Dépistage universel du cancer : l’espoir grandit

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Publié le 30 octobre 2021
Par Yves Rivoal
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Grâce aux nouvelles technologies de séquençage et à l’avènement de l’ADN tumoral, la quête du test de dépistage universel du cancer ne relève plus désormais de la science-fiction. Explications.

Le dépistage universel du cancer de stade précoce en population générale s’apparente à une forme de Graal en oncologie, car il constituerait la meilleure arme pour éradiquer cette maladie. » Directeur de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (Hérault), Alain Thierry résume l’espoir des équipes scientifiques qui, à travers le monde, œuvrent pour mettre au point un test universel capable de détecter tous les cancers. « C’est en effet en appliquant de la chirurgie à un stade prémétastatique que l’on peut vraiment soigner les patients. Or, la plupart des malades diagnostiqués avec les techniques de dépistage actuelles le sont en phase 3 ou 4, donc à un stade où malheureusement, souvent, on ne peut plus les guérir. »

Si aucune approche scientifique n’a jusqu’à présent démontré une validité suffisante, la donne pourrait bientôt changer. Les nouvelles technologies de séquençage comme le next generation sequencing ont déjà permis de franchir un cap dans le dépistage des altérations génétiques héréditaires présentes dans tous les tissus des patients atteints. « Mais ces pathologies dites héréditaires ne représentent environ que 10 % des cancers, tempère Alain Thierry. Tous les autres sont provoqués par des altérations génétiques, dites somatiques, liées à l’environnement. Cependant, ces mutations ne sont présentes que dans les tissus où se trouve la tumeur. Tant que l’on ne connaît pas son existence, on ne peut pas les détecter via le séquençage. »

Les promesses de l’ADN circulant

L’avènement de l’ADN tumoral circulant pourrait mettre un terme à cette difficulté. « Il est produit par les cellules qui circulent dans le sang, explique Alain Thierry. Or, comme il véhicule les altérations génétiques provoquées par des tumeurs somatiques, celles-ci pourraient être repérées juste avec une prise de sang, sans savoir que la tumeur existe. » Différentes stratégies sont actuellement utilisées. « On peut rechercher les altérations génétiques qui conduisent au cancer, mais aussi le profil des mutations épigénétiques de l’ADN spécifiques au cancer, ou le nombre de copies de gènes surexprimés par cellule par rapport aux valeurs normales, détaille Alain Thierry. Nous sommes également en train de démontrer au sein de notre laboratoire que chez les patients atteints d’un cancer, l’ADN circulant se distingue par des tailles de fragments inférieures à celles des individus sains. Et c’est en combinant ces quatre approches que l’on arrivera peut-être un jour à obtenir ce fameux test de dépistage universel. »

Sur cette technologie de l’ADN circulant, la société américaine Grail possède un temps d’avance. Son test de dépistage Galleri vient d’être approuvé par le département de la santé de l’Etat de New York où il est déjà disponible sur ordonnance en complément des tests existants. L’étude observationnelle réalisée par ce laboratoire a permis de démontrer que Galleri était capable de détecter 50 types de cancers avant l’apparition des symptômes, en une seule prise de sang, et avec un taux de faux positifs de moins de 1 %. L’équipe d’Alain Thierry planche, elle aussi, sur la mise au point d’un test multiparamétriques faisant appel à la même stratégie que des sociétés comme Grail. « Nous en sommes au tiers du chemin, confie le chercheur. Les premiers essais menés auprès d’une population de personnes diagnostiquées avec un cancer sont prometteurs. Nous devons encore améliorer la spécificité et la sensibilité de notre test pour détecter les tumeurs de petite taille qui libèrent moins d’ADN circulant. La prochaine étape sera de valider l’efficacité en population générale sur un panel de plusieurs milliers de personnes. Le problème, c’est qu’en France nous n’avons pas les mêmes moyens qu’aux Etats-Unis. Il nous faudra au moins dix ans pour boucler la phase d’essais cliniques, alors que Grail devrait y parvenir peut-être dans quatre ans. »

Des interrogations à lever

Avant d’obtenir leurs précieuses autorisations de mise sur le marché (AMM), ces tests devront lever d’autres interrogations, comme le rappelle François-Clément Bidard, professeur des universités et praticien hospitalier spécialisé en oncologie médicale à l’Institut Curie à Paris. « Jusqu’à présent, les études se sont concentrées sur des patients diagnostiqués avec un cancer. Il est encore un peu tôt pour savoir s’ils parviendront à faire de même en vie réelle. On ne sait pas non plus s’ils seront capables d’anticiper la survenue d’un cancer ou de le diagnostiquer avant les techniques habituelles de dépistage… » Alain Eychène, directeur du pôle recherche et innovation à l’Institut national du cancer, ne cache pas, lui, son scepticisme. « Chaque patient développe un cancer avec une identité génétique, épigénétique et métabolique très différente de celle de son voisin. J’ai donc un peu de mal à concevoir qu’un test universel puisse détecter tous les cancers à partir d’une simple prise de sang. A moins que l’intelligence artificielle ne parvienne à accélérer l’interprétation des conséquences de la combinaison des multiples altérations spécifiques à chaque patient. »

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Il faudra aussi régler la question de la fréquence et du coût. « Un test de dépistage multiparamétriques coûte aujourd’hui entre 1 000 et 2 000 €, mais dans quelques années, nous devrions descendre aux alentours de 500 € », précise Alain Thierry. Les arbitrages se feront, comme toujours, en fonction du coût et du rapport bénéfices/risques pour la santé publique… Et sur ce point, le chercheur se montre résolument optimiste. « Les premiers tests multiparamétriques basés sur l’ADN circulant affichent d’ores et déjà une sensibilité de l’ordre de 90 % pour les cancers de stades 3 et 4, et de 40 % pour ceux de stades 1 et 2. Et ces ratios sont en train d’être améliorés », assure le chercheur. François-Clément Bidard imagine, lui, une autre voie. « Pour arriver à ce fameux test de dépistage universel, il faudra probablement combiner plusieurs facteurs comme l’ADN circulant, les marqueurs protéiques ou les exosomes qui font aussi l’objet de recherches. Grâce à ces combinaisons, nous parviendrons peut-être à mettre au point des tests qui pourront même être personnalisés en fonction du contexte clinique… »

LES CHIENS EN RENFORT

Et si le meilleur test de dépistage universel était finalement à chercher du côté des… chiens ? Des travaux sont actuellement menés pour déterminer si, grâce à leur flair, ils peuvent détecter les composés organiques volatils odorants émis par les tumeurs cancéreuses. Dépistage des cancers de la prostate à partir de l’urine, du poumon avec l’air expiré, du côlon grâce aux selles, du col de l’utérus avec les serviettes hygiéniques… Toutes les pistes sont explorées. L’institut Curie a, par exemple, lancé l’essai clinique Kdog sur le dépistage du cancer du sein. Celui-ci devrait réunir au moins 470 personnes, réparties en deux groupes équilibrés entre patientes avec ou sans cancer. « La preuve de concept réalisée en 2016 a démontré que les cinq chiens dressés parvenaient à détecter la présence d’une tumeur dans 90 % des cas. Nous leur présentions sur une même ligne trois compresses négatives et une positive qui avaient été posées toute une nuit contre le sein, confie Isabelle Fromantin, infirmière et docteure en science responsable du programme. L’essai clinique doit maintenant valider que les chiens font preuve de la même efficacité en vie réelle. Et que leurs variations de motivation ou de comportement n’influent pas sur la qualité de la détection. »