Cosmétiques : la para à la papa, c’est vraiment fini ?

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Cosmétiques : la para à la papa, c’est vraiment fini ?

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Publié le 10 juin 2022
Par Fabienne Colin
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Alors que les clients ont pris de nouvelles habitudes en ligne, l’officine réfléchit au futur de son rayon parapharmacie. Jusqu’à le réduire drastiquement ou le réinventer ? La question se pose.

A Paris, en entrant dans la pharmacie Bailly du côté de la rue Saint-Lazare (9e arrondissement), les clients tombent directement sur un patchwork de jeunes cosmétiques. Dans ce point de vente de 450 m², ne cherchez pas de meubles de marques. Il n’y en a pas ! Depuis son transfert dans un lieu plus petit, la titulaire de cette officine historique du réseau Pharmabest, Mathilde Clément, a choisi de déréférencer certains laboratoires. A l’heure où les nouvelles missions se multiplient et l’e-commerce s’ancre dans les habitudes, une nouvelle page de l’histoire de la parapharmacie est-elle en train de s’écrire ?

Favoriser la marge

 « La parapharmacie à la papa, c’est fini ! C’est le cas des marques aux vieux réflexes, qui ne communiquent pas sur leurs revendeurs, pas sur leur composition, pas avec leurs clients… Au contraire, celles comme Kreme, in&out, Bader, Odacité ont une communauté », estime Constance Rebholz, qui travaille aux côtés de sa soeur à la tête de la pharmacie de Bailly. « Pendant des années, les pharmacies se sont gavées sur un modèle de supermarché avec des marges extrêmement basses et des volumes considérables. Cette époque est révolue. Ainsi, pour le sourcing, je considère évidemment la composition, la réalité de la marque, son offre, mais aussi sa marge ». Et de poursuivre : « Ça marche à condition de savoir les identifier et les vendre », poursuit celle qui a une formation initiale en stylisme. Tactique, elle a choisi de collaborer avec les dirigeants de jeunes pousses, – d’aller les chercher un à un, notamment via son réseau d’attachés de presse spécialisé dans le luxe -, qui se diversifient dans la cosmétique. Au printemps, l’officine vantait en ligne des cosmétiques comme l’allemande de luxe Augustinus Bader, la californienne Odacité, ou encore, Exertier aux ingrédients issus des Alpes… Résultat de ce travail de fond, la pharmacie s’est fait un nom parmi les start-ups de la beauté. Dans un autre style, le réseau de pharmacies Pharm & You (30 officines de 3 M€ de chiffre d’affaires – CA, en moyenne) privilégie également la rentabilité. Sa méthode : un nouveau concept de proximité centré sur les services et une offre de para resserrée pour atteindre au maximum 30 % du CA. « Il s’agit du top 20 du marché de la beauté et du naturel. Nous proposons aussi une collection théâtralisée selon les saisons et beaucoup d’opérations spéciales. On ne fait plus de têtes de gondole, mais des bacs pour « les petits prix », comme les crèmes pour les mains, etc », détaille Stéphane Robert, qui avait déployé la chaîne Lafayette avant de lancer son enseigne en 2014. Aujourd’hui, il entend sortir de “la guerre des prix” qui est, selon l’ex-discounter, « partie sur le web ». Son concept, qui se veut adapté au « coeur de marché, c’est-à-dire aux officines qui réalisent un CA entre 1,5 M€ et 6 M€ », revendique « une marge entre 34 et 36 % et entre 12 et 15 % de résultat financier ». Soit une meilleure performance que celle des chaînes ciblant le volume. Les marques qui émergent en quelques semaines sur internet ont-elles pour autant une place significative en officine ? Pour cibler les jeunes férus des réseaux sociaux, Tik Tok en tête, certains groupements ont déjà revu leurs priorités à ce sujet. Chez Elsie, le message est clair : pas question de passer à côté de ces pépites. « Il faut surfer sur la vague quand elle est haute. Le niveau de marge plus élevé que la moyenne de la para standard permet de prendre des risques. On gagne 10 à 15 points de marge, explique Gaël Duchalet, responsable des achats chez Elsie. Ces marques font venir de nouveaux consommateurs, plus jeunes ». Malgré cela, dans ce réseau composé de grosses pharmacies (150 points de vente à 8,5 M€ en moyenne), l’offre demeure très large. Elle est aussi plus surveillée que jamais, à la référence près ! 

