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Passer aux couleurs d’une enseigne
Prendre l’envol de l’enseigne. C’est aujourd’hui vraiment le cas d’à peine 15 % des officines françaises. Pourquoi pas plus ? Et quelles sont les motivations des titulaires qui ont passé le cap ?
Si, depuis longtemps, on parle d’enseignes en pharmacie, force est de constater qu’elles ont du mal à émerger aux yeux des consommateurs. Selon une enquête OpinionWay/Pharmacien Manager de 2013, seuls 49 % en connaissent l’existence. Cette visibilité limitée est sans doute liée à une certaine timidité des pharmaciens à véhiculer haut et fort les couleurs de l’enseigne. En d’autres termes, à se mettre au pas… Serait-ce également les groupements historiques qui n’auraient pas osé imposer les règles d’une enseigne à leurs adhérents ? Des adhérents qui n’en voyaient pas la nécessité tant que leur trésorerie était au vert… Mais les choses sont en train d’évoluer. Est-ce le début d’une révolution ? Est-ce la disparition annoncée des pharmacies Dupont ou du Marché ? Depuis l’automne 2013, on a vu tour à tour ouvrir des officines à l’enseigne Well & Well, Pharm & You et Anton & Willem. Ces deux dernières années, Lafayette Conseil a doublé son réseau. Ces enseignes ont pour particularité de s’afficher avec des caractères plus gros que ceux du nom de l’officine… qui a parfois carrément disparu. Parce que rejoindre une enseigne, c’est valoriser son positionnement marketing, traduit dans un décor similaire et par des produits et services semblables dans tous les points de vente (lire la définition du consultant page 25). Pour utiliser la métaphore, l’idée est d’enfiler le maillot afin de faire partie d’une équipe reconnaissable. Jusqu’à présent, les titulaires se sont montrés frileux face à tant d’homogénéité. Aujourd’hui – dans un contexte de crise où l’enseigne peut être un soutien pour certains – des freins à lever existent encore mais ne demandent qu’à être desserrés…
1° Chère indépendance
Lâcher prise ?
La volonté de rester indépendant est assurément la raison la plus sensible pour les titulaires qui refusent d’intégrer une enseigne. Pourtant, dans d’autres secteurs d’activité, chefs d’entreprise et chaînes font bon ménage. Par exemple, chez Intersport, Super U et Krys, les points de vente sont dirigés par des commerçants indépendants. Chacun d’entre eux est propriétaire de son magasin, comme le titulaire détient tout ou partie du capital de son officine. Or, au nom de l’indépendance, les pharmaciens picorent parmi les offres des enseignes : l’un prend le logo et l’enlève dès que le commercial de son groupement a pris la photo, l’autre vend la MDD mais conserve son mobilier… « De quelle indépendance parlent les titulaires, s’offusque Lucien Bennatan, président du groupement PHR, celle d’exercer leur métier comme bon leur semble ? Ils plaisantent… La sécu leur dit « Générique tu distribueras, de marque tu ne changeras pas. » Le grossiste leur dit « Chez moi tu achèteras. » Les laboratoires disent « Si remises tu veux, un contrat tu signeras en début d’année. » De quelle liberté parlent-ils ? Seule l’enseigne apporte la liberté de choisir avec qui on veut travailler, quels services on va mettre en œuvre ou pas, de pouvoir dire au public ce que l’on est et pourquoi on a choisi cette marque plutôt qu’une autre », ajoute-t-il, lui qui s’apprête à proposer un énième concept, cette fois beaucoup plus directif que les précédents, sous le nom de « Ma Pharmacie Référence » (lire actu page 14). Selon lui, PHR proposera un accompagnement financier, histoire que le coût ne soit pas un frein au passage à l’enseigne.
