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La vente en ligne… à ne pas franchir
Evoqué depuis le 30 janvier par le Premier ministre Gabriel Attal lors de son discours de politique générale, le projet de loi sur la dérégulation de la vente en ligne de médicaments suscite une profonde inquiétude parmi les pharmaciens. Quelles menaces fait-il peser sur les officines et la santé des patients ? Le point.
1. Y a-t-il, oui ou non, un projet de loi sur la vente en ligne de médicaments ?
Un projet de loi déverrouillant la vente sur Internet de médicaments figure bel et bien à l’agenda du gouvernement. Mais il est, pour l’instant, à l’état de « réflexion », s’est empressé d’affirmer Marc Ferracci, le député artisan de cette potentielle réforme, après le cri de colère poussé par les pharmaciens en grève le 30 mai dernier. Pour l’heure, le député Renaissance des Français établis hors de France dit s’interroger sur la pertinence « ou non d’assouplir les règles de la vente en ligne des médicaments sans ordonnance ».
En attendant, le gouvernement a rassuré les syndicats. Même si la volonté de l’exécutif reste forte « aucun calendrier n’est prévu ». « L’épée de Damoclès plane toujours au-dessus de nos têtes », résume Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Yannick Sala, le conseiller aux professions libérales de la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, Olivia Grégoire, a ainsi assuré, le 30 mai, aux représentants de la profession, « ne rien vouloir faire sans les consulter ». Lors de cet échange, le terme de « coconstruction » a même été employé, l’idée étant désormais d’échanger avec les pharmaciens sur ce projet de libéralisation de la vente en ligne des médicaments.
2. Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il libéraliser l’e-commerce ?
« Le gouvernement estime que la vente en ligne des médicaments n’est pas aussi développée en France que dans d’autres pays européens, explique Pierre-Olivier Variot. Cela témoigne peut-être de l’inutilité de ce dispositif : les pharmacies sont présentes sur tout le territoire, les patients s’y rendent sans trop de difficultés. En cas d’impossibilité de se déplacer, les officinaux se rendent aussi chez leur patientèle. »
3. Quels sont les risques pour les pharmaciens ?
La création de plateformes de vente en ligne et de stocks déportés est au cœur de la mésentente entre les syndicats et l’exécutif. Selon le gouvernement, ces plateformes seront gérées uniquement par des pharmaciens : « La volonté est louable mais nous ne sommes pas à l’abri d’un intérêt grandissant des géants de l’e-commerce, comme Amazon, pour notre activité. Le mastodonte du commerce en ligne pourrait, par exemple, attaquer l’Europe au nom de la libre concurrence, en proposant de salarier des pharmaciens pour pouvoir vendre des médicaments », prévient le président de l’USPO. Selon lui, Amazon serait même capable de s’attaquer aux spécialités sur ordonnance, « s’il décidait du manque de rentabilité du médicament OTC (over the counter) ».
Depuis novembre 2020, le service Amazon Pharmacy, du leader de l’e-commerce, propose à ses clients américains une livraison gratuite de leurs médicaments. Depuis janvier 2023, le groupe offre même un accès illimité et sans frais supplémentaires à des traitements pour plus de 80 pathologies, en contrepartie d’un abonnement mensuel de 5 $. En France, ce modèle peut intéresser de nombreux patients : d’après une étude du cabinet allemand Simon-Kucher & Partners, plus de 20 % des clients français d’Amazon se disent intéressés par son offre pharmaceutique. Cela représente plus de 6 millions de personnes.
Philippe Besset rejette avec la même vigueur l’idée d’une dérégulation. « La France a le meilleur accès aux médicaments en Europe. Il y a des pharmacies partout, l’accès aux médicaments n’est donc pas un problème. Le vrai sujet, c’est le maintien du maillage officinal ». Or, celui-ci se fragilise depuis quelques années et un accès facilité des patients à la vente sur Internet de médicaments pourrait définitivement le “plomber”. « Plus il y a de ventes sur Internet, moins il y a de pharmacies sur le territoire. Et moins il y a d’officines, plus les ventes en ligne prospèrent », met en garde Pierre-Olivier Variot.
