Le conseil naturellement

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Publié le 30 septembre 2014
Par Myriem Lahidely
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La Pharmacie Normand, hyperspécialisée en médecines naturelles, se démarque par ses bulles de confidentialité. Tout a été pensé pour favoriser l’échange avec le patient. Les clients approuvent et le chiffre d’affaires décolle !

Nous sommes dans une démarche d’accueil et d’écoute, je voulais recevoir mes clients dans les meilleures conditions, et pas seulement au comptoir qui ne permet pas d’échanger en toute tranquillité. » Partant de ce constat, Florence Normand, titulaire à Céret dans les Pyrénées-Orientales, s’est décidée à faire un pari osé. Quitter le centre de cette commune de 7 500 âmes, où opèrent déjà deux autres pharmacies et où elle travaillait depuis 2006 dans une pharmacie peu visible et exiguë. Et transférer dans le quartier du pont du Diable, un peu excentré,en bas de la ville, pour développer le conseil associé en phyto et aromathérapie. « J’ai eu peur de m’éloigner, avoue Florence Normand. Les lotissements alentour sont un peu délaissés, mais je n’y allais pas pour faire de la parapharmacie à prix cassés afin d’attirer le chaland. » La titulaire a créé une pharmacie de quartier en aménageant, dans un restaurant en faillite entièrement à refaire, un espace de vente de 180 m2. Six fois plus grand qu’avant ! Elle y est installée depuis le 22 octobre 2013.

En entrant dans l’officine, on comprend qu’on arrive dans une pharmacie différente des autres. On est interpellé par trois bulles de verre sur le côté droit. Ce sont trois pièces aux parois vitrées, tout en transparence. Les deux premières, qui ont vue sur l’extérieur, sont des espaces de confidentialité. L’une est réservée aux gens plutôt rationnels, l’autre aux plus émotifs (lire encadré ci-contre). Chacun de ces petits salons est décoré de plantes vertes. Car ici l’équipe a la consigne de proposer de prolonger la conversation entamée au comptoir dans un de ces espaces thématiques (où se font aussi les entretiens AVK sur rendez-vous) si elle ressent un besoin du client, et de poursuivre l’échange un autre jour, sur rendez-vous, le cas échéant.

Bien-être du client

Tout l’aménagement est pensé pour le confort du patient. A l’entrée à gauche, le point de vente débute par un petit salon transparent, murs blancs, table basse et fauteuils avec vue sur le jardin. Réservé à l’accueil des patients atteints de cancer, y sont exposés dans des petites niches des produits spécifiques (hygiène, perruques…). Le lieu est prolongé par une cabine d’essayage avec lavabo. S’ensuit un grand espace semi-ouvert, pour l’orthopédie. Une porte permet aux patients de quitter l’officine sans avoir à repasser par l’espace de vente. La confidentialité est assurée. Le cœur du point de vente incite à déambuler. La pharmacienne a refusé les gondoles trop hautes et trop nombreuses proposées au départ par les agenceurs. Y compris par le partenaire de Mobil’M à Montpellier qu’elle a finalement choisi. Florence Normand souhaitait conserver des pans de mur en pierres apparentes pour un espace de vente très épuré. « La tendance actuelle, c’est la méthode des grandes surfaces avec beaucoup de rayonnages et de plots au milieu. » Hors de question pour elle d’entraver la vue depuis l’entrée avec des marchandises. « Je ne voulais pas donner au client l’impression d’être dans un lieu où l’on vend, mais lui donner plutôt envie de se balader, mon officine a toujours eu un côté plutôt familial. »

La pharmacienne a toutefois cédé sur un point à son agenceur : quatre gondoles centrales de 1,5 mètre de haut sont implantées au cœur de l’officine. Elles accueillent les produits d’hygiène, le rayon bébé, les produits de saison et vétérinaires, les tisanes, etc. Ces modules balisent l’accès vers les quatre comptoirs situés au fond de l’officine, derrière lesquels la titulaire a installé l’OTC. « Le libre accès dévalorise notre travail et, dans ce cas, il n’y pas de raison que ce ne soit pas en libre accès ailleurs. » Le mur de gauche près des comptoirs illustre le parti pris de la pharmacie en matière d’assortiment. Sur huit descentes, seules quatre reviennent à la para (Lierac, Planters, Argiletz, Laino), la dermocosmétique (Avène, A-Derma) et aux shampooings (Phyto et Planters). Quelques produits La Roche-Posay, Lutsine et Bioderma ont été relégués en back-office. « Je référence les meilleures ventes de ces marques pour ne pas perdre trop de clients. Même si certains ont l’impression que je n’ai pas d’offre en cosmétique parce que je ne propose pas Caudalie, Vichy, Roc ou Nuxe. Peu importe, ces marques se trouvent dans les pharmacies voisines. » Les quatre autres descentes sont consacrées à l’aromathérapie (Phytosun Arôms), la phyto (Santé Verte), l’homéopathie (Boiron, Lehning), la micronutrition (Pileje et Nutergia) et aux Fleurs de Bach. « Ça paraît anticommercial mais ça marche, les gens nous disent que cette exposition particulière donne envie de flâner, et ils achètent parce que nous faisons beaucoup de conseil. »

