La CNAM s’attaque à la iatrogénie

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Publié le 6 juillet 2002
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Pour la première fois, la CNAM peut recouper une quinzaine d’études régionales sur la iatrogénie médicamenteuse, fruit du codage des médicaments démarré il y a trois ans. Un sujet jugé suffisamment préoccupant, notamment pour les personnes âgées, pour que médecins et pharmaciens soient mis en garde.

La iatrogénie médicamenteuse avait été retenue comme priorité de santé publique par la Conférence nationale de santé en 1998, avec comme objectif de « réduire en cinq ans le risque iatrogénique d’un tiers », soit la proportion jugée évitable grâce à une sensibilisation des professionnels. A un an de cette première échéance, la CNAM consacre pour la première fois un chapitre de ses « Faits marquants », édition 2002, à la iatrogénie.

Un travail inédit dans la mesure où la quinzaine d’études « compilées » (dont certaines déjà publiées) « n’ont été possibles, de façon industrielle, pour certaines sur des millions d’ordonnances, qu’à partir du codage des médicaments qui n’existe que depuis fin 1998 * », explique Pierre Fender, médecin-conseil national adjoint à la CNAM. Alors la CNAM insiste sur « la nécessité d’une information sur les dangers de l’automédication et d’une meilleure observance des prescriptions chez le malade », d’une part, « mais aussi d’une sensibilisation au risque iatrogène des divers intervenants dans la procédure de soins (médecin, pharmacien, infirmier, etc.) », d’autre part. Car nombre de prescriptions étudiées posent de gros problèmes, par exemple 3 145 associations formellement contre-indiquées relevées en un trimestre dans le Nord-Pas-de-Calais (sur 5 millions d’ordonnances étudiées), ou bien des associations contre-indiquées avec un médicament antiarythmique (pouvant majorer le risque de troubles du rythme cardiaque) dans 2,15 % des prescriptions d’antiarythmiques en Lorraine, 3,38 % en Alsace.

Ce type de prescriptions est-il plus fréquent qu’avant ? « Nous ne pouvions pas le mesurer jusqu’ici, insiste Pierre Fender. Il faut simplement noter, qu’en dehors des AINS ou de l’utilisation des vasoconstricteurs chez les enfants, ce sont des prescriptions assez rares au regard de la grande masse des ordonnances étudiées… Mais qui représentent tout de même 10 % des accueils aux urgences ! » Dans une étude en Poitou-Charentes, ce sont même 20 % des personnes âgées qui leur devaient leur hospitalisation. Celles-ci apparaissent en effet comme les plus vulnérables au problème. Mais le risque thérapeutique chez la femme enceinte ou l’enfant (la CNAM parle de « traitements banalisés et à risque » dans la rhinopharyngite de l’enfant) apparaît tout aussi préoccupant. « Je suis impressionné par le nombre d’associations contre-indiquées que l’on observe », remarquait Hubert Allemand, médecin-conseil national, à la présentation des « Faits marquants ».

Que faire pour limiter ces dérives ? Sensibiliser les professionnels, répond l’Assurance maladie. Rien n’est prévu pour l’instant au plan national, mais des actions ont déjà été menées par certaines URCAM avec les unions régionales de médecins libéraux, les facultés de médecine et de pharmacie, les centres de pharmacovigilance, via des plaquettes d’information, des rencontres et des formations. « Mais nous n’avons pas encore de mesure des actions menées. Ce sera le cas d’ici un an », indique Pierre Fender. Et le pharmacien est inclus dans ces actions. « Le pharmacien est en effet responsable puisqu’il est censé contrôler l’ordonnance, énonce Pierre Fender, mais personne ne dit qu’il n’a pas appelé le médecin. Dans le cas des antiarythmiques en Lorraine, par exemple, nous avons pu vérifier auprès des médecins qu’ils prenaient parfois volontairement le risque de la prescription au regard de son bénéfice. »

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Des médecins sanctionnés

Au-delà de la sensibilisation, des prescripteurs à la main lourde se voient déjà sanctionner par la CNAM. En l’occurrence, le pharmacien n’est pas concerné. « En revanche, je pense que la responsabilité du pharmacien pourrait être engagée par le malade, on voit que les patients rentrent de plus en plus dans des procédures judiciaires… Même si aujourd’hui leur information n’est pas assez pointue sur le sujet, le médecin restant souvent à leurs yeux le seul responsable de l’ordonnance. »

Mais avant d’en arriver à de telles extrémités, c’est surtout une prise de conscience qui semble s’imposer. Hubert Allemand ne manquait pas d’ironiser, remarquant à propos des pédiatres que « dans leurs négociations, ils estiment qu’ils n’ont pas besoin d’accords sur les bonne pratiques […] alors qu’une étude [dans le Haut-Rhin] montre que les deux tiers des pédiatres de la région étudiée avaient prescrit des vasoconstricteurs contre-indiqués chez des enfants ». Rendez-vous l’année prochaine pour les résultats, dans les faits, des premières actions de sensibilisation

* La CNAM a comparé des études allant de 1999 à 2001.

Des psychotropes mal prescrits partout…

Concernant la vulnérabilité des sujets âgés, l’inadaptation de nombreuses prescriptions d’hypnotiques et d’anxiolytiques est frappante. Leur posologie devrait être inférieure de moitié à celle d’un sujet jeune et les produits à demi-vie longue devraient être évités. Or une enquête de l’URCAM Rhône-Alpes montre que 20 % des plus de 70 ans consommant ces produits avaient affaire à des demi-vies longues, 20 à 40 % des posologies dépassant les maximales autorisées et à 30 à 50 % dépassant les durées de traitement. En Haute-Normandie, les posologies étaient excessives ou imprécises dans 40 % des cas. En Picardie, 1 388 patients de plus de 70 ans ont eu en un mois des prescriptions redondantes d’hypnotiques et/ou d’anxiolytiques. Des exemples parmi d’autres…