Carrefour paramédical

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Publié le 4 juin 2013
Par Myriem Lahidely
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Unique en son genre, la pharmacie de Village Santé associe un pôle d’expertises paramédical aux codes marchands de la grande distribution. Audioprothésiste, opticien… Tout est pensé pour offrir en un seul lieu un maximum de prestations santé. Visite.

La pharmacie du village santé porte bien son nom. Dans l’idée de ses concepteurs, elle représente « le bourg où l’on a tout pour s’approvisionner. Nous voulions qu’en entrant ici les gens trouvent ce dont ils ont besoin et s’y sentent bien ». Derrière l’immense façade de baies vitrées en rotonde, l’espace de vente s’étend sur 290 m2, avec une offre foisonnante en médication familiale et parapharmacie. L’outil a été organisé sur le modèle de la grande distribution : plafonds hauts, linéaires bien rangés, suffisamment bas pour donner une vision d’ensemble et séparés par de larges allées (1,40 m). Comme à Castorama, les rayons se repèrent à la couleur d’immenses abat-jour en plexiglas, suspendus au-dessus : vert foncé pour l’espace médicament/médication familiale, fuchsia pour ladermocosmétique, bleu ciel pour les produits bébé, vert clair pour la phytothérapie et l’aromathérapie, bordeaux pour le matériel médical… Signe particulier de cette « supérette de la santé et du bien-être. » : ses services santé. Ici sont rassemblés différents espaces spécialisés (optique, MAD, et audioprothèse) et une salle pour les entretiens personnalisés. « Nous avons fait du livre blanc de l’Ordre des pharmaciens et de la loi HPST nos livres de chevet pour chercher de la marge ailleurs que dans le médicament », résume la titulaire. Après une dizaine d’années passées dans l’industrie comme responsable de production (chez Dolisos), puis douze ans dans son officine de quartier, Marie-Hélène Orzalesi-Tissié a fait sa révolution. Et profite du projet de la nouvelle mairie, bâtiment gigantesque livré par Jean Nouvel l’an dernier, pour demander un transfert de 300 mètres. Afin de justifier sa démarche, la pharmacienne avait précisé dans son dossier la construction d’un bâtiment de deux niveaux, en vue de réserver une partie de l’étage à l’installation de professions médicales. Le projet immobilier a été monté en Société civile de construction vente (SCCV) afin de pouvoir vendre des locaux à quatre médecins et deux infirmières qui y ont ouvert leur cabinet. Avec son mari Marc, gestionnaire fourmillant d’idées qui l’accompagne dans le développement de l’entreprise, Marie-Hélène a dessiné « sa » pharmacie de demain. « Je n’ai pas demandé un transfert juste pour être plus au large. Dans ce quartier en pleine expansion, le potentiel de passage est énorme. Je me devais de réagir et me diversifier pour m’en sortir », annonce-t-elle. Ouverte en août 2011, la nouvelle structure, huit fois plus spacieuse que l’ancienne, réunit en un seul lieu de maximum de réponses aux besoins de santé les plus courants de la clientèle. Une clientèle habituelle, à laquelle s’ajoutent désormais les 3 000 personnes présentes chaque jour dans les bureaux flambant neufs alentours.

« Showroom » pour le MAD

Madame Orzalesi a tiré les leçons de sa précédente expérience dans l’officine de 80 m2, qu’elle gérait depuis 1999. « Il n’est pas évident de proposer des choses que l’on ne peut pas montrer. Vendre des fauteuils roulants électriques ou un lit médicalisé sans les présenter n’est pas crédible pour les patients, ils ne vous en pensent pas capables, s’ils ne voient pas les produits. » Sur ce constat, elle a imaginé des espaces dédiés qui ont été intégrés à l’officine sous forme de véritables « shop-in-shop ». Ainsi, le matériel médical est présenté dans une sorte d’appartement témoin à droite de l’entrée. Y sont exposés lit médicalisé, matelas à air, lève-personne, fauteuil roulant ou déambulateur droit ou rotatif… Dans la salle de bains, on peut voir une baignoire à ouverture latérale et des solutions antidérapantes. Le « showroom » de 60 m2 expose aussi des protections pour incontinents, des chaussures orthopédiques, des bas et collants de contention, aux côtés d’un rayon d’aides à la prise du médicament. « Les personnes âgées prennent des médicaments tous les jours, et les piluliers génèrent un achat d’impulsion important » observe la titulaire. Le gros matériel, lui, a nécessité une logistique spécifique. Les livraisons sont opérées par Kimed, société issue d’un groupement créé à Frontignan par des kiné­sithérapeutes. « Lorsqu’ils vont chez un patient, avec leurs compétences, ils nous représentent » note Marc Orzalesi. Partie de zéro sur le MAD, l’officine, grâce à cette activité, a déjà réalisé un chiffre d’affaires de 80 000 euros.

