Cap vert
Quand Sophie Millet reprend la Pharmacie de Paris à La Baule, l’entreprise ronronne. Après une étude de marché, la titulaire la positionne mordicus comme la spécialiste des plantes. La stratégie permet depuis, une croissance à deux chiffres.
C’est presque sur un coup de tête que Sophie Millet achète la Pharmacie de Paris à La Baule en octobre 2011. A l’époque, elle démarre une nouvelle vie. Quittant la capitale pour la Loire-Atlantique, la pharmacienne, par ailleurs diplômée de l’Institut d’administration des entreprises (IAE), se lance à la recherche d’une officine sur le littoral. « Les touristes vont peu consulter car ils ne connaissent pas les médecins locaux. Pour le pharmacien, c’est valorisant, plaisant et varié », résume celle qui fut diplômée à Nantes et stagiaire sur la côte à Saint-Jean-de-Monts en Vendée.
Après sept ans d’exercice à Paris, Sophie Millet rêve de bord de mer. Or on lui propose une multitude d’officines en milieu rural. Alors elle patiente. D’autant qu’elle aime les défis : à 27 ans, elle a vendu sa voiture pour acheter sa première pharmacie (25 m2 à Paris avec un CA qui a grimpé de 50 % en 3 ans). Quand, un vendredi matin, un transactionnaire lui parle d’une pharmacie à La Baule, l’après-midi, elle la visite, le lundi, elle dit banco. Située dans la principale rue commerçante de la cité balnéaire, la Pharmacie de Paris, généraliste et au look vieillissant, réalise alors 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires sur 60 m2. L’activité déclinait. Deux ans plus tard, la fréquentation a doublé et l’activité avoisine 1,5 million d’euros.
Entre-temps, rien n’a été laissé au hasard. Epaulée par son conjoint, le consultant en développement commercial Silvère Campala, Sophie Millet procède avec méthode. Elle a d’abord rejoint le groupement Objectif Pharma. Par son entremise, elle investit 8 000 € dans une étude de marché et un plan merchandising. Le but ? Comprendre le contexte commercial et obtenir des préconisations. En son for intérieur, Sophie Millet espère pourvoir « travailler l’aromathérapie, sur un grand espace et dans une pharmacie modernisée ». Heureusement, l’étude de marché, réalisée par Pharmamerch, révèle que ce segment de marché est sous-exploité dans la ville. Elle montre également que la clientèle vient des alentours mais aussi, le week-end, de toutes les villes desservies par le TGV depuis Paris et, pendant les vacances scolaires, de la capitale. « La difficulté consiste alors à avoir une offre diversifiée tout en ayant un positionnement et des prix attractifs », estime Silvère Campala. A partir de ce constat, la stratégie consiste à attirer la clientèle de passage pour qu’elle ait envie de venir à la Pharmacie de Paris désormais ouverte sept jours sur sept, plutôt que de faire le plein avant de venir. De là, Sophie Millet décide de faire de la Pharmacie de Paris la « spécialiste des plantes ». Un positionnement auquel elle va se tenir.
Planter le décor
Côté agencement, la Pharmacie de Paris investit 150 000 € dans des travaux sur la base d’un plan signé du cabinet nantais 5S. En supprimant la réserve du fond, la surface de vente passe de 60 à 100 m2. Comme chez Ikea, le parcours client pousse à faire le tour du point de vente. A l’entrée, une gondole installée en travers incite le client à démarrer son parcours par la droite du magasin. Un sens de circulation traditionnel en grande distribution auquel Silvère Campala, qui a notamment travaillé pour les supermarchés Casino, tient particulièrement. Au risque de donner l’impression d’un parcours subi. De petits meubles centraux forment une allée et canalisent la clientèle jusqu’au fond, où, devant le mur de couleur verte, un espace est réservé aux plantes. Les clients sont ensuite incités à emprunter la seconde allée pour terminer la visite devant les cinq comptoirs.
L’organisation est conçue à la fois pour montrer que l’officine est spécialiste des plantes et que l’offre est foisonnante. Et c’est bien le cas. Dès la façade, une vitrine, totalement consacrée à l’univers des végétaux, annonce la couleur. De la rue, on entrevoit les mots « Nature » et « Plantes » sur la signalétique intérieure. Les spécialités de la maison sont mises en scène au fond du point de vente et signalées par les mots « Secrets des plantes ». Dans cet espace où le vert domine, on trouve l’aromathérapie, les huiles essentielles, les plantes en vrac, et même une table d’animation et de dégustation. Lors de notre passage, des Aloe vera et des crocus agrémentaient le lieu. « L’objectif est de provoquer le questionnement », explique Silvère Campala. Les autres produits changent souvent d’emplacement. « Ainsi le client cherche son produit et en découvre d’autres. » Et pour permettre ces rotations fréquentes, la signalétique est faite de stickers faciles à décoller.
