Les groupements à l’ère de la discipline

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Publié le 28 mai 2015
Par Fabienne Colin
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Qu’on se le dise, la stratégie des groupements de pharmacie évolue. Pour anticiper la fin du modèle économique adossé uniquement aux remises génériques, la plupart tentent d’imposer des services à leurs adhérents… et de s’imposer comme partenaires privilégiés auprès des différents laboratoires.

Vous avez beau être le plus extraordinaire joueur du monde, si vos 14 camarades sont moyens, vous deviendrez moyen », expliquait le rugbyman Sébastien Chabal, lors d’un séminaire de Synaps Pharma le 31 mars dernier. Le puissant barbu qui recevait les adhérents de ce groupement rhônalpin dans son Hôtel des Lumières, en périphérie de Lyon, leur a aussi raconté comment, en début de carrière, il lui arrivait de se cacher derrière un buisson pendant les courses à pied. C’est en Angleterre qu’il a appris à rentrer dans le rang après avoir pris conscience de l’efficacité de la discipline. Lors de cette réunion, il était entouré de Marina Maljkovic, l’entraîneuse franco-serbe du Lyon Basket Féminin. « Ici, les jeunes générations ont été trop gâtées, elles n’ont pas été habituées à se dépasser. Il leur manque la faim de gagner », a-t-elle lâché sans détour. Le président de Synaps buvait ces paroles. Car Jean-Yves Thierry mise tout sur la discipline du groupe pour entraîner ses troupes, tout en prônant le « friendly business ». Selon lui, point de place pour les lamentations, il faut agir, et dans la cohésion, pour réussir dans une officine comme sur un terrain de sport. De fait, aujourd’hui, l’ensemble des groupements de pharmacies, nés pour négocier des tarifs auprès des laboratoires, multiplie leurs efforts pour obtenir l’obéissance de ses adhérents. Le but : décrocher de meilleures remises, être préféré grâce à des services et des offres communs à tout le réseau. « La capacité de fédérer autour de ces objectifs constitue un point clé pour l’avenir des groupements », estime Xavier Bouhet, à la tête du cabinet de consulting What Health, après avoir exercé aux postes de DG chez Alliance Healthcare et directeur des opérations du réseau Galien.

Référencement imposé

Adhérents au pas

Aujourd’hui, les titulaires sont déboussolés à l’idée de payer une cotisation, voire des royalties, à un groupement qui ne leur garantit pas forcément des remises à la hauteur. « Ils sont perdus entre les centrales d’achat, les Structures de regroupement à l’achat (SRA), les groupements qui proposent des enseignes, ceux qui ne travaillent que le référencement et font de la rétrocession… », observe Xavier Bouhet, qui est en train d’établir un scoring de ces structures pour rendre le marché plus lisible. Mais tous les pharmaciens ont parfaitement conscience de l’importance de bien acheter et bien vendre. Choisir son groupement au sein de structures existantes aux ressources disparates (voir encadré ci-dessous) devient alors stratégique. D’autant que le secteur opère une mutation. Après avoir d’abord travaillé sur du référencement en négociant des tarifs valables pour tous les membres en fonction de leur volume d’affaires, des groupements comme PHR ou Pharmactiv ou encore Plus Pharmacie ont tenté d’imposer certains achats en contrepartie d’outils marketing et de meilleures remises. Mais seuls quelques adhérents – souvent sous enseigne – jouaient le jeu.

La donne est en train de changer. A l’instar de Giropharm, qui, depuis le début de l’année, impose à ses membres l’envoi systématique de deux colisages par mois. Cela s’appelle les Engagements minimums communs (EMC). Chaque adhérent se doit d’acheter les deux produits qui font l’objet d’une campagne promotionnelle accompagnée d’outils de communication. « C’est le moyen d’avoir une politique d’animation commune au sein de nos points de vente », analyse Franck Vanneste, P.-D.G. de Giropharm. D’un côté, les 550 coopérateurs achètent les produits et valorisent l’animation négociée avec. De l’autre, des marques comme Saforelle, Scholl ou Uriage ont vu là une façon de garantir non seulement du sell-in (la vente aux officinaux) mais également du sell-out (celle aux consommateurs) grâce à la mise en avant de leurs produits. C’est gagnant-gagnant. Cette année, 24 « flux poussés » sont planifiés. Giropharm envisage déjà d’augmenter la cadence en 2016.

