Princeps non nocere ?

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Publié le 1 février 2020
Par Francois Pouzaud et Magali Clausener
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L’alignement des prix des princeps sur ceux de leurs génériques puis une mise sous TFR remettent en cause toute la politique du générique des vingt dernières années. Et toute l’économie de l’officine. D’autant qu’en l’absence d’accord conventionnel pour réguler les baisses de prix, d’autres princeps pourraient s’engouffrer dans la brèche.

pendant que les nouvelles règles d’utilisation de la mention « non substituable » prennent progressivement leurs marques en officine, emportant l’acceptation parfois contrainte des patients et facilitant de fait la substitution, le contexte politique en ce début d’année autour du générique est très compliqué et le climat entre les acteurs du marché extrêmement tendu. L’alignement des prix décidé par Pfizer et Servier de plusieurs de leurs médicaments princeps le 15 janvier et la décision du Comité économique des produits de santé (CEPS) de créer dans la foulée des tarifs forfaitaires de responsabilité (TFR) pour les groupes génériques de quatre molécules de Pfizer (amlodipine, venlafaxine, alprazolam et sertraline) applicables ce 1er février, ont mis le feu aux poudres.

Et mis les syndicats pharmaceutiques dans une colère noire. Ils s’estiment trahis par ces deux laboratoires de princeps en raison de leurs pratiques qui remettent en question toute la politique du générique. Leur initiative est intervenue alors que sont entrées en vigueur, le 1er janvier, les dispositions de l’article 66 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2019 qui peuvent devenir mortifères en cas d’alignement des prix des princeps sur ceux des génériques.

«   L’article 66 a été voté en 2018. C’est du perdant-perdant. Personne ne peut être satisfait de cet article : les pharmaciens, les industriels, les médecins, les patients. Il est urgent que l’on sorte de cette situation. Il est urgent que la parenthèse des deux ans soit mise en œuvre   », a déclaré Frédéric Collet, président du Leem (Les entreprises du médicament), qui fait référence à l’article 42 de la LFSS 2020 instaurant une phase de transition de deux ans avant la mise en place d’une égalité de remboursement entre princeps et génériques. Et dont on attend l’arrêté d’application. «   La question clé est : à quel moment cette disposition va être mise en œuvre ? Et que fait-on en attendant ?   », a-t-il souligné. Sinon, le risque serait double pour l’officine qui perdrait la « manne » du générique et de sa rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).

Menace d’extinction sur la ROSP

Dans cette période transitoire de deux ans, d’autres laboratoires de princeps peuvent à leur tour être tentés de s’aligner pour éviter des pertes de valeur importantes sur leurs produits. Si cela devait se traduire par un amoindrissement des ventes de génériques, le Gemme (association des génériqueurs) a fait savoir qu’il cherchera de nouvelles solutions. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), craint «   une course à l’échalote à la baisse des prix   » dont personne ne sortira gagnant. «   L’Assurance maladie suit également ce dossier avec beaucoup d’inquiétude car s’il y a un déséquilibre économique sur le marché du générique, nous lui demanderons de compenser dans le bilan sur la rémunération officinale et cela risque de peser sur l’accord de l’avenant   11   », explique-t-il.

En effet, dans l’hypothèse d’un alignement généralisé des princeps sur les prix de leurs génériques, la ROSP génériques serait vouée à disparaître. «   Les deux derniers accords conventionnels sur la ROSP génériques font perdre 100   millions d’euros sur deux ans à la profession, et pour celle de 2020 qui sera versée en 2021, les deux signataires de l’avenant n°   11 n’ont encore rien négocié   », s’inquiète Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Qui soulève un autre problème : le délai d’écoulement extrêmement court des stocks (de 50 jours) puisque les TFR entrent en application ce 1er février.

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Accord : une partie de cache-cache

Les syndicats d’officinaux ont immédiatement alerté le CEPS, le ministère de la Santé, l’Assurance maladie, le Gemme et le Leem pour souligner les dangers de valider de telles pratiques industrielles, et ont demandé une réunion en urgence sous l’égide de la ministre de la Santé. Notamment pour sortir un avenant à l’accord-cadre Etat-industrie sur les prix qui pourrait tout régler. Mais celui-ci joue jusqu’ici les Arlésiennes. «   Il y a un accord tacite entre les différents acteurs pour maintenir un écart de prix minimum entre princeps et génériques. Au lieu de cela, deux laboratoires mettent en place une stratégie qui empêche le générique de prospérer et organisent la non-concurrence à des fins de défendre leurs intérêts particuliers   », ne décolère pas Gilles Bonnefond.

