Remboursement des substituts nicotiniques, l’écran de fumée

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Publié le 23 juin 2018
Par Francois Pouzaud
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Si les fumeurs qui souhaitent arrêter sont les grands gagnants du remboursement sur prescription médicale des substituts nicotiniques décidé par la ministre de la Santé, la mesure ne risque-t-elle pas de faire vaciller le marché OTC et de reléguer au second plan l’accompagnement et le conseil du pharmacien ? Un point sur lequel les officinaux ne doivent pas mégoter.

Paquet de cigarettes neutre, son prix à 10 € fin 2020, augmentation du forfait de prise en charge des substituts nicotiniques de 50 à 150 € par an, opération Moi(s) sans tabac en novembre, c’est déjà beaucoup mais cela ne suffit toujours pas. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, souhaite amplifier sa politique offensive contre le tabac et y va d’une nouvelle mesure emblématique. Le 26 mars dernier, elle a annoncé la substitution progressive de la prise en charge forfaitaire à 150 € par an (maintenue jusqu’à fin 2018) par un remboursement classique à 65 % par l’Assurance maladie, sans avance de frais, grâce au tiers payant en pharmacie. Une mesure attendue depuis longtemps par les tabacologues. « Elle permet de lever les freins liés à l’avance de frais, son objectif est de faciliter l’accès au traitement pour encourager les fumeurs à tenter l’arrêt du tabac », se félicite le Dr Anne-Laurence Le Faou, responsable du centre ambulatoire d’addictologie à l’Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris et présidente de la Société francophone de tabacologie. Non sans rappeler que la mesure a déjà fait ses preuves dans d’autre pays comme la Grande-Bretagne où l’on compte 17 % de fumeurs contre 30 % en France. Les officinaux sont eux aussi favorables au remboursement. A la question « Trouvez-vous pertinent que les substituts nicotiniques soient pris en charge par la Sécurité sociale », posée fin mars sur lemoniteurdespharmacies.fr, près de 72 % répondent oui (627 votes) !

Une prescription contre-productive selon l’USPO

Le remboursement des substituts nicotiniques répond à un enjeu de santé publique. Chaque année, le tabac tue plus de 73 000 personnes et coûte en dépenses de santé induites 26 milliards d’euros. Deux laboratoires jouent les pionniers du remboursement : EG Labo (avec ses gommes à mâcher 2 et 4 mg en boîte de 108, arôme fruits et menthe) et plus récemment Johnson & Johnson Santé Beauté France (avec ses boîtes de 28 patchs NicoretteSkin 16 heures sous 3 dosages : 10, 15 et 25 mg). Ce n’est qu’une question de temps, d’autres laboratoires vont leur emboîter le pas.

Si le gouvernement mise sur la démarche volontaire des industriels, il compte également sur l’engagement des généralistes, infirmières, sages-femmes, dentistes, kinésithérapeutes et médecins du travail qui sont autorisés à prescrire des substituts nicotiniques depuis la loi du 26 janvier 2016. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) estime pourtant que cette mesure sera contre-productive. « Je suis dubitatif sur le remboursement des substituts nicotiniques sur prescription médicale. Paradoxalement, il va en restreindre l’accès car la démarche sera compliquée. Je ne vois pas un fumeur consulter spécialement son médecin ou une femme enceinte une sage-femme pour une prescription de substituts nicotiniques », explique-t-il. Plutôt que de demander un droit de prescription pharmaceutique qu’il ne juge pas utile pour un médicament de prescription médicale facultative, il milite pour « laisser au pharmacien la possibilité d’initier un traitement de sevrage tabagique qui sera pris en charge par l’Assurance maladie. Le pharmacien l’a déjà fait pour la pilule du lendemain, et il n’y a jamais eu de dérapage. Une lettre ministérielle suffit pour que le conseil du pharmacien soit pris en charge ; dans le cas inverse, tous les patients fumeurs qui ne fréquentent pas les cabinets médicaux ne pourront pas bénéficier des mêmes moyens mis à disposition pour tenter d’arrêter de fumer ».