Témoignages
Sur la question de l’indépendance, le débat est passionné ! « Je suis beaucoup trop indépendante pour travailler sous la houlette de quelqu’un » s’emporte Annick Plemer, titulaire à Saint-Nazaire-les-Eymes (38), adhérente au groupement Pharmodel, rappelant qu’elle a une profession libérale tout en étant commerçante. Serait-ce une question de personnalité ? « Non, c’est une question d’éthique. Je ne veux pas être franchisée. Je ne vais pas faire de la publicité pour le groupement sur ma vitrine. Je travaille au chevet des malades avec les médecins, les infirmières… Le pharmacien est une personne à part entière, je n’ai pas envie qu’on me dise « Bonjour, Madame Pharmodel ». »
Au contraire, sa consœur Agnès Tarodo de la Fuente, titulaire de la Pharmacie de l’Hôtel de ville dans la bourgade de Saint-Amans-Soult (81) et adhérente Giphar depuis son installation en 2001, estime que jouer le jeu de l’enseigne lui assure une certaine indépendance. Dans son officine rurale, elle pense que l’enseigne est « une évidence. Elle nous permet de mutualiser nos moyens, nos outils, nos idées… Bien sûr, Giphar nous demande des efforts mais on en tire bien plus que des bénéfices économiques. Certes, on doit prendre 85 % de l’assortiment pour obtenir les RFA promises. Mais quand Giphar lance les tests d’angine, j’en reçois d’officine 25 avec la facture. C’est une chance. Sinon j’aurais peut-être tardé à instaurer ce service. De plus, on reçoit le test avec des brochures, des fiches patient… Cela est plus facile à mettre en place et ça motive », résume la titulaire d’une pharmacie de 1,7 M€ de CA. Son équipe s’est tellement approprié les outils du groupement, qu’elle la surprend à dire « C’est notre marque », à propos de Dermactive, la MDD de Giphar.
2° Seniors hors course ?
Que neni !
A écouter les patrons des groupements, il n’y a pas photo. Il est bien plus facile de convertir des adhérents récents à une enseigne que les anciens. « On rencontre beaucoup de résistance chez les historiques », explique Didier Maarek, PDG du groupement Pharmadom créé il y a douze ans. « Au contraire avec les nouveaux, ça va très vite. On leur explique ce qu’on peut leur apporter bien des choses à condition que la fédération soit complète. Ils ont déjà compris la nécessité d’une enseigne », ajoute le dirigeant du groupement dont l’enseigne, Well & Well, date de 2013. Y sont refusés les pharmaciens qui par exemple « ne veulent pas entendre parler de DN (distribution numérique, N.D.L.R.) », ce ratio qui mesure l’efficacité marketing en comparant le nombre de points de vente référençant un produit par rapport au nombre de points de vente total de la chaîne. « En fait, les freins viennent du fait que de nombreux groupements n’ont pas été conçus pour créer une enseigne », estime Hervé Jouves, directeur général de Lafayette Conseil. Du coup, les membres initiaux des groupements traditionnels, fondés sur la mise en commun des achats, en perdent aujourd’hui leur latin. Ils ont avant tout adhéré pour des remises, des conseils, voire la MDD. Chez les nouvelles enseignes, on impose des règles plus ou moins explicitement et plus ou moins radicalement. Chez Anton & Willem, la quasi-totalité de l’assortiment de produits est imposée et nombre de marques sont interdites. Pas question de proposer Vichy ou autres Mustela, non « naturelles ». Chez Lafayette, l’adhérent doit – accepter un concept architectural, une politique commerciale autour de 200 accords-cadres, la venue mensuelle d’un animateur… Chez Well & Well, on rend obligatoires un référencement chez une vingtaine de laboratoires, une façade, un marketing du point de vente et des formations aux valeurs de l’enseigne et au management. Chez Pharm & You, le concept et l’assortiment doivent être pris à 80 %. C’est peu de dire que les titulaires exerçant sans contraintes depuis des années hésitent devant tant de consignes.
Témoignages
Certains « anciens » sautent tout de même le pas. Ainsi Patrick Prioux, qui a décroché son diplôme en 1971, vient de passer son officine de quartier à Suresnes (CA 1,6 M€ sur environ 50 m2) aux couleurs de la croix occitane de Lafayette. « Lafayette va loin. C’est quasiment une franchise. Mais c’est, selon moi, ce qui est le plus accompli et le plus performant sur le marché aujourd’hui. Les pharmacies moyennes vont ramer si elles ne font pas comme j’ai fait. Je prépare l’avenir », dit le pharmacien pour expliquer sa démarche radicale. Un autre titulaire, proche de la retraite, passé par plusieurs groupements et ayant chaque fois habillé son officine à leur enseigne, se montre moins catégorique : « Les consommateurs prêtent-ils attention au nom des enseignes ? On vient chez nous pour la compétence sur le médicament et pour le prix pour le reste. Des groupements comme Giphar ont le potentiel pour réussir mais il leur manque la puissance commerciale ». Le groupement a pourtant fait installer son logo depuis longtemps sur tous les frontons de ses adhérents.