Achats délégués

Uniformisation du réseau

Dans le même esprit, Pharmactiv propose le mandat aux achats. Chacun des 1 695 adhérents peut déléguer quelques commandes au groupement. Dans les faits, si les titulaires ressentent le besoin de rationaliser le temps consacré à négocier avec les industriels, ils ont du mal à sauter le pas. Concrètement, Pharmactiv a imposé aux pharmaciens ayant adopté le concept marchand European Pharmacy Network (EPN) la délégation aux achats chez 21 laboratoires. « Le groupement s’occupe alors du merchandising pour s’assurer de l’uniformité que souhaitent les marques », confie Serge Carrier, DG de Pharmactiv. Le dirigeant dit ressentir une « moindre dispersion sur les achats. Cela devient moins émotionnel, plus rationnel. D’ailleurs, le recours des adhérents à notre centrale d’achat a crû de 33 % en chiffre d’affaires net entre février 2014 et février 2015, après une progression de 35 % l’an dernier. » Les titulaires évitent ainsi quantité de rendez-vous avec les laboratoires. Chez Pharmodel, 130 pharmacies ont déjà adhéré à la démarche trade marketing associée à la délégation aux achats.

Objectif Pharma (filiale de Welcoop, 550 adhérents) prépare cette délégation aux achats pour 100 % des produits hors ordonnanceà fin 2016. Chez PHR (1 687 adhérents), on avvance aussi sur ce terrain. « Nous sommes en train de faire signer les mandats. Plus de 600 le sont déjà », confie Lucien Bennatan, président de PHR. « Les confrères sont de plus en plus demandeurs de directives en matière d’achat et de délégation à leur groupement. Encore fautil que ces derniers soient équipés pour ce faire d’une équipe capable de référencer, de négocier et d’une plateforme logistique permettant l’achat de produits en quantité, le stockage, et de faire des offres commerciales accessibles à l’ensemble », estime-t-il. Pourtant même de plus petites structures y parviennent. Comme PharmaGroupSanté (PGS), avec 520 adhérents et 14 salariés dont la moitié sur le terrain. L’enseigne en cours de conception inclura « un référencement minimum commun à tous », selon son DG Jean-Philippe Besse. Déjà PGS a créé une vitrine géante en LED qui diffuse trois visuels : deux négociés avec les laboratoires partenaires, et un piloté entièrement par l’officine. 20 % du réseau l’aurait déjà adoptée. Certes, ce n’est pas une harmonisation totale mais c’est déjà un premier pas vers l’enseigne en cours de conception. L’homogénéisation au sein du réseau devient plus visible.

NOUVEAU rapport avec les labos

« Tous les groupements rêvent de points de vente fédérés et respectueux d’une règle commune. Quel poids peut-on espérer sur un fournisseur si les adhérents ne respectent pas le mot d’ordre ? », lâche Thierry Chapusot, président de Welcoop. Les groupements de pharmacies aspirent à une discipline qui leur permettrait d’être aussi puissants face aux marques que peuvent l’être les enseignes de grande distribution. Ils disposent de deux arguments forts pour aller dans le sens de la délégation aux achats. Le premier concerne le temps gagné par les titulaires qui auraient moins de rendez-vous avec les laboratoires. Le second est plus stratégique. Les groupements, devenus plus forts avec des adhérents disciplinés, pourraient négocier des exclusivités mixant un bon prix et une animation commerciale. De quoi différencier les réseaux entre eux. Les groupements parviendront-ils à aller jusqu’à sélectionner quelques laboratoires partenaires, en abandonnant d’autres, pour marquer leurs spécificités ?

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Coopérations naissantes

L’union fait la force

En attendant, les groupements s’attachent à faire monter en qualité leur réseau en partageant des services entre concurrents. Signe des temps, en mars, Plus Pharmacie, Ceido et Pharmacorp ont créé un groupe pilote d’officines, baptisé GAP 100. Les 249 pharmacies impliquées ont signé un mandat de délégation aux achats par lequel elles s’engagent à acheter le volume prescrit par GAP 100 et à mener au moins 13 parmi 15 opérations annuelles.

Mais avant la généralisation de ce type de coopération avant-gardiste, d’autres types de partenariats devraient prendre forme. Ainsi PHR et Pharmactiv partagent la centrale d’achat pharmaceutique (CAP) Depotrade où l’acheteur de chaque groupement travaille pour son propre groupement, mais où les coûts de gestion, de stockage et de transport pour la livraison sont mutualisés. Les deux associés pourraient aller plus loin. Lucien Bennatan avance « Nous travaillons à des négociations communes avec des industriels via un partage des taches entre les deux groupes ». Reste à savoir si les adhérents des deux structures sont prêts à accepter ce nouveau paradigme. Les coopératives Giphar et Giropharm, elles, innovent sans tapage en regroupant certaines formations. D’avril à décembre les adhérents Giphar peuvent se rendre à des séances Giropharm sur l’éducation thérapeutique. Serait-ce les prémices d’une fusion ? Non. Mais Jean-Christophe Lauzeral se dit prêt à réfléchir à d’autres rapprochements. « Il va falloir tendre la main à des groupements de même philosophie, de même origine capitalistique. Il n’est pas question de mélanger nos capitaux mais de mutualiser nos coûts. D’où cette idée de rassembler nos adhérents lors de mêmes sessions en présentiel, qui sont trop souvent annulées faute de participants. » En attendant, Giropharm est sollicité par des GIE en vue d’un rapprochement. Alors que le Ceido a déjà mis en place un partenariat avec Cap Unipharm, dont les adhérents partagent le système Internet mis en place par le groupement national. Une forme de mutualisation du marché est incontestablement en marche.

