Une nuit avec vous

Réservé aux abonnés
Publié le 18 mai 2002
Mettre en favori

Quelle est la fréquence du tour de garde ? Comment se passe une garde de nuit ? Existe-t-il des systèmes plus performants selon les régions ?… Pour le savoir, nous avons interrogé des confrères bas-rhinois, haut-garonnais, lozériens, héraultais qui viennent d’assurer une garde. Tour de veille.

Michel Nouguier (Montpellier) : « Nous sommes là pour ça »

Installé depuis 1996 dans le quartier populaire de La Paillade, à Montpellier (Hérault), Michel Nouguier, 37 ans, vient de connaître « une nuit de garde plutôt calme, avec peu de pathologies ». Il a accueilli vingt-six personnes entre 20 heures et 3 heures du matin et délivré pas mal d’antibiotiques et antalgiques, surtout pour des otites de nouveau-nés, ainsi que des médicaments contre les maux d’estomac et la diarrhée, un thermomètre et de la farine pour bébé.

En période de fortes pathologies, il voit défiler une quarantaine de personnes par nuit. « Il m’arrive alors de servir durant trois à quatre heures d’affilée sans interruption », indique-t-il.

A Montpellier, le système de garde mobilise un pharmacien tous les trois mois environ pour une nuit et un dimanche de garde par an. « Avec un seul pharmacien de garde de nuit pour toute la ville, les gardes sont assez pénibles même si les gens n’exagèrent pas trop. De toute façon, nous assurons en quelque sorte un service de santé publique, nous sommes là pour ça », estime Michel Nouguier.

Comme beaucoup de ses consoeurs et confrères montpelliérains, Michel Nouguier pratique peu le tarif de nuit. « Uniquement pour les tiers payants », précise-t-il.

Souhaite-t-il le voir revalorisé ? « Je ne suis pas de garde pour l’argent et le parallèle avec les médecins ne me semble pas vraiment à établir car eux se déplacent, alors que nous, les gens viennent à nous. Par contre, je pense qu’il faut que les gardes de nuit restent à l’officine, cela fait partie de notre métier. »

Publicité

Alain Jarousse (Mende) : « Les Français ont l’habitude de plaindre les médecins »

A Mende (Lozère), Alain Jarousse est, comme ses autres confrères de la ville, de garde de nuit une semaine toutes les 5 semaines, du jeudi soir au vendredi matin, dimanche et lundi compris ! Certes, il habite au dessus de son officine « mais cela n’enlève rien au dérangement, même si les nuits sont généralement assez calmes ». Ses trois dernières nuits de garde se sont terminées à minuit, 2 heures et 23 heures. « Rien de bien méchant ». Le tarif de nuit, il ne l’applique parcimonieusement « que depuis quatre ou cinq ans, car quand vous connaissez bien tous vos clients, leur prendre 26 francs après 21 heures, cela me semblait trop ridicule pour être demandé ». Mais, « si les médecins obtiennent une revalorisation à 50 euros la visite de nuit, cela me paraît dans l’ordre des choses d’augmenter notre tarif », estime Alain Jarousse. Sans trop y croire ou, en tout cas, espérer une forte augmentation, « car les Français ont l’habitude de plaindre les médecins, pas les pharmaciens ».

Muriel Fournand (Erstein) : « La moitié des personnes aurait pu attendre le lendemain »

A Erstein (Bas-Rhin), à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, Muriel Fournand, assistante de Françoise Grignon, ne se plaint pas de sa dernière nuit de garde : « J’ai vu une vingtaine de clients jusqu’à 23 heures mais la plus grosse partie est venue entre 19 et 20 heures, après avoir consulté un médecin en fin de journée ». Ensuite sont arrivées les demandes de médicaments pédiatriques, essentiellement des antibiotiques, ainsi que des antalgiques et des anti-inflammatoires.