Dans la cité balnéaire aux hôtels particuliers cossus, Sophie Millet a imaginé une ambiance chaleureuse pour être en phase avec la clientèle plutôt chic. La décoration de la pharmacie est soignée et invite au cocooning. Plusieurs détails comme des abat-jour en forme de globe conçus de cordelettes blanches et un fauteuil capitonné donnent l’impression d’être dans le salon d’une maison. « Souvent nos clients de Paris n’ont pas le temps de faire leurs courses en semaine. Notre but ici est de leur proposer un espace agréable où ils puissent se promener et passer du temps », confie la titulaire. Car plus longtemps un client reste dans un magasin, plus il consomme.
Faire germer l’offre
Le parquet d’imitation bois comme les murs aux aplats de couleur réchauffent l’atmosphère et valorisent les crèmes, savons, dentifrices et autres produits. Et ici ils sont très nombreux. Au terme de l’audit, Pharmamerch a conseillé une liste de références leaders à des prix plus ou moins agressifs, à laquelle Sophie Millet a ajouté des marques de son choix. Le stock, géré à flux tendu et entreposé dans 30 m² en sous-sol, est passé de 50 000 euros à 200 000 euros depuis fin 2011. L’assortiment à deux objectifs. D’une part, proposer une offre quasi exhaustive autour des plantes pour être en cohérence avec le positionnement retenu. D’autre part, donner l’impression d’une grande pharmacie offrant un vaste choix à prix raisonnable, pour répondre aux attentes des gens de passage. A la Pharmacie de Paris, qui effectue des relevés de prix environ tous les 15 jours, on souhaite éviter de laisser le monopole d’une marque à un commerce des environs. Ainsi, depuis son arrivée, la titulaire a référencé des classiques comme A-Derma, Uriage, Weleda, Vichy, Lierac… Et des marques plus de niche comme Pileje, Nutergia et Axone. Pour le rayon de phytothérapie, ont été retenus les huiles essentielles Pranaröm et les mélanges Puressentiel, les tisanes Romon Nature et les gélules Arkopharma. Toujours dans le but de présenter une offre la plus importante possible, les gammes conventionnelles de plantes ont souvent leur pendant en bio.
La gestion des ressources humaines sert également le positionnement. Si la clientèle perçoit immédiatement l’ambiance du magasin centrée autour du végétal, la titulaire estime que cela doit aussi se ressentir dans le discours et les compétences de chacun. L’équipe a la mission d’être très à l’écoute des clients et de pratiquer un conseil associé orienté sur les plantes.
Cultiver la qualité
A la Pharmacie de Paris, si chacun est polyvalent, la répartition des responsabilités est clairement établie. L’un est chargé du back-office (de la réception des commandes au rangement en passant par l’écriture des procédures qualité concernant cet espace), un autre de la dermocosmétique ; un troisième est responsable opérationnel tandis que le pharmacien assistant est garant de la qualité et de la préparation des doses à administrer (PDA). Missionné pour le développement commercial, Silvère Campala supervise les achats, le management et le suivi de la qualité. De sorte que la titulaire intervient au maximum au comptoir (c’est elle qui en priorité traite les ordonnances complexes pour valoriser sa compétence du docteur en pharmacie) et pilote la formation. La qualité est utilisée comme outil de management au service du projet d’entreprise.
A la Pharmacie de Paris, l’évolution du chiffre d’affaires, l’état des stocks, la rédaction des procédures qualité…, tout est discuté ensemble. Pour s’en tenir à la stratégie fixée, l’équipe est conviée en réunion chaque lundi entre midi et deux. Ainsi, chacun poursuit le même objectif : montrer au quotidien sa compétence sur les plantes et assurer une atmosphère conviviale.
Les valeurs de l’entreprise ont été listées et définies en quelques phrases : le respect, l’entraide, la compétence, la rigueur, la bonne humeur, la transparence, l’écoute, la confiance, la recherche de la satisfaction.