Structuration des GIE

En avant vers l’enseigne

Si les groupements historiques cherchent à rationaliser leurs coûts, les GIE et autres réseaux plus modestes, marchent sur leurs traces en devenant prestataires de services pour leurs adhérents. Ces groupements locaux sont souvent nés entre camarades de promotion, entre voisins ou entre officines au même profil. Mais ils atteignent vite un seuil critique. Au début, ils ont pu vivre sans personnel. Mission rapidement devenue impossible. Au fil des développements, le besoin s’est fait ressentir pour un coordinateur administratif, voire plus. Petit à petit, les frais de fonctionnement ont grimpé. Parfois trop vite. C’est ce qui s’est passé pour le réseau Galien, lequel a dû rapidement mettre la clé sous la porte après avoir recruté une bonne vingtaine de salariés sans être parvenu à recruter suffisamment d’adhérents.

Signe des temps, les « petits » groupements profitent de leur chère homogénéité pour créer un concept marchand. C’est le cas du GIE Rhône-Vallée Pharmacie en région lyonnaise.

De nombreux groupements régionaux s’interrogent sur l’ouverture de leurs portes à d’autres membres. Tel le G7, créé autour d’une poignée de grosses pharmacies du Sud. Aujourd’hui, la structure compte vingt et un membres dont deux récents. Son président ne cache pas sa volonté d’élargir le cercle à pas mesuré pour maintenir la cohérence du réseau.

« Nous nous intéressons uniquement aux officines référentes de leur ville ou à celles en ayant le potentiel. Notre faiblesse, c’est le nombre, notre force l’homogénéité et la valeur économique que nous pesons chez nos fournisseurs », résume David Abenhaim, lui-même cotitulaire de la Pharmacie Prado-Mermoz à Marseille (13).

Dans le Sud-Ouest, le GIE La Rocade, qui fédère six pharmacies aux capitaux intimement liés, la réflexion sur l’intégration de titulaires extérieurs au groupe d’amis et la création d’une centrale d’achat pharmaceutique (CAP) mûrit lentement. « Nous voulons d’abord que notre organisation soit parfaitement huilée avant éventuellement accueillir d’autres personnes », explique son président Pascal Loos. Avec son associé Jean-Marc Lespinasse, ils ont eu l’opportunité de participer au capital de pharmacies bordelaises moribondes, qu’ils ont transférées dans de vastes locaux dotés de parkings en périphérie de la métropole aquitaine. Une relation capitalistique qui facilite la discipline. Aujourd’hui, les six pharmacies du GIE La Rocade portent le même nom, ont mutualisé un entrepôt et une dizaine de salariés, notamment en charge des achats. Leurs points de vente ont une identité et un site Web communs. Leur offre se rapproche fortement d’une enseigne très homogène. Pas question pour eux de se cacher derrière un buisson. Tout le monde avance sous la même bannière.

Témoignages

Serge Carrier

DG de Pharmactiv

Jean-Philippe Besse

DG de PharmaGroup Santé

Jean-Christophe Lauzeral

Directeur opérationnel de Giropharm

Lucien Bennatan

Président de PHR

Pascal Loos

Président du GIE La Rocade

L’EXPERT

Xavier Bouhet

FONDATEUR DU CABINET DE CONSULTING WHAT HEALTH ET EX-PATRON DE GROUPEMENTS

ACCRO

De nombreux groupements sont financièrement générico-dépendants. Comment anticiper ?

Check-list

comment choisir son groupement ?

Les valeurs

Se renseigner sur l’ambition et les valeurs défendues

La discipline

Estimer le niveau de discipline demandé et obtenu. Chaque officine agit-elle à sa guise ? La stratégie se recentre-t-elle sur un nombre limité de partenaires et en parfaite adéquation avec les décisions ?

La part de marché

Avoir conscience de la représentativité du groupement dans une région donnée d’une part, et au niveau national d’autre part.

Les partenaires

S’interroger sur les choix en matière de logistique (intégrée ou pas ?), les arbitrages concernant les partenaires en général.

Le juridique

Savoir quel est le statut du groupement (une société de capitaux, de personnes, une structure isolée ou filiale d’une autre…) pour déterminer sa capacité à maîtriser les dépenses, verser des dividendes et à redistribuer les RFA. S’interroger sur la générico-dépendance du modèle économique du groupement.

