Absorber la clientèle d’un confrère

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Publié le 5 septembre 2013
Par Francois Pouzaud
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Engorgement des centres-villes, recrudescence de fonds invendables de petites pharmacies, lourdeur des regroupements, les rachats de clientèle permettent de sécuriser son périmètre en « absorbant » son concurrent le plus proche… Le point sur ces cessions particulières.

Plus simples à réaliser, les rachats de clientèle l’emportent neuf fois sur dix sur les regroupements et se réalisent souvent à l’occasion d’un départ à la retraite », observe Denis Dioque, avocat associé du cabinet Fidal-pôle santé à Aix-en-Provence. Ces opérations consistent à faire l’acquisition de certains des éléments incorporels (la clientèle) et corporels attachés au fonds de commerce (le stock, le mobilier, le matériel…). « Le rachat de clientèle est un mécanisme mis en place par la pratique des affaires, il se révèle être un bon outil de croissance externe pour celui qui rachète et une solution du moindre mal pour le cédant qui reçoit une indemnisation », souligne Annie Cohen-Wacrenier, avocat du cabinet ACW conseil.

Les démarches

A l’origine, cette opération n’était visée par aucun texte et soumise à aucun contrôle de l’administration. Toutefois, les autorités de tutelle se sont émues de ces fermetures « sauvages », certaines pouvant porter atteinte à une répartition harmonieuse des officines sur le territoire. C’est pourquoi, depuis la loi de finances 2012, ces opérations sont désormais soumises à autorisation préalable de l’agence régionale de santé (ARS), même si le résultat de son avis ne conditionne pas la faisabilité du rachat. Il y a déclaration par le cédant de sa cessation définitive d’activité de l’officine. Cette dernière entraîne la caducité de la licence qui doit être remise au directeur de l’ARS. Sur le plan de la procédure, la promesse de vente définit les conditions de l’opération (obligations des parties, montant de l’indemnité à verser au cédant, calendrier de la transaction…). Bien qu’il n’y ait pas vente de l’officine, les formalités de publicité relatives aux cessions de fonds de commerce sont respectées et, sur le plan social, les salariés sont transférés sur le fondement de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Donc, attention aux conséquences sociales ! Dès lors que la fermeture de l’officine conduit à supprimer la totalité des emplois, « la procédure de licence pour motif économique doit être diligentée », souligne Corinne Daver, avocate spécialisée en droit de la santé au cabinet Fidal à Paris. Sur le plan fiscal, aux termes de l’article 719 du Code général des impôts, les cessions de clientèles commerciales sont taxables. Les mutations à titre onéreux de clientèle sont soumises aux droits d’enregistrement perçus sur le prix de la vente de l’achalandage, de la cession du droit au bail et des objets mobiliers ou autres servant à l’exploitation du fonds.

Les précautions

Le « rachat pour fermer » ne règle pas la question de la licence libérée et, contrairement au regroupement, n’entraîne pas le gel des licences pendant 12 ans. L’acquéreur n’est donc pas à l’abri d’un risque de transfert venant d’une autre commune si, à la suite du rachat de clientèle, le nombre d’officines est inférieur au nombre requis en fonction des quotas de population (2 500 habitats pour 1 officine, 4 500 habitants pour chaque officine supplémentaire). « Souvent, l’avantage du gel n’est pas nécessaire, rassure Denis Dioque. Les rachats pour fermeture se passent dans des zones de surdensité, où les quotas sont déjà largement dépassés, d’autant que le quota rehaussé à 4 500 habitants pour une pharmacie supplémentaire accroît mécaniquement le phénomène dit de surnombre. » Néanmoins, si la commune ne présente pas de pharmacies en surnombre, Annie Cohen Wacrenier suggère de procéder préalablement à un regroupement de manière à profiter du gel de licence de 12 ans. Puis, une fois l’autorisation de regroupement obtenue, l’objectif est de procéder à la cession des éléments du fonds de la pharmacie à fermer. Si l’autorisation de regroupement est demandée conjointement par les deux parties, en revanche le pharmacien acquéreur sollicite en son seul nom l’enregistrement d’une déclaration d’exploitation de l’officine, sous couvert de la licence de regroupement.

Les variantes

Le schéma traditionnel consiste à racheter à une seule pharmacie la clientèle de son concurrent le plus proche pour s’assurer une croissance de la fréquentation. Mais on peut également considérer l’opération comme un moyen, au sein d’une même commune, d’éviter l’arrivée d’un discounter. En effet, une pharmacie qui « végète » peut attirer les convoitises d’un repreneur désirant casser les prix. Ainsi à Cognac, 24 pharmacies de la ville et sa périphérie se sont unies pour déposer une offre commune de « rachat de la clientèle » d’une pharmacie de centre-ville mise en liquidation judiciaire. Le cabinet de transactions qui a déposé cette offre d’un montant de 120 000 € auprès du tribunal de commerce a calculé pour chaque acquéreur une quote-part de participation proportionnelle à la distance qui sépare son officine de celle de la pharmacie qui a été fermée. Bien qu’installé à 1 km de l’officine concernée, François Dupeyrat a donné une participation de 4 000 €. « Les retombées sont minimes et difficilement chiffrables, mais je trouvais important de venir en aide à un confrère en faillite et en même temps de protéger l’ensemble des officines de Cognac de l’arrivée éventuelle d’un repreneur discounter », explique-t-il. Concernant le traitement comptable, « ce montant est considéré comme un apport d’actif au bilan, augmentant la valeur d’acquisition du fonds, ce qui minorera d’autant la plus-value au moment de la revente de l’officine ».

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Astuce

La clause de variation de prix

Il est possible, dans la promesse de vente, d’envisager une clause de variation du prix. Un premier montant fixe est versé à la réalisation de la cession. Puis, à l’issue d’une année suivant la transaction, un complément de prix peut être prévu, calculé en fonction de l’augmentation de chiffre d’affaires qui aura été constatée. Par exemple, le complément est déclenché si 80 % du CA de l’officine ont été récupérés.

En pratique

Assurer le report de la clientèle

Les époux Charbonnier ont repris en octobre 2012 une pharmacie de 1,7 M€ de CA (achetée 1,3 M€), place Jacques-Froment dans le XVIIIe arrondissement de Paris, et ont racheté simultanément la clientèle de la pharmacie la plus proche située au 150, rue Lamarck. Le CA de cette pharmacie baissait d’année en année (700 000 € juste avant la cession) et l’exploitation n’était plus vraiment viable depuis la forte augmentation de son loyer. « Le titulaire était en âge de prendre sa retraite, aussi plutôt que d’attendre la mort de sa pharmacie nous avons choisi de racheter la clientèle car, même si le fonds paraissait difficilement vendable, nous n’étions pas à l’abri de l’action d’un repreneur, raconte Stéphane Charbonnier. Avec cette fermeture, notre plus proche concurrent est à 200 mètres, ce qui est une distance importante pour Paris ! » La transaction se négocie à 30 % du CA TTC. « Notre business plan tablait sur un report de 50 % du CA, ce qui n’était pas une très grande prise de risque compte tenu aussi de notre apport personnel (350 000 €) », précise-t-il. Le recul manque encore aujourd’hui, mais le report de clientèle a été optimisé. « La cédante avait annoncé ce “regroupement” trois mois avant, par voie d’affiche dans laquelle elle remerciait ses clients et indiquait que leurs dossiers allaient être transférés dans notre pharmacie. De plus, nous l’avions embauchée en CDD de trois mois au coefficient 550 ».

F.P.