Ça ne passe pas crème pour tous les produits solaires

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Publié le 6 avril 2024
Par Violaine Badie
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Les filtres censés protéger du soleil sont accusés d’être cancérigènes, potentiellement perturbateurs endocriniens, néfastes pour les écosystèmes marins… Au milieu de l’immense marché des photoprotecteurs, comment faire un choix éclairé ? Deux expertes répondent.

 

Au total, une vingtaine de filtres organiques et deux filtres inorganiques sont autorisés sur le marché français. Parmi les préoccupations principales des utilisateurs : discerner lesquels représentent les meilleures options en matière de prévention santé et de protection environnementale.

 

Les premiers sont communément appelés filtres « chimiques ». Une désignation erronée, tient à préciser Laurence Coiffard, professeure en cosmétologie à la faculté de pharmacie de Nantes (Loire-Atlantique) et coautrice du blog Regard sur les cosmétiques : « Le terme “chimique” prête à confusion car il est opposé au naturel. Or, les filtres minéraux ne sont pas davantage naturels. Il est préférable de mentionner des filtres organiques et des filtres inorganiques ou minéraux. »

Filtres organiques versus filtres minéraux

 

La catégorie des filtres organiques renferme un ensemble de filtres solaires à chaîne hydrocarbonée, certains étant anti-ultraviolets (UV) B stricts, d’autres anti-UVA stricts, d’autres encore à plus large spectre. Pour offrir une protection la plus complète possible, les formulations combinent plusieurs de ces ingrédients. Le choix est plus restreint en ce qui concerne les filtres minéraux, qui ne contiennent aucune molécule de carbone. On retrouve dans cette catégorie le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc, seuls filtres solaires autorisés par les référentiels de cosmétiques bio.

 

Ils diffèrent par leur mode d’action. « Les filtres organiques absorbent le rayonnement UV pour éviter qu’il ne provoque des dégâts au niveau de la peau, reprend Laurence Coiffard. Pour les filtres inorganiques, il a longtemps été dit qu’ils réfléchissaient les UV. C’est plus complexe que ça. Ils réfléchissent, absorbent, diffractent les rayons… » Contrairement à certaines idées reçues, les deux types de filtres protègent bien la peau dès leur application.

 

Choisir un filtre solaire peut relever du casse-tête. « Les “minéraux” sont souvent mentionnés comme étant meilleurs pour la santé alors que ce n’est pas le cas, souligne la chercheuse. Le dioxyde de titane sous forme de nanoparticules et l’oxyde de zinc, en version “nano” et “non nano”, présentent un risque cancérigène avéré par inhalation. Ils sont interdits dans les versions en spray des produits solaires, bien que quelques marques ne respectent pas cette interdiction. »

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Les études n’ont pas conclu à une dangerosité des nanoparticules par voie cutanée. Cependant, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande de ne pas appliquer de produit cosmétique contenant des nanoparticules de dioxyde de titane sur une peau lésée ou sur des coups de soleil. Pour savoir sous quelle forme est présent l’ingrédient, la mention « Nano », entre crochets, est désormais obligatoire sur les listes de l’international nomenclature of cosmetic ingredients (Inci). Il faut savoir que les filtres minéraux confèrent aux crèmes solaires un effet « voile blanc » au moment de l’application. Le seul moyen d’éviter ce désagrément est d’employer leur forme nanoparticulaire dans les formulations.

Des couches de soupçons supplémentaires

 

Quelques filtres organiques, principalement les benzophénones, présentent également un risque cancérigène. Il a été observé également que l’octocrylène se dégrade au fil du temps sous forme de benzophénone une fois le produit cosmétique ouvert. Un argument supplémentaire pour ne jamais conserver ses produits solaires au-delà d’une saison.

 

Parmi les filtres organiques, certains sont enfin soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens potentiels : l’homosalate, les benzophénones, l’ethylhexyl methoxycinnamate (octinoxate), le 4-methylbenzylidene camphor (4-MBC), l’ethylhexyl dimethyl PABA ou octyl dimethyl PABA (padimate O).