Les services

Les identifier ainsi que les ressources en regard. Les services les plus classiques sont l’agencement, le merchandising, l’enseigne, la MDD.

BLACK

Les contrôles plus sévères de l’etat imposent une comptabilité plus saine. Quel groupement peut aider à affiner sa stratégie ?

SERVICES

Nouveau tempo

Sous l’impulsion de l’Etat, le modèle économique de l’officine s’oriente davantage vers l’accompagnement du patient. Certains groupements l’ont bien compris, et développent des services en ce sens. Exemples.

L’enjeu du moment pour les groupements, c’est la capacité à créer des réseaux de santé. Les vrais investissements vont désormais porter là-dessus. Certains laboratoires sont sans doute prêts à soutenir de telles initiatives » anticipe Xavier Bouhet de What Health. « Avant de choisir un groupement, il faut s’interroger sur la façon dont il met en oeuvre la loi de santé et ses nouveaux services. Cela inclut les questions d’interprofessionnalité, de prévention, de l’ETP ; des programmes d’observance et de la désertification médicale. Face à ces perspectives de redéfinition du modèle économique de la pharmacie, les groupements ont un très bel avenir. » Ainsi, Giropharm anticipe très en amont une évolution du modèle économique. Quitte à prendre des risques. Partant du principe que les laboratoires craignent une baisse des remboursements de leurs médicaments pour mauvaise observance, le groupement estime que l’industrie pourrait financer le coaching des patients par les officines. A condition que ces dernières prouvent que leur accompagnement permet le bon suivi du traitement. D’où l’idée de mener des études en vie réelle, baptisées Giroprevent, dans le but de publier les résultats s’ils s’avèrent probants. La première est portée par un laboratoire ; la seconde, pas encore lancée, par un assureur. Toutes deux concernent des personnes traitées pour un diabète de type 2. Avec ce type d’opérations, Giropharm espère avoir trouvé une source de rémunération nouvelle et différenciante pour l’officine.

Valoriser le métier

Welcoop travaille aussi sur l’observance. La coopérative a complété son logiciel de gestion LGPI d’un module permettant de suivre les patients risquant de ne pas suivre leur traitement correctement.

Sa filiale Objectif Pharma fait de cet axe une priorité et entend se distinguer des autres avec ce nouveau service patient. Ne plus vendre de produits, mais un coaching préventif. Telle est la démarche innovante des packs de services « Intégrales » de PHR, récemment mis en place dans les officines du réseau. Par exemple ; l’Intégrale « Mieux Vivre à domicile » inclut un diagnostic du domicile, un entretien avec le pharmacien pour l’évaluation des risques, des avantages produits et un guide d’accompagnement. Ce type de Smartbox santé est co-construit avec des laboratoires mais valorise l’expertise du pharmacien.

27 CE SERAIT LE NOMBRE DE GROUPEMENTS EN PHARMACIE NATIONAUX MAIS IL Y EN A BIEN PLUS AU NIVEAU RÉGIONAL

Juridique

Mieux comprendre les statuts

Qui possède le capital d’un groupement ? La réponse à cette question en dit long sur sa puissance potentielle en termes de ressources internes, sur ses valeurs et sur la répartition des bénéfices.

Certains réseaux s’appuient sur des holdings cotées en bourse à l’instar de Plus Pharmacie (Phoenix), Pharmactiv (McKesson), et Alphega (Walgreens Boots Alliance).

D’autres sont la propriété d’entrepreneurs indépendants tels Direct Labo, Népenthès, PHR, Univers Pharmacie, Pharmodel, Lafayette…

Dans les groupements ayant le statut de coopérative (Giphar, Giropharm, Objectif Pharma) ou de GIE, le capital appartient aux adhérents associés qui détiennent des parts sociales.

La coopérative et le GIE sont dirigés par ses membres dans le but de favoriser leur activité. Toutefois, à la différence de la coopérative, le GIE ne peut avoir des associés autres (des investisseurs par exemple) et peut déroger au principe de vote « une personne = une voix ».

DÉFINITION

Un groupement de pharmacies doit répondre à trois critères : un mandat aux achat, une signature (logo, ma rue…) et une offre de services.

L’ESSENTIEL

→ Les groupements tentent d’imposer à une discipline d’achats à leurs adhérents, pour leur faire gagner du temps, décrocher de meilleures remises et référencer des produits différenciants.

→ On voit apparaître des partenariats entre groupements p our tirer parti de l’expertise de chacun et mutualiser les coûts.

→ Les groupements locaux sont en train d’évoluer et de passer d’un modèle axé sur les achats à un modèle axé sur le service, sur les traces des réseaux nationaux.

→ Demain, c’est la rémunération de l’accompagnement des patients qui pourrait devenir le nouveau modèle économique des groupements.