La troisième bulle de verre, à droite des comptoirs au fond, abrite un laboratoire. Fait sur mesure, son meuble tout en tiroirs sert à ranger plus d’une centaine d’huiles essentielles, une dizaine d’eaux florales pour soins (yeux, dartres, eczéma, peau) et des huiles végétales. « Nous nous en servons pour préparer les tisanes, les flacons d’huiles essentielles que nous vendons au millilitre, et les aides à la prise telles que les sticks inhaleurs. » Les suppositoires, les gélules et autres préparations complexes sont sous-traités à Montpellier et livrées le lendemain. A la Pharmacie Normand, plus de 80 % du conseil associé est réalisé sur la médecine douce. Du ravintsara associé à de l’Activir pour un bouton de fièvre, de l’origan à du Smecta pour traiter une gastro, de l’hélichryse à une prescription antihémorroïdaire… De la phyto, de l’aromathérapie, de l’olfactothérapie, de la micronutrition…, les solutions de l’équipe avaient déjà fait florès au centre-ville. Et ça continue. « Le conseil, c’est la vraie prise en charge du patient. Quand on est malade on a autant besoin d’un soutien médicamenteux que d’un soutien moral », explique la titulaire. L’équipe a pris l’habitude d’inviter les clients dans les « bulles de verre » pour un conseil de qualité, en toute intimité. Le chiffre d’affaires hors ordonnances a grimpé de 16 % pendant les six premiers mois après le transfert.

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Férue de solutions naturelles, toujours prête à s’entretenir avec un patient, Florence Normand n’en est pas moins une chef d’entreprise. Au-delà d’un écrin propice à la conversation et d’un assortiment assumé, elle a mis en place une organisation au service de sa vision du métier. Miser sur l’accueil c’est faire en sorte que la pharmacie ne soit jamais vide : il y a toujours quelqu’un au comptoir. L’assistante est chargée de cette veille (dite « veille 1 ») et une sonnette permet d’alerter le back-office s’il y a du monde. En cas de besoin, celle qui est en « veille 2 » sort du back-office pour servir. Puis la « veille 3 », habituellement chargée de vérifier si tous les prix sont bien mis, est appelée si besoin.Et ainsi de suite. « Il est plus intéressant de servir que de ranger ou faire de l’administratif (veilles 4 et 5). Mais chaque jour tout doit être fait. Un tout de rôles a été instauré pour éviter que ne reviennent toujours aux mêmes les tâches ingrates », indique la pharmacienne. A droite de l’entrée, se trouve un comptoir d’accueil qui est occupé lorsque le rythme le permet. Elle y vient parfois faire des papiers, et orienter les clients.

Tous pour un

« A la Pharmacie Normand, tout le monde doit tout faire ! » Florence Normand délègue beaucoup, chacune de ses quatre salariées ayant une responsabilité en commandes : l’esthéticienne à la para,l’assistante aux génériques et références achetées en centrale d’achat, une préparatrice aux produits vétérinaires et orthopédie et une à la cancérologie et la nutrition. La titulaire se charge de l’aromathérapie et de la phyto « La confiance n’exclut pas le contrôle. Je vérifie toutefois lorsque la commande est en réserve, si ce qui a été fait est logique, dans le cas contraire on en discute, » admet-elle.