Le discours des industriels est plus nuancé. «   Un accord a été évoqué dans les discussions sans faire état d’un chiffrage précis   », livre Stéphane Joly, président du Gemme. Quant au Leem, il dément. «   C’est une rumeur. Le Leem n’a jamais proposé un avenant pour lier les prix entre princeps et génériques. Cela serait une pratique anticoncurrentielle   », explique Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du syndicat professionnel. Si le Leem explique qu’un avenant à l’accord-cadre sur les prix n’est pas possible, c’est pour deux grandes : il ne peut pas intervenir dans les politiques de prix des laboratoires et une entente sur les prix entre princeps et génériques serait sanctionnable par l’Autorité de la concurrence.

On comprend ainsi mieux la réponse du moment de Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS, section médicament : «   Le CEPS n’a pas connaissance de l’existence d’un accord entre organismes représentatifs et n’a pas reçu de nouvelle lettre d’orientation.   » Il précise aussi que «   les positions du CEPS relèvent avant tout du respect de l’accord-cadre et tout nouvel accord devrait passer par un avenant à celui-ci. Le comité n’a reçu aucune proposition d’avenant conventionnel à l’accord-cadre actuel susceptible de modifier les modalités de prise en compte des demandes de baisses de prix des laboratoires.   » Dont acte.

Les solutions pour sortir de l’ornière

La publication de l’arrêté d’application de l’article 42 pourrait changer la donne en officialisant l’existence d’une différence de prix entre princeps et génériques, et faire en sorte qu’un accord ne soit pas retoqué par l’Autorité de la concurrence. Si le Gemme et les syndicats pharmaceutiques poussent à la roue pour obtenir un tel accord, c’est que l’enjeu est double. «   Un avenant à l’accord-cadre doit être signé au plus vite afin de permettre au CEPS de réguler les baisses de prix des princeps   », souhaite Stéphane Joly. «   Il y a état d’urgence sur le médicament générique , renchérit Pascal Brière, vice-président du Gemme en charge des affaires économiques. Il y a actuellement 90 groupes du Répertoire potentiellement concernés par la protection des 24 mois   », soit autant de princeps qui pourraient aligner leurs prix sur ceux de leurs génériques. «   Le but de l’accord-cadre est de réguler les baisses de prix des princeps au-delà des deux ans pour éviter d’avoir une évolution asymptotique jusqu’à zéro des écarts de prix entre princeps et génériques   », conclut-il. Quant au Leem, il a proposé que les alignements de prix proposés par les laboratoires soient transmis au Comité de suivi des génériques, qui se réunit deux fois par an, pour avis. L’arrêté d’application de l’article 42 ne s’est jamais fait autant attendre. 



PFIZER ET SERVIER S’EXPLIQUENT

Mis au banc des accusés après l’alignement de ses prix, Pfizer s’est défendu en expliquant dans un message écrit que le laboratoire a décidé de baisser ses prix au niveau du TFR sur la base de l’article 66 de la LFSS 2019 afin de « continuer à proposer certains de ses médicaments princeps et maintenir, pour tous les patients, l’accès à des médicaments qu’ils connaissent et utilisent régulièrement sans reste à charge à financer ». Servier, qui n’est plus adhérent au Leem, avance des motifs assez proches : « Ces baisses de prix sont la conséquence de l’adaptation de l’article 66 de la LFSS 2019 dont les difficultés d’application avaient été soulevées par les acteurs de la filière, y compris les patients. Il ne s’agit pas d’une stratégie antigénérique mais d’une démarche tournée vers les patients traités pour des pathologies chroniques (hypertension, diabète), qui n’avaient pas jusqu’alors adopté le générique, pour ne pas changer leurs habitudes et éviter au pharmacien de longues discussions au comptoir pour convaincre ces patients. »



À RETENIR

•    L’alignement des prix de certains princeps sur leurs génériques menace l’économie du générique, sur laquelle repose une grande partie de l’économie de l’officine.

•    Il a été question d’un accord-cadre maintenant un différentiel de prix entre princeps et génériques pour préserver l’économie du générique, mais celui-ci n’existe pas à l’heure actuelle.

•    La publication d’un arrêté d’application de l’article 42 de la LFSS 2020 pourrait débloquer la situation.



REPÈRES 

L’analyse : La perte de marge est importante sous TFR, à la fois sur le princeps (- 0,85   € par boîte) et sur le générique (- 0,62   € par boîte). Néanmoins, elle est moindre sur le générique (- 15,85   %) par rapport au princeps (- 56,66   %), notamment grâce à la remise sur facture de 40   % sur le générique. Même si le gain «   marge plus remises   » du pharmacien sur le générique est plus faible après TFR, il est en proportion cinq fois plus élevé que celui du princeps (3,29   € contre 0,65   €). PAR FRANÇOIS POUZAUD et anne-hélène collin