Cela se ressent dans la tenue du point de vente, impeccable. Tout est rangé, aligné. Chaque membre de l’équipe replace comme d’instinct la moindre boîte déplacée par un client. « C’est une façon d’éviter l’escalade et la négligence », estime Sophie Millet. L’enjeu, mensuel, consiste en une prime de 5 % si 90 % des critères de qualité visés sont remplis, et de 5 % également si l’objectif de chiffre d’affaires personnel est atteint en plus de celui de l’officine.
Végétaliser le conseil
La formation aussi est une clé de toute de la cohérence. « Une fois choisis l’offre et le positionnement, conçu l’univers commercial qui correspond à la clientèle et mis en place un marketing qui va de l’aménagement à la fidélisation, on peut mettre en place des formations qui vont permettre à ces outils de vivre », résume Silvère Campala, qui garde en tête les méthodes éprouvées en grande distribution. Ainsi la titulaire a suivi les deux modules d’aromathérapie de l’école Dominique Beaudoux. A l’officine, lors de chaque séminaire hebdomadaire avec l’équipe, une huile essentielle est passée en revue. Quand un laboratoire vient donner une formation, on lui demande de se focaliser sur les deux ou trois produits qui répondent aux pathologies du moment. Ainsi, dans les linéaires, des affichettes mentionnent que l’équipe a été formée sur telle gamme à telle date.
Résultat de cette orchestration, la fréquentation de l’officine est passée de 90 à 180 clients jour en deux ans. Le prévisionnel visait 1,3 million de chiffre d’affaires à cinq ans. Mission accomplie en douze mois seulement ! Les ventes ont progressé de 12,5 % lors du premier exercice et encore de 10 % le suivant. Grâce au conseil associé, la part relative du médicament a baissé de 65 à 58 % et la médication familiale représente désormais 20 % de l’activité. Quant à la marge, elle a progressé de 1,5 point depuis la reprise. La Pharmacie de Paris est bien partie pour atteindre l’objectif de 1,7 M€ désormais fixé à horizon 2015.
Pharmacie de Paris La Baule (Loire-Atlantique)
→ Equipe : 1 titulaire, 1 assistant, 2 préparateurs, un aide-préparateur et un apprenti
→ CA 1er exercice (octobre 2011-septembre 2012) : 1,35 M€ TTC
→ CA 2e d’exercice : 1,475 TTC
→ Taux de marge : 33,5 % (+ 1,5 point en un an)
→ Coût des travaux : 150 000 €
→ Surface totale : 120 m2 (hors sous-sol)
→ Surface de vente (avant/après travaux) : 60/100 m2
→ Fréquentation moyenne actuelle : 180 clients/jour (+ 24 % en 2013)
→ Panier moyen
• Tiers payant : 33 €
• Ordonnance payante : 30 €
• Vente directe : 25 €
→ Répartition
• 58 % de médicaments remboursables
• 20 % de médication familiale
• 22 % de parapharmacie
→ Site web : en prévision
→ Groupement : Objectif Pharma
DifférenciationPalette de services
La Pharmacie de Paris se caractérise par la multiplicité des services proposés. Dès le début, Sophie Millet, pharmacien référent en EHPAD, a développé l’activité de piluliers sécurisés (4 maisons de retraite font actuellement appel à elle, contre une seule à son arrivée), l’audit à domicile pour le MAD, le suivi du diabète, la location de pèse-bébé et de tire-lait… Elle a aussi ouvert un pôle orthopédie (pour laquelle elle a un DU), déjà rentable avec 70 000 euros de chiffre d’affaires en 2013. Les essayages se déroulent dans une pièce de confidentialité où sont aussi réalisés la prise de tension, les entretiens nutritionnels (depuis janvier 2014), sur les AVK et l’asthme, le dépistage des streptocoques en cas d’angine, le suivi de la tension, ou encore les soins de secours. Et, à La Baule, on commence à savoir que cette pharmacie ouverte 7 j/7 peut aider en cas d’urgence. Le CHU de Saint-Nazaire lui envoie volontiers ses patients du week-end, notamment pour l’orthopédie. Le bouche-à-oreille fonctionne.
- Pharma espagnole : 9 milliards d’investissements et une réforme en vue
- Réforme de la facture électronique, mode d’emploi
- Mon espace santé : un guide pour maîtriser l’accès et la consultation
- Fraude à la e-CPS : l’alerte discrète mais ferme de l’Agence du numérique en santé
- Pharmacie de Trémuson : une officine bretonne pionnière en RSE et qualité
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis