Covid long, la face cachée du Sars-CoV-2

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Publié le 19 février 2022
Par Yves Rivoal
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Après des mois d’errance médicale, les centaines de milliers de patients atteints de Covid long sont enfin reconnus et bénéficient d’une prise en charge adaptée. Mais en l’absence de traitement curatif, cette pathologie multisystémique est en train de devenir un problème majeur de santé publique.

Parmi les patients infectés par le Covid-19, 10 % développent un Covid long. Si l’on considère que 20 millions de Français ont déjà été infectés, cela pourrait faire 2 millions de cas si ce ratio s’applique aussi à Omicron. » Les chiffres énoncés par Céline Castera, porte-parole d’AprèsJ20, une association qui fédère plus de 1 300 patients touchés par cette nouvelle pathologie, ont de quoi donner le vertige. Les symptômes qui caractérisent le Covid long – AprèsJ20 en a référencé plus de 200 – sont désormais bien connus. « La difficulté étant qu’ils sont polymorphes et touchent tous les organes, constate Pierre Gabach, adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la Haute Autorité de santé (HAS), qui, dans ses recommandations, n’utilise pas l’appellation « Covid long », lui préférant celle de « symptômes prolongés ». Parmi la vingtaine qui reviennent le plus souvent, il y a d’abord une fatigue intense, qui peut même aller jusqu’à l’épuisement, des dyspnées, des douleurs thoraciques, des palpitations, de la tachycardie, etc. » « Beaucoup de patients souffrent également de douleurs musculaires ou articulaires, de brouillard cérébral, de vertiges, de céphalées, d’acouphènes, de perte de goût ou d’odorat… Avec des symptômes évoluant par crise de trois ou quatre jours qui, chez certains patients, durent depuis mars 2020, alors qu’ils n’ont pas tous fait une forme sévère de Covid-19 », ajoute Julien Astaing, médecin référent du service Covid long à la clinique Clémentville de Montpellier (Hérault).

De mystérieux mécanismes

Les mécanismes à l’origine de ces symptômes prolongés restent un mystère. « Nous en sommes toujours au stade des hypothèses, concède Julien Astaing. Des microthromboses des vaisseaux capillaires et au niveau cérébral, la persistance du virus chez des patients qui développeraient une réactivation du virus d’Epstein-Barr (EBV) et un désordre du système immunitaire sont les pistes les plus évoquées. » Une étude réalisée sur 25 000 personnes de la cohorte Constances, publiée le 8 novembre dernier dans la revue JAMA Internal Medicine, suggère également que ces symptômes pourraient ne pas être spécifiques de ce virus. « Certains peuvent être provoqués par un autre virus, une autre pathologie ou par des mécanismes cognitifs et comportementaux », explique Cédric Lemogne, chef du service de psychiatrie de l’adulte à l’Hôtel-Dieu à Paris et coordinateur de l’étude.

Pour aider les professionnels de santé à mieux les diagnostiquer et les prendre en charge, un groupe de travail piloté par la HAS a rédigé en février 2021 une réponse rapide incluant une fiche globale et des fiches par symptôme ou spécialité. « C’est au médecin généraliste et aux équipes de premiers recours de prendre en charge ces patients, explique Pierre Gabach. Après avoir éliminé d’éventuels signes de complications du Covid-19, le médecin réalise un examen clinique simple (poids, tension, saturation en oxygène, recherche de dyspnées, etc.). Il doit en outre écouter le malade et analyser ses difficultés afin de l’aider à mieux comprendre sa pathologie et à devenir acteur de sa prise en charge. Ce qui se révèle souvent compliqué car la plupart sont très fatigués. Il faut donc réussir à les réadapter à l’effort, mais sans trop forcer pour ne pas aggraver la maladie. »