Bien entendu, bien vu

Dans le cadre de son positionnement multiservice, le « village santé » a intégré deux autres activités à forte marge, situées dans le fond de la pharmacie (en face de l’entrée) : l’audioprothèse et l’optique. Leur gestion est assurée par deux diplômés, salariés de l’officine. Outre les compétences, la pharmacie s’est donné les moyens techniques. L’espace audioprothèse est pourvu d’une cabine de 12 m2, insonorisée par triple vitrage avec cloison absorbant la réverbération, et petits haut-parleurs haut de gamme. Les clients y sont reçus pour des consultations (tests d’audition et bilans auditifs), pour le choix d’un appareil, un réglage ou une réparation… « Avec le papy-boom et les avancées technologiques, ce marché est en plein essor. Nous travaillons en collaboration avec des ORL », précise Damien Passerat, l’audioprothésiste. Celui-ci fidélise sa clientèle grâce à un suivi dans la durée : les patients sont vus tous les quatre mois. Il multiplie les détails qui peuvent faire la différence pour les clients, comme un mois d’essai à la maison, le remboursement des piles une fois par an à la date anniversaire, des « bons » de parrainage… « Le bouche-à-oreille s’est mis en route, l’activité monte en flèche, note-t-il, les chiffres sont bas pour l’instant mais avec un CA de 25 000 euros dès la première année c’est déjà rentable », calcule Marc Orzalesi. Ne l’est pas encore le « Carré de l’optique », magasin contigu à l’espace audioprothèse doté d’un bureau en « open space » pour les consultations. « Un Français sur deux porte des lunettes, le marché est énorme. Nous nous positionnons de façon très professionnelle vis-à-vis des clients mais aussi de la CPAM », explique la titulaire, qui a analysé le marché avant de se lancer. Le rayon Opti Kid, consacré aux enfants de 0 à 8 ans, constitue également un point fort de l’officine. La pharmacie est adhérente de la centrale Luz Optic, qui lui accorde notamment une délégation de paiement. Essilor fournit le matériel ad hoc pour l’atelier, une pièce dotée d’un optomètre permettant de réaliser des examens de vue. « À partir d’une ordonnance, nous pouvons suivre les patients pendant trois ans en assurant les contrôles de vue entre deux rendez-vous chez l’ophtalmo », se réjouit Marc Orzalesi. Pour l’optique, la pharmacie a investi 70 000 euros appareillage compris. « La charge salariale est couverte mais pas encore l’investissement, il faudra quatre ans pour dégager un réel bénéfice. » L’officine table sur le bouche-à-oreille et sur le retour d’ophtalmologues de la ville.

Au plus près des patients

Au-delà de l’offre large et de l’espace, la pharmacie du village santé a fait en sorte que l’équipe se consacre totalement à la vente et au conseil. Avec un automate pour éviter les déplacements. Mais surtout avec une seule et unique caisse, où une hôtesse se charge de tous les paiements. À noter : cette caisse sert aussi de comptoir d’accueil. « Nous ne gérons plus les rendus monnaie, les dus aux clients ni les appels téléphoniques. Nous nous consacrons au patient en passant plus de temps à commenter l’ordonnance, en associant des conseils complémentaires », résume la pharmacienne. Le conseil est ainsi déconnecté du paiement. Dans chaque rayon une sonnette permet d’interpeller l’équipe et lui signale où trouver le client en demande. « Nous travaillons avec le même nombre de salariés qu’avant dans un espace beaucoup plus important », justifie la titulaire. Dans cet esprit proche des patients, a été aménagé un « espace diagnostic » près des comptoirs « ordonnances », comme un petit salon, fermé, pour la confidentialité, doté de fauteuils et d’une table basse. Y sont menés des entretiens sur différentes problématiques : commenter l’ordonnance à un diabétique, montrer comment utiliser un appareil de prise de glycémie, développer un argumentaire sur les huiles essentielles et l’aromathérapie, répondre au besoin de discrétion d’un patient… La titulaire et ses adjointes sont formées sur les AVK, et le seront bientôt sur le suivi des asthmatiques.