Par ailleurs, Gilles Bonnefond souhaite que soit inscrite dans la convention pharmaceutique la conduite d’entretiens motivationnels sur les six premiers mois d’un sevrage tabagique, sur le même principe que les entretiens pharmaceutiques consacrés aux anticoagulants ou à l’asthme. Une demande cautionnée par Anne-Laurence Le Faou qui est favorable à un droit de prescription pour le pharmacien, bien qu’il soit juge et partie car il vend et délivre le traitement : « Les pharmacies accueillent chaque jour un tiers de fumeurs, voire plus. Il pourrait s’agir d’un acte spécifique assorti d’une rémunération sur objectifs de santé publique. »

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Une motivation intacte ?

Autre point soulevé par le remboursement. L’arrêt du tabac est aussi et avant tout une question de volonté. Dès lors, la « gratuité » du sevrage tabagique peut déresponsabiliser le fumeur. « Non ! répond Marion Adler, médecin tabacologue au service d’addictologie de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). La dépendance au tabac est reconnue comme une maladie chronique, pourquoi se poser une telle question alors qu’elle ne se pose pas pour d’autres maladies chroniques ou traitements remboursés ? » Le docteur Le Faou ne fait pas non plus de distinction : « Le remboursement ne garantit jamais la prise correcte d’un traitement et son observance comme cela a déjà été montré dans le cas de l’hypertension artérielle. Comme pour toute pathologie, il est souhaitable de tenir compte des expériences passées du fumeur afin de trouver le traitement ad hoc acceptable pour lui. »

Deux marchés en concurrence

En fonction de la stratégie des laboratoires, deux marchés coexisteront à partir du 1er janvier 2019. Entre la prescription et le conseil en pharmacie, qui l’emportera ? « La prise en charge peut compenser la baisse de volumes en conseil », indique Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), qui espère que cela n’entraînera pas une démotivation des pharmaciens. Selon lui, l’évolution du marché OTC dépendra de l’accueil que réserveront les prescripteurs à ce remboursement, de la communication mise en place par l’Assurance maladie pour les impliquer, mais aussi du choix des fabricants de se positionner sur le marché de la prescription et des prix réglementés. Ce qui ne sera pas sans conséquence sur les marges et remises des pharmaciens.

« La coexistence de deux statuts différents pour les substituts nicotiniques pourra être possible et bénéfique pour ce marché, à condition que les prix publics des produits OTC s’alignent ou soient inférieurs à ceux de leurs équivalents remboursables », estime Gilles Bonnefond. Quant aux marges sur les présentations remboursables, « en plus de la remise légale, le laboratoire peut abandonner la marge grossiste au profit du pharmacien quand il achète en direct ; il peut aussi négocier plus de marge sur les présentations non remboursables », souffle-t-il.

Pour Marion Adler, la prescription et la dispensation sans ordonnance ne vont pas se cannibaliser : « J’espère même que le remboursement sera rapidement étendu aux autres formes galéniques (spray buccal, pastilles, inhaleurs) et, sur l’OTC, les pharmacies que je recommande, parce qu’elles pratiquent à la fois des prix attractifs et un conseil de qualité, voient ce marché se développer pour elles. »



À RETENIR

•   Le 26 mars dernier, Agnès Buzyn a annoncé la substitution de la prise en charge forfaitaire à 150 € par an (maintenue jusqu’à fin 2018) des substituts nicotiniques par un remboursement à 65 % par l’Assurance maladie.

•   Les gommes à mâcher EG Labo et les patchs NicoretteSkin sont d’ores et déjà remboursés.

•   Les conséquences économiques de la mesure sont pour l’instant difficiles à mesurer : la hausse des volumes compensera-t-elle la baisse des marges ?

•   La mise en place d’entretiens motivationnels sur les six premiers mois d’un sevrage tabagique fait partie des pistes évoquées dans le cadre de la convention pharmaceutique.

REPÈRES 

Par François Pouzaud – Infographie : Walter Barros