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Spasfon coûte-t-il trop cher à la collectivité ?
Dans un contexte où la rationalisation de l’offre pharmaceutique est scrutée de près, la revue médicale Prescrire a rouvert le dossier mardi 26 novembre, s’interrogeant sur la pertinence d’un produit prescrit à grande échelle pour des douleurs spasmodiques variées, qu’il s’agisse de l’intestin, de la vessie, des voies biliaires ou de l’utérus. Bien que son efficacité dans des troubles intestinaux bénins soit qualifiée de « modeste », Spasfon échappe encore à la liste noire des 88 médicaments jugés « plus dangereux qu’utiles » par Prescrire, en raison de l’absence de certitude sur son inutilité absolue.
Un médicament star, mais sous le feu des critiques
Spasfon, mis sur le marché dans les années 1960 par le laboratoire Lafon et aujourd’hui commercialisé par Teva, reste l’objet d’un « exceptionnalisme français ». La philosophe Juliette Ferry-Danini, enseignante-chercheuse à l’université de Namur et auteure de l’ouvrage Pilules roses : De l’ignorance en médecine y voit un symbole des particularités du système médical français. « Les pays occidentaux, à l’exception de l’Italie, n’ont jamais introduit le Spasfon sur leur marché. En France, il perdure par habitude plus que par conviction scientifique », affirme-t-elle.
L’histoire du médicament est, selon Juliette Ferry-Danini, révélatrice d’une forme d’inertie institutionnelle : initialement conçu comme un cholérétique (pour stimuler la sécrétion de bile), le phloroglucinol a été reconverti en antispasmodique sans qu’une évaluation rigoureuse de son efficacité ne soit menée.
Efficacité contestée, risques minimisés
Si Spasfon n’est pas associé à des dangers majeurs, il n’est pas pour autant exempt d’effets indésirables. Réactions allergiques, œdème de Quincke, voire choc anaphylactique figurent dans les rares risques signalés par Vidal. Pour autant, selon Prescrire, son utilisation chez les femmes enceintes – une population à laquelle il est fréquemment prescrit – est déconseillée.
La philosophe pointe également un biais genré, Spasfon étant principalement administré aux femmes, notamment pour les douleurs menstruelles. Pourtant, aucune évaluation solide ne justifie son usage dans ce cadre, bien qu’il soit remboursé à hauteur de 15 % par l’Assurance maladie. « C’est un problème d’éthique médicale à grande échelle », insiste-t-elle, dénonçant un « gâchis d’argent ».
Un coût pour la collectivité
L’ampleur du phénomène est loin d’être anecdotique. En 2023, 26,5 millions de boîtes de Spasfon ont été remboursées par l’Assurance maladie, pour un montant total de 14 millions d’euros, selon Prescrire. Une dépense qui alimente le débat sur la gestion des deniers publics dans un système de santé sous tension.
Une inertie institutionnelle ?
Malgré l’interpellation des autorités sanitaires au printemps par Juliette Ferry-Danini, aucune réponse n’a été apportée à ce jour. Selon elle, cette inertie s’explique en partie par les faibles risques associés au médicament, mais aussi par un manque de volonté politique pour revisiter des habitudes de prescription bien ancrées.
Spasfon n’est certes pas un scandale sanitaire (comme l’a pu être Mediator par exemple) mais sa popularité questionne. Peut-on continuer à prescrire, à grande échelle, un produit aux allures de placebo ? Le débat, à la croisée des enjeux économiques, éthiques et scientifiques, mérite de ne pas rester lettre morte.
Avec AFP
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