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Prestataires venus d’ailleurs

Le « village santé » émane d’une longue stratégie de réflexion. Ainsi les époux Orzalesi ont pris le parti de rechercher des prestataires en dehors des sentiers battus de la pharmacie. De Caddie pour la barrière automatique de sortie, au service d’un designer (Rémi Orzalesi) qui a dessiné les comptoirs blancs et d’un architecte du centre de la France (Guillaume Cornier) pour les meubles personnalisés en métal tout en arrondis. « Il customisait déjà les meubles de Sephora et nous a amené son savoir-faire en matière de contraintes métal ou bois », indique la titulaire.. Une indépendante de la région (Caroline Azais de CA Conseil) a assuré les études de marché et la formation du personnel pour améliorer la rentabilité. Par contre, pour son assortiment et son zoning, l’officine s’est appuyée sur un expert en pharmacie : OsPharm. « Nous avons été conseillés à partir des parts de marché que les produits représentaient dans la région. Alors que nous ne référencions pas Avène, nous l’avons implanté et en quatre mois, le CA a rejoint le niveau des ventes des alentours », résume Marc Orzalesi. Les premiers choix, de services et d’organisation, ont déjà permis au chiffre d’affaires de passer de 1,3 M€ à 1,7 M€ entre 2010 et 2012, à effectif identique. Une croissance pas encore à la mesure de l’investissement et de la taille du point de vente. Il faut dire que les boutiques audio et optique ne sont ni visibles ni signalées en entrant et le personnel n’a pas encore le réflexe d’aller au-devant de la clientèle. De fait, les dirigeants font le constat qu’ils sont « passés de l’artisanat à l’industrie avec un outil dont l’équipe n’intègre pas toujours la valeur ajoutée ». Marc Orzalesi reconnaît : « En douze ans, nous étions rodés avec notre équipe, et en arrivant ici nous avions notre idée pour les postes de chacune en fonction des goûts et des compétences, mais manifestement ce n’est pas suffisant, un tel espace fait peur. Il va falloir nous faire aider en termes de management. » Les salariés vont devoir s’approprier leur nouveau « village ».

Pharmacie du village santé Montpellier (Hérault)

→ Équipe : 1 titulaire, 3 adjointes, 1 audioprothésiste, 1 opticienne, 3 préparatrices, 2 hôtesses de caisse

→ CA 2012 : 1,7 M€ TTC

→ CA 2011 et 2010 : 1,5 M€ et 1,3 M€ TTC

→ Taux de marge avant remise générique 2012 : 28,5 %

→ Taux de marge avant remise générique 2011 : 27,9 %

→ Surface totale : 630 m2, dont 290 m2 de surface de vente

→ Surface avant transfert : 80 m2 dont 45 m2 d’espace de vente

→ Coût des travaux : 450 000 €

→ Fréquentation moyenne : 200 clients/jour

→ Panier moyen : 30 €

→ Répartition :

• 68 % de médicaments remboursables

• 22 % de médication familiale

• 10 % de parapharmacie

→ Groupement : Pharmagroup Montpellier et Népenthes

→ Enseigne : non

Convivialité

Un espace détente !

A droite du comptoir d’accueil, un espace détente avec deux tables et tabourets hauts met à disposition un distributeur de boissons, une zone de lecture de journaux axés bébés, famille et psychologie, et un rayon de livres à la vente. L’idée ? : créer une zone conviviale pour ceux qui travaillent ici et pour les clients. « Il est important de bien les recevoir. S’ils attendent leur tour ou un rendez-vous dans un de nos espaces dédiés, nous les faisons patienter là, en leur offrant une boisson », explique Marc Orzalesi. Le coin fonctionne aussi très bien pour un accompagnant qui ne veut pas faire la queue. « La machine installée par une société spécialisée est très rentable », constate-t-il. La vente de livres, moins. « Nous en offrons parfois, comme geste commercial après un conseil vente de plusieurs huiles essentielles par exemple. »