La razzia des mégapharmas

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Publié le 25 novembre 2017 | modifié le 1 janvier 2025
Par Francois Pouzaud
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Les grandes pharmacies, réputées et redoutées pour leur politique de discounter, déferlent sur le territoire français. Souvent rattachées à une enseigne bénéficiant de la puissance d’un capital-investisseur, rien ne les arrête, menant la vie dure aux pharmacies à proximité, qui essaient de résister tant bien que mal. Une évolution qui paraît irréversible avec des consommateurs toujours plus demandeurs de large choix et de petit prix.

La déstabilisation que provoque l’arrivée de mégapharmacies qui opèrent avec une politique de prix très bas sur les produits non remboursables ou hors monopole revient régulièrement sous les feux de l’actualité, cristallisant chaque fois les inquiétudes des titulaires alentours. Il y a de quoi. Sans surface ni clientèle suffisante, impossible de leur emboîter le pas.

Devenues de plus en plus nombreuses et puissantes financièrement, ces pharmacies mastodontes accroissent la concurrence et éliminent mécaniquement ceux qui ne peuvent rivaliser ou se différencier. Elles doivent également leur ascension à marche forcée à une réputation qui ne se forge pas uniquement sur l’image prix. Leurs titulaires ont à cœur aussi de renforcer l’expertise de l’équipe et de se positionner sur le service.

Paris Pharma tisse sa toile

Plus que jamais, le sujet crispe et angoisse la profession, au point qu’à Paris, une association a vu le jour pour défendre l’indépendance des pharmaciens contre les velléités d’expansion, notamment de l’enseigne Paris Pharma, dopée par le fonds d’investissement Sagard et dont la nouvelle stratégie de développer des mégapharmacies a mis le feu aux poudres ces derniers mois. A d’autres endroits stratégiques de la capitale, la pharmacie des Sports dans le 17e arrondissement et la Pharmacie Anglaise, à l’angle des Champs-Elysées, sont déjà passées sous pavillon Paris Pharma. Quant au clonage de la Pharmacie Monge, dont la vocation est de devenir une enseigne parisienne à part entière regroupant exclusivement des pharmacies à profil très touristique, les responsables de Paris Pharma restent très discrets sur ce projet ambitieux. Si peu d’informations filtrent d’une manière générale sur leurs motivations et desseins. Laurent Keiser, directeur général de Paris Pharma, donne une indication : le nombre de pharmacies Monge se comptera sur les doigts d’une main. Par ailleurs, il précise que « dans le cadre du développement du réseau, moins d’une dizaine d’acquisitions d’officines ont été financées jusqu’ici par le fonds d’investissement ».

Il n’empêche. Avec ou sans intervention du fonds, l’acquisition de grosses cylindrées dans les métropoles régionales n’est pas en reste non plus. Dans le sud de la France, PACA Pharma a épinglé à son tableau de chasse la Pharmacie La Rotonde, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), une pharmacie de Marignane et la Pharmacie Pizzitola, à Cannes (Alpes-Maritimes).

En dépit des apparences, Paris Pharma se défend d’être une enseigne dont le critère principal de recrutement n’est dicté que par l’emplacement et la taille. « Il n’y a pas de modèle unique de développement car l’attente des patients est plurielle. De même, nous ne demandons pas au pharmacien qui souhaite rallier notre enseigne son pedigree en mètres carrés, l’objectif est de construire un groupe homogène de pharmacies de taille assez proche et avec un mix-produit en para et conseil équivalent, de manière à avoir une politique cohérente, notamment au niveau des achats », explique Laurent Keiser, précisant que le CA moyen d’une officine Paris Pharma est de 3,5 millions d’euros. « Au-delà de cette cohérence, il y a aussi les valeurs du groupe qui réunissent aujourd’hui 225 pharmacies indépendantes. Nous ne serons jamais 1 500, ce n’est pas l’essence de notre enseigne », ajoute Alain Hababou, président de Paris Pharma. Jusqu’ici, le déploiement de l’enseigne s’est fait par essaimage du modèle parisien en régions mais sans fédérer les différents groupements qui en sont issus : Nord Pharma, Rhône-Alpes Pharma, PACA Pharma… sous une marque commune. Cette marque a desormais été arrêtée par les dirigeants, ce sera Aprium.

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Lafayette fait le forcing

Dans le Sud-Ouest, berceau du groupe Lafayette, les pharmacies sous cette enseigne (plus d’une centaine au niveau national) cassent les prix et les codes. Ces pharmacies low cost qui attirent de plus en plus de clients, continuent leur ascension.