4. Quels sont les risques pour les patients ?
« Lorsque vous achetez vos médicaments sur Internet, vous ne bénéficiez pas du conseil du pharmacien. Il ne vous connaît pas, ne maîtrise pas vos antécédents médicaux, vos pathologies. Son analyse en direct est essentielle pour la santé des patients et éviter les risques d’iatrogénie », explique Pierre-Olivier Variot. Il rapporte d’ailleurs le cas d’un patient de 47 ans décédé d’une crise cardiaque après avoir pris un médicament commandé sur un site étranger. « Est-ce ce système de santé-là que nous voulons en France ? », poursuit le président de l’USPO. Selon lui, l’e-commerce est contraire à la notion de juste dispensation du médicament prônée par les pouvoirs publics. « Le médicament n’est pas un bien de consommation comme un autre. Lorsque l’on suit un traitement, la première question ne doit pas être : à partir de combien de boîtes puis-je bénéficier des frais de port gratuits ? », conclut-il
Pour David Syr, directeur exécutif de Cegedim Pharma et directeur général adjoint de Gers Data, c’est la relation thérapeutique entre le patient et le pharmacien qui risque de pâtir de cette libéralisation. « Le métier de pharmacien, c’est un regard, une écoute particulière des besoins du patient. C’est une relation de confiance, une alliance thérapeutique qui se crée. Nous avons mesuré l’importance de cet accompagnement pendant la crise sanitaire du Covid-19. Comment maintenir ce lien sociétal essentiel dans un contexte de dérégulation ? Est-ce un réel progrès ? »
5. La volonté de déréguler l’officine n’est pas nouvelle. Quelles ont été les précédentes tentatives ?
En 2013, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée en faveur de la dérégulation du marché des médicaments sans ordonnance. Un an après, un rapport de l’Inspection générale des finances proposait, lui, d’abolir le monopole des pharmaciens sur la distribution de « médicaments à prescription facultative ». Créé dans ce sillage, le projet de loi « Croissance et pouvoir d’achat » envisageait cette fin de monopole, qui aurait permis à la moyenne et grande distribution de vendre des médicaments OTC dans leurs magasins. En 2020, ce « serpent de mer » – comme les syndicats l’appellent – a refait surface, à la faveur de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap).
6. Comment les pharmaciens sont-ils parvenus à y mettre un terme ?
Une forte mobilisation de la profession a permis d’écarter les menaces de plateformes de vente en ligne de médicaments et de stocks déportés. Le 30 septembre 2014, 90 % des pharmacies avaient fermé leurs portes en signe de protestation. En 2020, c’est le combat des syndicats qui a permis le vote par le Sénat de « nouvelles modalités respectant les lignes rouges de la profession ».
7. Comment cela se passe-t-il dans les pays européens où la vente en ligne de médicaments est autorisée ?
L’Allemagne, où le marché de la vente en ligne de médicaments est l’un des plus développés d’Europe, a perdu plus de 300 officines par an entre 2018 et 2020. La densité des pharmacies y est de 23 officines pour 100 000 habitants, ce qui est très en deçà de la moyenne européenne de 32 pharmacies pour 100 000 habitants. Cette érosion du maillage officinal se vérifie également au Danemark, qui ne compte plus que 7 pharmacies pour 100 000 habitants. Idem pour la Suède, fervente promotrice du commerce de médicaments sur Internet, dont le maillage est trois fois moins dense que celui de la France, établi à 108 officines pour 100 000 habitants en 2023.
8. Quelles sont les alternatives à la dérégulation ?
Les syndicats proposent la création d’un « standard » pour mettre en relation les patients avec leur pharmacien habituel. « C’est un énorme chantier sur lequel planche Alain Grollaud, le président de la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies, Federgy. L’idée, c’est que le patient puisse passer commande sur un site en le reliant directement à sa pharmacie. Celle-ci pourrait ainsi le livrer, par le biais d’un transporteur ou par ses propres moyens. Cette solution permettrait ainsi de maintenir le lien avec le patient et de l’accompagner au mieux », explique Pierre-Olivier Variot.
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