut désormais ajouter à l’inventaire des interactions aliments/médicaments celle de l’ail avec le saquinavir (Fortovase, Invirase). Popularisé en médecine pour ses vertus antithrombotiques et hypocholestérolémiantes, ce condiment induit une diminution très significative des concentrations sériques de saquinavir. Dans une étude* sur neuf volontaires, l’ail s’est montré capable de réduire de plus de la moitié les taux de cet inhibiteur de la protéase virale et ce de façon prolongée puisque, dix jours après l’arrêt de sa consommation, le taux de saquinavir était toujours abaissé de 35 %. Si l’origine de cette interaction demeure encore obscure, il est prudent de recommander au patient sous saquinavir de limiter l’usage de l’ail.

* Edition en ligne du « Journal Clinical Infectious Diseases », 6 décembre 2001.