La note salée des médicaments chers
Face à l’augmentation des délivrances de médicaments chers et à la recrudescence des litiges entre pharmaciens et caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), le poids des recouvrements des indus peut vite devenir écrasant pour les officines. Les syndicats cherchent à trouver avec la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) des solutions afin de desserrer l’étau d’une gestion trop bureaucratique des indus.
Peu rentables à la vente – la marge du pharmacien est plafonnée à 98,39 € au-delà d’un prix fabricant hors taxe de 1 515 € –, au regard de la charge de travail et de la responsabilité mises en œuvre lors de leur dispensation (haute technicité, modalités de prescription et de délivrance aussi strictes que variées), les médicaments chers sont, cependant, chaque jour un peu plus essentiels à la pharmacie, de par leur poids croissant dans le chiffre d’affaires (CA). Un CA qui se maintient d’ailleurs grâce à eux. Mais l’augmentation des volumes laisse aussi un goût amer, exposant davantage les pharmaciens à des actions de récupération des indus – des sommes perçues à tort par la pharmacie – menées par les CPAM.
Cette pratique de récupération n’est pas nouvelle, mais aujourd’hui l’explosion des produits chers rend cette procédure extrêmement préoccupante économiquement pour les officines. « C’est devenu un sujet majeur si l’on veut que la pharmacie continue à pratiquer le tiers payant, sans avance de frais pour le patient », expose sans ambages Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En effet, lorsqu’elles estiment que les factures du pharmacien ne sont pas conformes, parce qu’il n’a pas appliqué à la lettre la réglementation au moment de la délivrance ou exécuté une ordonnance qui ne comporte pas toutes les mentions obligatoires, les caisses ayant une approche rigide des textes ne se gênent pas pour réclamer des indus portant sur le montant total du médicament concerné. Dans ce cas, « le pharmacien perd non seulement le montant de sa rémunération (marge et honoraires), mais également celui du prix d’achat, alors que le produit a été délivré. Le payant ainsi deux fois », fait remarquer Philippe Gaertner.
Cette double peine, financièrement très dissuasive, fait que les pharmaciens sanctionnés deviennent réticents et refusent de pratiquer le tiers payant en cas de non-conformité de l’ordonnance. Avec le risque de retards de délivrance pour le patient, voire de ruptures de traitement.
Ces indus abusifs peuvent également aggraver la situation financière des officines les plus fragiles car le manque à gagner peut rapidement atteindre la dizaine de milliers d’euros. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), rappelle que la récupération des indus peut porter sur un historique de facturations à l’Assurance maladie de deux années et demie. « En 2017, les caisses ont récupéré plus d’un milliard d’euros d’indus auprès de l’ensemble des professionnels de santé, les pharmaciens n’ont pas été les derniers à payer l’addition », souligne-t-il.
Jusqu’à 200 000 € d’indus
Les erreurs de prescription se paient « cash », si le pharmacien n’y prend pas garde. « Nous avons connaissance de cas de reprise de 200 000 euros, alors que le patient a bien reçu son traitement et que, de ce fait, il n’y a pas de manque à gagner pour la caisse », rapporte ainsi Philippe Gaertner.
La réduction des indus est un sujet récurrent de la vie conventionnelle, mais son importance conduit aujourd’hui la FSPF à réclamer une remise à plat des pratiques adoptées par les caisses. La requête de ce syndicat semble enfin prise en considération, puisqu’une première réunion du groupe de travail (réunissant des représentants de la profession et de l’Assurance maladie) sur la gestion des indus s’est récemment tenue à la Cnam. « Cela faisait plus de 18 mois que nous avions demandé cet état des lieux à la Commission paritaire nationale (CPN) afin de faire bouger les lignes », précise le président de la FSPF.
Paiement garanti, une fois la commande passée
L’objet de ce groupe de travail technique (la seconde réunion est prévue ce mois de juillet) est de fluidifier les relations entre les caisses et les pharmaciens, et de trouver des modalités de récupération des indus plus sécurisantes et moins pénalisantes pour l’officine en cas de tiers payant. « Il faut changer les règles administratives et trouver des solutions équitables, ce n’est pas parce qu’il manque une croix dans une case que cela doit justifier un indu. Si la molécule a été dispensée au patient, c’est parce que ce traitement lui est nécessaire », martèle Philippe Gaertner qui milite pour une solution en amont de la délivrance. « A partir du moment où le médicament cher est commandé parce que le patient en a besoin, la validation de la commande doit valoir autorisation de facturation à la caisse, ce qui réglerait à la fois le problème des facturations réalisées avant la délivrance (gestion des promis) et celui du retour impossible du médicament invendu au grossiste. »
La FSPF demande également qu’en cas de récupération d’indus, celle-ci soit limitée à la seule rémunération du pharmacien, et donc qu’elle ne porte plus sur le prix du médicament.
Interrogée sur l’ouverture de ces travaux, l’Assurance maladie n’a pas souhaité s’exprimer. « Les échanges entre les pharmaciens et l’Assurance maladie viennent juste de débuter, il est trop tôt pour pouvoir dire quelque chose sur le sujet », nous a-t-elle répondu de manière laconique.
Pour Gilles Bonnefond, les médicaments chers ne sont qu’un des éléments de la discussion à ouvrir avec l’Assurance maladie sur la réduction des indus abusifs. D’autres produits sont tout aussi concernés. « La fin de l’acharnement des caisses envers les pharmacies et des indus abusifs – notamment pour les dispositifs médicaux – étaient des revendications clés de la mobilisation du 26 janvier 2017 [ NDLR : mouvement de grève et manifestation de la profession ] , rappelle-t-il. Aussi, nous avons obtenu de l’Assurance maladie que les caisses tiennent compte des situations où le pharmacien ne peut vérifier la conformité de la délivrance par rapport aux conditions de prises en charge réglementaires. »
Plus de prévention, moins de répression
Autre avancée depuis, la diminution des risques d’indus figure dans les objectifs fixés dans l’avenant n° 11 à la convention pharmaceutique signé le 20 juillet 2017 entre l’UNCAM et l’USPO. « Ce dossier est mis sur la table de travail pour que le rôle des commissions paritaires locales évolue vers davantage de prévention », indique le président de l’USPO. Pour ce faire, elles devront désormais analyser les éventuelles difficultés d’application de la réglementation et recommander, à la Commission paritaire régionale (CPR) et à la CPN, différentes actions permettant une mise en œuvre facilitée de ces dispositions réglementaires pour les pharmacies. « Les commissions paritaires pourront ainsi anticiper certaines problématiques, permettre une résolution en amont et éviter autant que possible des mesures répressives. Le but, quand un problème de prescription non conforme est détecté, est d’avertir le médecin avant d’embêter le pharmacien », explique Gilles Bonnefond qui attend lui aussi un signal fort de l’Assurance maladie. « Ce sera la preuve qu’elle considère le pharmacien comme un professionnel de santé qui, à ce titre, engage sa responsabilité pour assurer la continuité des soins », conclut-il.
À RETENIR
• Les règles de délivrance souvent complexes des médicaments chers exposent les officines à la récupération d’indus.
• Les caisses les plus rigides sur les textes réclament d’ailleurs des indus sur la totalité du montant qu’elles ont remboursé : le pharmacien perd non seulement sa rémunération, mais aussi la totalité du prix d’achat.
• Les pharmaciens sanctionnés une première fois hésitent à pratiquer ensuite le tiers payant en cas de non-conformité de l’ordonnance.
• Un cycle de réunions a démarré avec l’Assurance maladie, afin de trouver des modalités de récupération des indus moins pénalisantes.
REPÈRES
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