Selon Muriel, « la moitié des personnes qui sont venues à la pharmacie de garde auraient pu attendre le lendemain ». Elle a tout de même pu dormir un peu, « dans un vrai lit », car sa titulaire veille à ce confort là. Avant de se faire réveiller à 2 heures du matin, pour un Stéribox. « Parfois, poursuit la jeune femme, comme nous sommes à côté d’un centre hospitalier spécialisé, certains malades qui n’arrivent pas à dormir viennent à la pharmacie pour bavarder… »

Le secteur de garde d’Erstein compte 14 pharmacies et chacun prend son tour deux fois par mois. Françoise Grignon souligne qu’en campagne, les demandes nocturnes ne sont pas excessives mais elle stigmatise certaines pratiques hospitalières : « L’hôpital prescrit souvent des médicaments peu courants et ne dépanne pas les malades, qui sont surpris lorsqu’on leur annonce qu’il faut commander le produit. Et la nuit, il n’est pas toujours évident de contacter le prescripteur afin de se mettre d’accord sur un éventuel médicament de remplacement ».

Dans le même secteur de garde, mais côté urbain, la nuit n’a pas été trop perturbée non plus à la pharmacie de la Vierge à Molsheim. Pour Danielle Heinritch-Claudepierre, qui assure des gardes depuis 14 ans, la demande a baissé. « Dans le temps on voyait 20 à 30 clients par nuit. Aujour-d’hui après 22 heures on est beaucoup moins dérangé. Les gens sont plus raisonnables qu’il y a dix ans. » Pour elle, le gros problème demeure celui de la sécurisation.

Son associé, Thierry Charleux, est « content » de sa dernière nuit de garde : « J’ai vu le gros de la troupe avant 23 heures. Puis deux pendant la nuit ». Pour lui les gardes font partie du métier même s’il est nécessaire de faire évoluer les choses. La revalorisation ? Oui et non. En fait, il préférerait voir améliorer la situation générale de la pharmacie. Pour lui, « le plus important, c’est de continuer à avoir des personnes qualifiées au comptoir. »

Alain Boetsch (Strasbourg) : « La garde est la contrepartie du monopole »

Alain Boetsch, titulaire de la pharmacie du Conseil des Quinze à Strasbourg mais aussi responsable de la communication du syndicat des pharmaciens du Bas-Rhin, reconnaît que les pharmaciens strasbourgeois vivent une situation bien différente de celle de leurs confrères ruraux du département : « A Strasbourg nous sommes de garde tous les 27 jours, alors qu’en campagne, c’est tous les 16 jours. En ville on voit aussi beaucoup plus de monde, au moins trente personnes par nuit, ce qui est rarissime en campagne. Je me souviens d’un dimanche de Noël où les fêtes juives et chrétiennes tombaient en même temps. J’ai vu 624 personnes durant ma garde !!! » ajoute-t-il en souriant. Ce qui ne l’empêche pas de préférer une indemnisation globale de l’astreinte, à l’image des médecins, plutôt qu’une revalorisation du tarif de garde. Mais pour Jean-François Kuentz, responsable du syndicat des pharmaciens du Haut-Rhin, « il ne faut pas voir les gardes en terme de rentabilité ». Et Alain Boetsch de rappeler que « la garde est la contrepartie du monopole ».

Cependant, le dossier des gardes a toujours été une préoccupation syndicale en Alsace. Dans la région de Haguenau (Bas-Rhin), depuis cinq ans, les clients doivent obligatoirement passer par la gendarmerie ou la police (selon que l’on se trouve en zone rurale ou urbaine) pour connaître la pharmacie de garde. Une organisation similaire a été introduite, à la demande des officinaux, dans l’ensemble du département du Haut-Rhin (cf Moniteur n° 2415, du 13 octobre 2001) au premier janvier 2002. Elle devrait également être généralisée dans celui du Bas-Rhin avant l’été.

Initialement prévu pour améliorer la sécurité des pharmacies, le système s’avère également efficace pour limiter les abus. Depuis que les croix vertes sont éteintes la nuit dans le Haut-Rhin, « l’essentiel des clients vient entre 20 et 22 heures, après avoir vu le médecin » souligne Jean-François Kuentz. « Il y a moins de non urgences », confirme Jack Saigne, le président de l’Ordre régional des pharmaciens.