3° Sortir du lot
Tout doucement
Il est en général difficile de distinguer les différences entre les enseignes de pharmacie. Les slogans promettent plus ou moins tous la même chose : prix, proximité et expertise. « Aucune n’a défini un « empowerment » (processus qui permet de prendre conscience de sa capacité à agir, N.D.L.R.). Nous parlons tous de services. C’est pour cette raison que mes confrères ont du mal à appliquer nos concepts, estime Lucien Bennatan. De plus notre démarche est axée sur les professionnels et pas assez sur les consommateurs. » Pascal Tabonnet, conseil en développement marketing et commercial opérationnel, sous la franchise Bras Droit des dirigeants, abonde dans le même sens. « L’enseigne existera vis-à-vis du client uniquement si sont mises en place des réponses différenciantes, comme des contrats exclusifs avec des laboratoires ou des mutuelles. Alors, le consommateur trouvera un avantage à se rendre chez telle ou telle enseigne. Aujourd’hui, la différence entre les pharmacies sous enseigne et les autres n’est pas assez marquée. Il faut sortir des concepts clonés où seuls les codes couleur changent pour révolutionner l’expérience client qui doit devenir unique et inoubliable », ajoute le coach spécialiste des TPE et PME. « Le pharmacien doit prendre conscience que certains de ses choix ne sont pas les bons. Or il existe au sein des enseignes des gens capables d’apporter une solution prémarketée, des marketeurs dont c’est le métier. Ils utilisent les méthodes de la GMS, en grande partie applicables en pharmacie », ajoute celui qui fut pendant plus d’une décennie au service du marketing de Giphar.
Témoignages
La différenciation, c’était bien la motivation de Valérie Adéchokan, titulaire de la pharmacie D’Orgeval à Reims (51). « En adoptant le concept EPN (European Pharmacy Network) de Pharmactiv, je voulais apporter quelque chose de nouveau qui permette à mon point de vente d’être agréable et doté de services supplémentaires. L’idée est de se rapprocher de ce que font d’autres circuits de distribution. Par exemple, dans les banques : on trouve des coins d’accueil plutôt sympas; on peut consulter des tablettes ou demander des renseignements à un conseiller. En cela, Pharmactiv m’apporte une solution que je n’aurais pas trouvée toute seule. Nous sommes plusieurs Pharmactiv à Reims et, ce qui nous différencie ce sont les services de qualité », détaille celle qui s’est décidée à force de voir de multiples « événements » bousculer l’officine comme « l’Internet, les décisions possibles sur l’ouverture du capital, la fin du monopole… »
L’homogénéité d’un réseau a la capacité d’apporter une puissance marketing. Sandra Rubinstein a fait le choix de rejoindre une enseigne – en l’occurrence Well & Well – convaincue que « le client va retrouver la même qualité de service, le même niveau de prix, une offre commune grâce à la MDD ». La titulaire de la pharmacie Damrémont dans le 18e arrondissement de Paris (CA 2013 : 1,6 M€) compte sur la cohérence au sein de son réseau, encore embryonnaire. « Avec le credo « Pour aller mieux que bien », nous allons communiquer sur autre chose que le prix. Le client retrouvera cet esprit et nos outils dans toutes nos pharmacies. L’enseigne fait la différence et rassure. C’est nécessaire. Ce n’est plus possible, de travailler de façon isolée. »
4° Notoriété à gagner
Pas facile
Imaginer une chaîne – osons le terme – de pharmacies à l’instar de Boots ou de Walgreens sur le mode anglo-saxon, c’est encore avant-gardiste en France. Pourtant, un des atouts tient à sa notoriété. « La force d’une enseigne, c’est sa notoriété spontanée (pour laquelle le public est capable de citer un nom de mémoire et sans assistance, N.D.L.R.). Selon les experts comme Jean-Noël Kapferer, une marque forte a 80 % de notoriété spontanée. Une enseigne forte est connue des Français, avant même d’avoir de nombreux points de vente », explique Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce (lire son interview page 25). D’où l’importance de faire connaître la marque-enseigne. Or, tétanisée par le Code de la santé publique, la profession est limitée dans sa communication grand public. Si des groupements comme Giphar, PHR et Plus Pharmacie ont investi dans des publicités, ils ont dû mettre leur audace en silence face aux plaintes de l’Ordre des pharmaciens… Seul Evolupharm continue la diffusion de spots TV. Mais en tant que laboratoire pour valoriser la MDD, et non pas en tant qu’enseigne. Aujourd’hui, Lafayette, Giropharm ou PHR s’offrent les services d’une agence spécialisée dans les – relations avec les journalistes et les blogueurs, en – espérant être cités dans la presse ou sur les blogs. Mais c’est encore insuffisant. Du coup, concrètement, les Français ne connaissent pas le nom des enseignes. Et les pharmaciens ont du mal à discerner leur positionnement. D’où la campagne d’information auprès des professionnels que mènent certains réseaux, « Lafayette était méconnue encore récemment. Nous menons un travail d’explication. On présente notre concept de low-cost moderne où le modèle de pharmacien éthique ne repose pas que sur le médicament. Et, comme par hasard, de plus en plus de pharmaciens nous appellent directement », confie Hervé Jouves.