 

Les filtres solaires organiques non mentionnés ci-dessus n’ont pas démontré de risque à ce jour. Laurence Coiffard précise toutefois : « Les dernières molécules brevetées ne peuvent pas faire l’objet d’études indépendantes pour vérifier leur innocuité. » Trois filtres sont concernés : le terephthalylidene dicamphor sulfonic acid (ecamsule ou Mexoryl SX), le drometrizole trisiloxane (Mexoryl XL), l’UVMune 400 (Mexoryl 400).

 

Concernant les potentielles réactions allergiques, les filtres minéraux sont moins sensibilisants que les filtres organiques. « Le risque allergisant est démultiplié quand on augmente les concentrations sur la peau. C’est malheureusement souvent le cas, car les mêmes ingrédients sont présents dans beaucoup de cosmétiques différents appliqués au quotidien », met en garde Laurence Coiffard. Les personnes présentant une sensibilité cutanée doivent veiller à ne pas cumuler des produits contenant de l’ethylhexyl methoxycinnamate (octinoxate), des benzophénones (oxybenzone) ou du butyl methoxydibenzoylmethane (avobenzone).

Comme un poison dans l’eau

 

Les milliers de tonnes de produits solaires déversés chaque année dans les océans représentent un danger avéré pour les écosystèmes marins. Certains filtres solaires sont davantage incriminés que d’autres, comme l’indique Pauline Cotinat, docteure en biologie marine à l’université Nice Côte d’Azur (Alpes-Maritimes) et cofondatrice d’lnnov&Sea, start-up qui propose des tests d’écotoxicité marine in vitro pour mesurer la toxicité de produits cosmétiques sur l’environnement marin côtier : « Plusieurs études ont démontré un impact significatif de certains filtres solaires sur les récifs coralliens, induisant leur blanchissement. C’est le cas, par exemple, pour quelques filtres organiques – le benzophénone-3, l’octocrylène, etc. – mais aussi pour les deux filtres minéraux présents sur le marché, qui ont montré également un impact à d’autres niveaux de la chaîne trophique, comme sur des microalgues ou bien des poissons de récif. » La biologiste rappelle que deux filtres organiques ont été interdits de vente à Hawaii, dans un but de préservation des récifs coralliens : l’octinoxate et l’oxybenzone. A éviter donc si l’on souhaite limiter l’impact sur les océans.

 

Au-delà du choix du filtre solaire en lui-même, elle recommande de se tourner vers des formulations résistantes à l’eau et d’appliquer la crème au moins 30 minutes avant la baignade. L’objectif : limiter au maximum le relargage des ingrédients potentiellement toxiques de ces crèmes dans l’eau de mer.

 

Que penser des multiples logos qui revendiquent un « respect de l’environnement » ou plus généralement un « respect de l’océan » ? « Il n’est pas vraiment possible de savoir ce qu’il y a derrière, vu qu’il n’existe pas de réglementation précise sur ce sujet », informe Pauline Cotinat. Son conseil : « Cibler des marques qui communiquent clairement sur les analyses scientifiques réalisées sur leurs formulations, testées en conditions marines, par des laboratoires indépendants. » De plus en plus le font, à l’instar de Garancia, Avène, Krème, La Rosée, Respire, SVR, Unbottled, Uriage…

 

Finalement, la meilleure crème solaire « c’est celle que l’on n’utilise pas tous les jours, à longueur d’année », insiste Laurence Coiffard. Pour éviter tout risque pour la santé, on réserve l’emploi des produits solaires aux moments où la prévention des cancers de la peau est vraiment nécessaire : en période estivale, aux sports d’hiver, en randonnée, pendant les sports nautiques, quand on travaille en extérieur… » La professeure en cosmétologie préconise d’opter pour les formules les plus efficaces possible : « Plutôt des filtres organiques de nouvelle génération comme les triazines, avec un indice 50+, en format crème et sans alcool. » Employé à la fois comme solvant et pour assurer une texture fluide, voire « sprayable », l’alcool favorise en effet la pénétration transdermique des filtres. « Inutile et même dangereux », conclut-elle.