Une réunion mensuelle permet de faire le point,sur ce qui va bien et moins bien. Toutes les tâches quotidiennes ont été listées et validées ensemble. De même que les protocoles, les formations et aussi les « 10 commandements » (« Avec le sourire les clients toujours tu accueilleras, avec professionnalisme tu serviras ». etc.) affichés entre le back-office et l’espace clients. « C’est ça le management participatif. Cela évite beaucoup de messes basses et permet de rappeler les choses sans que cela soit contestable. S’il faut prévoir un changement, on en fait un ordre du jour lors de la prochaine réunion. » En cas de gros conflit, une réunion exceptionnelle peut être proposée. Car la bonne entente entre collaboratrices est primordiale. « Le client vient ici parce qu’il y a une bonne ambiance et que nous sommes à son service. » La titulaire a conscience de son exigence quant à la qualité de travail demandée à son équipe. Le côté un peu « cool » n’empêche pas l’obligation de résultats. « Le rôle du manager est de porter son équipe vers le haut. » Optimiser tous les actes (hors conseil) a amené la titulaire a tout chronométrer pour cadrer chaque opération (temps passé au téléphone, à ranger les commandes, créer un compte client sans erreur…) ainsi que la circulation dans le back-office « afin de ne pas y passer trop de temps et se consacrer plutôt au conseil et aux ventes », résume-t-elle. La rentabilité à l’étagère aussi est calculée. « Tous les six mois on étudie la rentabilité d’un laboratoire et l’utilité de prolonger son offre. »

Nouvelle organisation

Avec le transfert, le rythme a changé. « Le lundi nous étions deux car il n’y avait personne. Aujourd’hui c’est un de nos plus gros jours. » Au début, la fréquentation a été consignée sur un tableau Excel pour revoir les emplois du temps. Une telle organisation ne manque pas de bousculer un peu les employées, mais, en guise de clin d’œil, leur titulaire leur a offert une poupée vaudou qui sert de défouloir. Par ailleurs, Florence Normand a investi dans des visites de clients mystère de la CERP, proposées par son groupement Les Pharmaciens associés. « Cela permet de recadrer l’équipe si nécessaire. » Et de garantir la satisfaction clients.

Après un transfert démarré avec 2,8 emplois temps plein, l’officine fonctionne à 3,5 emplois temps plein (4 salariés). Les horaires d’ouverture ont été élargis. Et la confiance qui s’était déjà établie avec les médecins et les infirmières se poursuit. Durant les six premiers mois, le CA a connu une constante augmentation : + 160 000 € entre novembre 2013 et avril 2014 par rapport à la même période un an auparavant. Déjà la part du hors-médicaments remboursés a gagné 2,9 points. « Je ne sais pas comment faire face, si je dois embaucher et à quel poste. » Pour le moment, Florence Normand teste l’emploi d’une secrétaire 10 heures par semaine pour décharger l’équipe de l’administratif et lui octroyer plus de temps au comptoir. « On peut réussir sans être un débiteur de boîtes », parie-t-elle.

Pharmacie Normand Céret (Pyrénées-Orientales)

→ Equipe : 1 titulaire, 1 adjointe, 3 préparateurs

→ CA 2013 : 1,29 M€ HT (+ 5,3 %)

→ CA novembre 2013 à avril 2014 (6 mois après le transfert) : 782 299 € (+ 25,8 %)

→ Taux de marge remise génériques incluse : 29,1 % (- 0,45 point)

→ Coût du transfert : 300 000 € pour l’achat des murs et les travaux. Ï Surface totale : 300 m2

→ Surface de vente : 180 m2

→ Fréquentation : 137 clients par jour 6 mois après le transfert (+ 24,6 %)

→ Panier moyen :

• Tiers payant : 51,63 € (stable)

• Ordonnances hors tiers payant : 25,57 € (+ 8,5 %)

• Hors ordonnances : 14,30 € (+ 16 %)

→ Répartition des ventes

• 70,52 % de médicaments remboursables

• 17,14 % de médication familiale

• 12,34 % de parapharmacie

→ Groupement : Les Pharmaciens associés

→ Enseigne : non

Prise en charge

Cerveau gauche ou droit ?

La Pharmacie Normand a poussé son sens de l’écoute au point de créer dans l’espace de vente deux salons pour des entretiens. L’un est réservé aux clients qui fonctionnent plutôt avec leur cerveau gauche, et l’autre pour les cerveaux droits. « Selon une analyse du cerveau faite par Ned Herrmann, les premiers sont dans l’émotivité, les seconds dans la rationalité. Alors qu’il faut cocooner les uns, il faut être très précis avec les autres », résume Florence Normand. Le feeling et l’observation permettent de déterminer au comptoir le profil du client. « Appréhender le patient de cette façon permet aussi de savoir comment il faut l’aborder pour le conseiller. »

Toute l’équipe a été formée à la méthode Herrmann. Les salons ont été aménagés pour une écoute appropriée. Le premier, pour les émotifs, est conçu tout en rondeur, autour d’une table basse avec fauteuils similicuir noir. Le second, plus « carré », s’articule autour d’une table blanche avec chaises violettes.