Témoignages
Toutefois, le bouche-à-oreille classique ou le buzz – sa version Web – fonctionnent déjà parmi les consommateurs. « Des gens de Paris qui ont connu Lafayette en province viennent acheter chez moi », se réjouit Patrick Prioux, à Suresnes. « L’enseigne est peu connue en région parisienne. Je dois faire le travail », admet-il tout de même. Petit à petit, quelques noms émergent. Ainsi, même à Lacrouzette, un bourg de moins de 2000 âmes à une dizaine de kilomètres de Castres, on sent l’effet Giphar. Telle est l’impression de Benoît Joly, un ex de l’industrie installé il y a sept ans. « Les gens s’aperçoivent qu’une petite pharmacie rurale peut travailler des produits avec un niveau de rapport qualité/prix similaire à ceux des centres-villes. Ils sont allés en vacances, où ils ont vu Giphar. Nous commençons à avoir une visibilité. »
VécuHeftsiba et Laurent Meyer aux couleurs d’Alphega
Voyant leur marge fondre, les titulaires de la Grande Pharmacie du 15e à Paris ont saisi l’opportunité d’une rencontre avec Alphega pour adopter son nouveau concept. L’officine générait près de 4 M€ en 2012, sur 80 m2. Après des travaux réalisés entre février et août 2013, la surface de vente a doublé grâce au rachat d’un magasin attenant. Et se « scinde » désormais en deux espaces : délivrance et para.
Pourquoi ? « Je ne cherchais pas à intégrer une enseigne mais à tenir le coup et garder de la trésorerie. Alphega m’a apporté une vitrine, une salle de confidentialité, un point de vente agréable. Et surtout ils m’ont aidé pour la gestion et le management de l’équipe. Cela permet de passer plus de temps avec le patient. Toutefois, je reste indépendant, nous avons tout discuté ensemble. Je ne suis pas le représentant d’Alphega », explique Laurent Meyer, dont l’officine a vu son CA grimper de 17 % depuis les travaux.
VécuFranck Schiller aux couleurs de Pharm & You
Cette pharmacie rurale (CA : 3 M€ dont 75 % de 2,1 %), installée à Soues (65), a adopté le concept marchand de Pharm & You Express à l’automne 2014. Sa surface de vente est passée de 100 à 120 m2.
Pourquoi ? « L’enseigne c’est la solution aux problèmes économiques de l’officine. Elle assure l’homogénéité des fournisseurs, des services et des compétences des adhérents. Elle permettra de négocier des prix compétitifs et de maintenir un réseau de proximité », estime le titulaire. « Dès les quinze premiers jours après l’installation de l’enseigne, le trafic est passé de 350-370 à 400-470 clients/jour. La croissance des ventes est proportionnelle. Je compte générer 1 M€ supplémentaire d’ici à cinq ans et faire descendre la part du 2,1 % sous la barre des 65 % »
VécuBertrand et Julie Mity aux couleurs de Forum Santé
Pour sa première installation (pharmacie du marché à Dammartin-en-Goële) en juin, le jeune couple a fait le choix de mener des travaux dans l’officine et d’y installer le nouveau concept de Forum Santé. Le CA 2013 se montait à près de 2 M€, pour une surface de 95 m2.
Pourquoi ? « Aujourd’hui rejoindre un groupement et prendre une enseigne nous semblent essentiels pour s’installer. Une enseigne comme Forum Santé donne une image ainsi qu’un gage de sécurité et de confiance à la clientèle. Les clients perçoivent que le cadre est agréable. »
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