Revoir le merchandising

Le turn-over de marques remet aussi en question les habitudes en termes de merchandising. Ainsi, chez Elsie, par exemple, on voit apparaître des descentes dédiées aux réseaux sociaux. C’est la version moderne du fameux “Vu à la télé” ! Dans la même logique, chez Lafayette, on veut désormais « rationaliser les mètres linéaires, avec un merchandising plus précis, et adapter l’exposition à la croissance », explique Pascal Fontaine, directeur commercial de l’enseigne Pharmacie Lafayette. Cette stratégie implique une nouvelle occupation de l’espace. Désormais, au-delà du fond de rayon que le groupement estime indispensable pour respecter sa promesse de choix vaste, la chaîne peut consacrer ses têtes de gondoles à de jeunes labels. Il faut dire qu’elle a la capacité de tester au préalable ces marques dans sa géante parapharmacie toulousaine où sont exposées « plus de 30 000 références », remarque Pascal Fontaine. Ce dernier ouvre aussi les rayons à des marques habituées des parfumeries. Un exemple ? Après avoir référencé Darphin, Lafayette étend sa collaboration avec le groupe Estée Lauder, en accueillant pour la première fois cette année la très sélective Clinique.

Une diversification contrôlée

Tous les acteurs du marché s’attendent à ce que les marques qui ont poussé comme des champignons s’effondrent très vite. Tant qu’elles sont peu référencées, elles dégagent de meilleures marges que leurs aînées. Mais après ? Déjà les yeux sont rivés sur Lashilé Beauty. La jeune marque de gummies a explosé en 2021 (+ 473 % de ventes, selon Gers Data) grâce à une politique commerciale agressive à base de goodies. Or, après s’être vue concurrencée par Procter & Gamble avec zzzQuil sur le segment du sommeil, elle s’est fait racheter par le laboratoire Cooper. Pour quelle valeur ajoutée à moyen terme ? Une démocratisation ? Une guerre des prix favorable à la vente en ligne ? Les paris sont lancés. Reste que face à la profusion de nouvelles marques, les linéaires ne sont pas extensibles. « On assiste à une légère érosion du référencement – entre – 1 % et – 2 % de références vendues chaque année – depuis trois ans dans les plus grosses pharmacies, observe Nicolas Grélaud, directeur des opérations d’Open Health. Cette rationalisation est le fait d’une bonne gestion du référencement par les équipes officinales, qui privilégient les produits qui tournent au comptoir, a fortiori dans des périodes d’incertitude ». Le marché se professionnalise.

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Laisser le prix au Net ?

La crainte de voir partir la parapharmacie en ligne paraît infondée quand les plus gros acteurs imaginent ce circuit plafonner à un maximum de 20 % du marché. Et si la bataille du prix reste principalement en ligne, celle du conseil demeure l’apanage des magasins physiques. « En France, le marché de l’e-parapharmacie (Santé Discount, Newpharma, Easypharma….) est estimé à 500 M€ sans Amazon. Les corners de parapharmacie (chez E. Leclerc, Carrefour, Auchan, etc) pèsent un peu moins de 700 M€ et les produits de santé/beauté dispensés hors prescription en pharmacie 7,8 Md€, soit 11 fois plus. Certes l’e-parapharmacie est en croissance de 25 % (estimation 2021), mais cela représente “seulement” quelque 125 M€ supplémentaires », relativise Nicolas Grélaud. Si Lafayette a ouvert quelques parapharmacies de façon tactique, comme à Paris où l’implantation est difficile, d’autres testent une stratégie de délocalisation. C’est le cas de la méga officine de Quissac (Guard), qui a séparé son point de vente en deux pour diminuer le nombre de pharmaciens à rémunérer. Chez Pharmabest, on utilise l’argument du “lieu de test” (labstore) pour expliquer l’ouverture d’une parapharmacie Prado-Mermoz non loin de l’officine du même nom, à Marseille (Bouches-du-Rhône). C’est aussi un des seuls moyens d’avoir le droit à la publicité. « Avec le retour du local, nous allons probablement assister à une hypersegmentation des modèles », estime Nicolas Grélaud. « Certains s’orientent vers un guichet unique de services de santé de proximité, d’autres privilégient des modèles de grande consommation’ de produits de santé (points de vente élargis, offres promotionnelles). Ces deux expériences vont cohabiter, car elles répondent à des besoins distincts », estime le consultant. Pourtant l’officine peut difficilement faire sans internet. Il s’agit de rester en phase avec certaines pratiques désormais ancrées du consommateur. Signe des temps, Hygie31, la holding des enseignes Pharmacie Lafayette, Parapharmacie Lafayette etc, a investi dans le site français de para Cocooncenter en 2021. Au contraire, l’e-commerçant belge Pharmasimple, qui réalise 85 % de son chiffre d’affaires en France, avance à contre-courant. Depuis le deuxième trimestre 2022, il lève le pied sur internet, pour investir dans des pharmacies physiques. « L’e-pharmacie ne gagnera pas d’argent, nous en sommes désormais convaincus, explique Michaël Willems. Aujourd’hui, nous allons vers la vraie valeur ajoutée : le conseil ».