Michel Pioch (Toulouse) : « Si je suis malade, c’est la catastrophe »

A Toulouse, de 20 heures à 8 heures du matin, la même pharmacie assure la garde toute l’année. La pharmacie de nuit, connue de tous, constitue un système unique en France qui contente à la fois le grand public et les pharmaciens de l’agglomération. 19h15. Michel Pioch ouvre la porte blindée de sa pharmacie, installée en plein centre ville, et franchit le sas par lequel le grossiste le livre. Une nuit de travail s’annonce pour ce pharmacien pas tout à fait comme les autres. En général, il sert, seul, une trentaine de clients, dont la plupart viendra avant minuit.

Installé dans des nouveaux locaux sécurisés depuis juin dernier, Michel Pioch revit. Derrière les vitres épaisses et les barreaux qui les protègent, il accueille désormais sa clientèle de nuit avec sérénité. Car s’il a racheté cette licence en 1976 et qu’il avoue avoir continué par choix, il a longtemps exercé la peur au ventre. « Je n’avais qu’une vitre pour toute protection, je me suis souvent fait agressé et j’ai même failli y laisser la vie. Aujourd’hui, je peux me payer le luxe de refuser un produit ou d’annoncer tranquillement à un client énervé que je ne l’ai plus. »

A Toulouse, la création d’une pharmacie de nuit pour toute l’agglomération a été instaurée en 1948 par le syndicat, propriétaire des locaux. Un système approuvé par l’ensemble d’une profession. « Mes collègues femmes sont contentes de ne pas faire des gardes peu rémunératrices et qui posent de plus en plus de problèmes de sécurité, assure Michel Pioch. D’ailleurs, personne ne les réclament. Quant aux clients ils préfèrent faire 15 kilomètres et venir directement ici plutôt que de passer du temps à chercher une officine de quartier. »

Mais Michel Pioch se pose des questions sur son avenir. Car si le travail est difficile et stressant, la rentabilité n’est pas évidente pour cette officine au CA de 275 000 euros. « La taxe de nuit n’a pas bougé depuis 1984. Mon stock n’est pas le même que dans une officine normale, il est adapté aux demandes de nuit et bien sûr je ne délivre ni para ni homéopathie. Si vous ajoutez à cela la difficulté de trouver des remplaçants qu’il faut d’ailleurs payer plus qu’ailleurs, ça devient très limite. Si c’était à refaire ? Non, je ne crois pas. »

Et puis Michel Pioch n’a pas le droit d’avoir un problème de santé. « J’ouvre tous les jours et si un soir je suis malade c’est la catastrophe car c’est très difficile de trouver quelqu’un au pied levé. » A 55 ans, après 28 ans d’exercice, Michel Pioch commence à trouver les nuits de plus en plus longues.

Seine-Saint-Denis : La garde de nuit ne se partage plus

Le 1er janvier 2002 un arrêté préfectoral a fait de la pharmacie de la Poste à Montreuil, l’unique pharmacie de garde du plus important secteur de Seine-Saint-Denis qui compte trois circonscriptions. Une pharmacie ouverte 24 heures sur 24, y compris le dimanche, au prix d’une sécurité renforcée. « C’est un accord gagnant-gagnant, estime Bruno Lamaurt, le président du syndicat départemental. Face aux agressions à répétition, beaucoup faisaient part de leur exaspération. En acceptant de supporter toutes les gardes de nuit René Maarek (le titulaire) décharge ses confrères tout en augmentant son chiffre d’affaires. »

D’après Bruno Lamaurt près de 20 % des pharmaciens du secteur auraient protesté contre cet accord. Qu’importe, lui n’y voit que des avantages. « Les forces de sécurité sont ravies parce qu’elles n’ont plus qu’à protéger une seule pharmacie, mentionnée partout, accessible sans passer par le commissariat et il n’y a plus l’épineux problème de ceux qui décident au tout dernier moment de ne pas assurer leur garde, explique-t-il. En même temps, les confrères continuent d’assumer, à tour de rôle, les gardes du dimanche. Personne n’est lésé. »

Dans les deux autres secteurs du département, le fonctionnement des gardes reste inchangé. Mais Bruno Lamaurt ne désespère pas de trouver des volontaires pour assurer toutes les gardes de nuit. « J’ai l’accord d’un pharmacien. Il devrait être opérationnel début 2003 », assure-t-il. Un système qui pourrait bien faire des petits dans les départements de la petite couronne puisque déjà le Val-d’Oise et les Yvelines envisageraient de le mettre en place.