10 à 15 % de succès

Lorsque les patients voient leurs symptômes persister ou s’aggraver, le médecin peut les adresser vers un centre de recours régional labellisé. A la clinique Clémentville de Montpellier, le service Covid long applique lui aussi un protocole multidisciplinaire désormais bien rodé : 800 patients y ont en effet bénéficié de soins depuis avril 2021 et plus d’une centaine de nouveaux malades y sont encore accueillis chaque mois. « Une fois le diagnostic établi, les malades se voient proposer un programme de prise en charge complet, assure Julien Astaing. Ils suivent des séances de kinésithérapie douce et d’entraînement à l’effort pour éliminer progressivement leurs symptômes. Afin d’éviter les coups de fatigue qui déclenchent les crises, ils sont également orientés vers des neuropsychologues pour se concentrer sur les troubles neurocognitifs et apprendre à mieux gérer leur journée. Ceux qui souffrent de troubles anxieux et dépressifs se voient prescrire des séances de psychothérapie et des antidépresseurs si nécessaire. » La durée du parcours dépend de l’évolution de chaque patient. « Certains mettent trois mois pour récupérer, d’autres stagnent depuis mars 2020 », constate Julien Astaing. Grâce à ce dispositif, le service arrive à réinsérer professionnellement et socialement 10 à 15 % des personnes suivies. Les cas les plus sévères sont, eux, orientés vers des centres de soins de suite et de réadaptation (SSR) labellisés pour les patients Covid long.

Les pharmaciens dans la boucle

Dans ce parcours de soins, les pharmaciens ont un rôle important à jouer. « Et pas seulement dans la délivrance des traitements symptomatiques que l’on administre aux patients, notamment pour soulager leurs douleurs, souligne Pierre Gabach. Les pharmaciens d’officine font partie de l’équipe de soins qui va accompagner le malade sur le long terme. Ils doivent faire preuve d’écoute et d’empathie, se montrer rassurants et inviter leurs patients à en parler à leur médecin généraliste en cas de suspicion de symptômes prolongés. »

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Pour Céline Castera, « ces nouvelles modalités de prise en charge dans des services spécialisés constituent une réelle avancée, tout comme l’adoption de la loi Zumkeller le 13 janvier dernier, qui prévoit la création d’une plateforme de recherche et de suivi réservée aux patients Covid long, rappelle la porte-parole d’AprèsJ20. Mais nous aimerions que les choses avancent plus vite, car certains territoires ne possèdent toujours pas de structure labellisée, ce qui laisse de nombreux malades en situation de précarité et d’errance médicale. » Son association continue également de se battre pour obtenir une meilleure reconnaissance de la maladie. « Nous demandons notamment à ce qu’elle soit placée sur la liste des affections longue durée (ALD), avec une éligibilité qui ne serait pas fondée sur les tests, mais sur la symptomatologie, et une meilleure reconnaissance du Covid long pédiatrique. »

PAS DE TRAITEMENT CURATIF

Il n’existe pas à ce jour de pharmacopée curative du Covid long. « Les anticoagulants classiques ne fonctionnent pas sur les microthromboses, et les traitements qui permettraient de régler la persistance virale ou le désordre du système immunitaire restent à inventer, note Julien Astaing, médecin référent du service Covid long à la clinique Clémentville de Montpellier (Hérault). Des études ont été lancées en Allemagne et au Royaume-Uni sur des molécules, mais elles ne sont qu’en phase de test. Cependant, tant que nous n’aurons pas compris la physiopathologie de la maladie, il sera très compliqué de développer des traitements efficaces. »

Les médecins en sont donc réduits à utiliser les traitements symptomatiques habituels. « Pour ma part, je prescris Lyrica pour les neuropathies, Aspégic pour les douleurs articulaires et les états inflammatoires, et des antihistaminiques comme la famotidine pour les reflux gastro-œsophagiens et les désordres digestifs. Certains antidépresseurs comme la paroxétine et la fluoxétine semblent également efficaces dans les troubles neurocognitifs. Mais ce n’est pas avec ces prescriptions que l’on va éradiquer le Covid long. On améliore simplement un peu la symptomatologie du patient », conclut Julien Astaing.