Au cœur d’Agen (Lot-et-Garonne), la pharmacie du Grand Sud-Ouest arbore depuis décembre 2016 les couleurs de l’enseigne qui n’en est pas à son premier coup d’essai. En décembre 2008, une pharmacie Lafayette avait ouvert ses portes dans le quartier de la gare, puis avait fermé en juin 2011 par manque de viabilité. Les pharmaciens alentours se préparent à nouveau à vivre des jours difficiles.

« A Brive-la-Gaillarde en Corrèze et à Périgueux en Dordogne, les pharmaciens sont parvenus à faire avorter deux projets de transfert de pharmacies Lafayette dans de vastes locaux, sur la base de la non amélioration de la desserte de la poulation. Ainsi, à Brive, la Grande Pharmacie de l’Europe projetait d’emménager dans l’ancien musée d’Art moderne sur 1 200 mètres carrés », précise Olivier Marquet, président de la FSPF corrézienne, installé à Tulle. Comme nombre de ses confrères de la région, il a été contacté par Lafayette. Dans quel but ? « On ne le saura jamais car l’enseigne n’a pas donné suite. »

Son vice-président, Gilbert Courcelaud, installé dans le centre-ville de Brive, a été en prise directe avec la pharmacie Lafayette. « Cette enseigne a une réelle volonté d’étendre son emprise sur le marché, constate-t-il. Aussi, pour la contrer, il y a deux ans j’ai regroupé mon officine avec celles de deux autres confrères et transféré la nouvelle entité à l’épicentre du triangle composé par les trois pharmacies. » Renaud Chancel, titulaire de la Grande Pharmacie de l’Europe, n’a pas souhaité s’exprimer sur les motivations qui l’ont conduit à demander son transfert dans l’ancien musée.

Dans le centre de Pau (Pyrénées-Atlantiques), la Pharmacie des sept cantons, ex-pharmacie Lafayette, est passée depuis quelques mois sous enseigne PharmaBest. Sa titulaire, Sylvia Perri, en avait assez d’être ponctionnée de manière récurrente par l’enseigne Lafayette de 3 à 4 points de marge sur ses conditions d’achat. « Lafayette devient trop gourmand avec ses adhérents, cela devient périlleux de rester dans ce réseau », estime-t-elle. Ce changement d’enseigne n’est cependant pas de nature à rassurer le milieu pharmaceutique local, qui depuis octobre dernier, doit faire face à une concurrence encore plus rude après l’agrandissement de la pharmacie. Dans 80 m2, elle réalisait 10 millions d’euros de CA. Avec maintenant 400 m² sur deux niveaux, reliés par un escalator, Sylvia Perri nourrit de nouvelles ambitions. La néo-enseigne PharmaBest se développe en s’appuyant sur des prix compétitifs et des formules promotionnelles attractives, mais aussi sur des services différenciants avec notamment l’installation de cabines particulières pour l’allaitement, la vente de prothèses mammaires… L’annonce de cet agrandissement dans la presse locale lui vaut déjà quelques déboires. Sept plaintes ont été déposées au conseil de l’Ordre après la publication de plusieurs articles mettant en valeur le nom de son groupement. « Cette pharmacie siphonne les autres, cinq pharmacies ont fermé en centre-ville, dont trois situées dans un périmètre de 200 mètres autour de la Pharmacie des sept Cantons », rapporte Olivier Dupont, secrétaire départemental de la FSPF. Sylvia Perri refuse toutefois d’endosser la responsabilité de ces fermetures.

En terre paloise, Lafayette fait aussi partie du paysage. Sa future vitrine, avec une nouvelle pharmacie adhérente récemment implantée au nord de Pau, avenue Jean Mermoz, et deux autres qui s’apprêtent à ouvrir dans la première couronne semi-rurale, à Bordes et à Morlaàs d’ici à la fin de l’année, devrait obscurcir davantage l’horizon déjà très chargé des pharmaciens locaux.

•  Du fait de leur puissance financière et de leur position sur le prix, les mégapharmacies, écrasent sur leur passage les officines situées à proximité, incapables de rivaliser.

•  Ces mastodontes connaissent parfois des revers. A Pau (Pyrénées-Atlantiques), une pharmacie Lafayette est passée sous enseigne PharmaBest et dans le Sud-Ouest, des concurrents sont parvenus à faire échouer des transferts de pharmacies à la croix occitane.