La fin du monopole : Et si le scénario se produisait ?
Il faut savoir raison garder. Ce n’est pas la suppression du monopole sur les médicaments à prescription médicale facultative (PMF), à elle seule, qui mettra sur le tapis des pharmacies et accélérera le nombre de fermetures (229 en 2018). En revanche, elle peut, avec d’autres mesures, y contribuer. « Il ne faut pas sousestimer la charge symbolique d’une telle mesure, qui peut être l’amorce d’un changement complet de modèle, packagé à une série d’autres mesures, telles que l’ouverture du capital, la réduction du réseau à 16 000 officines, la libéralisation de la vente en ligne, la fin de la dépendance économique des officines au médicament générique », affirme Claude Le Pen, professeur de l’Université Paris Dauphine et économiste de la santé. Et il ajoute : « Le gouvernement entretient les paradoxes, soufflant le chaud lorsqu’il vante la pharmacie de proximité, et le froid quand il veut rendre le circuit de distribution du médicament plus efficient. Il veut mener une politique de restructuration du maillage des officines, qui va à l’opposé du modèle de la pharmacie de proximité. La question se pose en ces termes : « Faut-il sacrifier cette proximité à un concept de distribution plus efficient reposant sur des méga pharmacies, soutenues par des fonds d’investissement et dirigées par des gestionnaires venus souvent de la grande distribution et qui sont, aussi, les mieux armées pour réaliser les nouvelles missions et, en dernière extrémité, une distribution du médicament de type Amazon ? », lance-t-il.
CHANGEMENT de décor.
Même si la levée du monopole semble peu probable d’ici à l’horizon 2025, quelles seraient les pharmacies les plus touchées ? Pour Albin Dumas, président de l’Association de pharmacie rurale (APR), l’ouverture du monopole des médicaments à prescription médicale facultative (PMF) aux grandes et moyennes surfaces (GMS) fragiliserait, principalement, l’économie de certaines officines situées dans les territoires en sous-densité médicale. Plus grave, « l’ouverture du monopole serait un très mauvais signal envoyé aux jeunes pharmaciens qui doivent prendre la relève, car la clientèle de passage pourrait, alors, ne plus venir et s’approvisionner dans l’immédiateté en GMS. La rentabilité s’en trouverait automatiquement affectée, les revenus du titulaire aussi et, surtout, ce serait un facteur psychologique négatif pour la reprise de petites officines rurales qui ont déjà du mal à trouver un repreneur. Cela ne ferait qu’entamer un peu plus le « capital confiance » des acquéreurs et, à terme, ce type d’officines seraient donc appelées à fermer. » Quand l’économiste, Claude Le Pen, se projette à son tour, il considère que les pharmacies les plus impactées seraient « les officines de passage, où la part relative de l’automédication est la plus importante (15 % minimum, contre 7,2 % pour l’ensemble du réseau). Mais compte-tenu de leur taille importante, pour peu qu’elles appartiennent à une enseigne capable de donner la réplique aux GMS en termes de prix, elles seraient à peine fragilisées. La petite pharmacie rurale, si elle doit vaciller ou disparaître, ce ne sera pas à cause de la perte de l’OTC. En fait, celles qui auraient le plus à souffrir d’une levée du monopole sont les pharmacies urbaines de taille moyenne supérieure. Sans pour autant trépasser pour cette raison ! ».
PAS de fin tragique.
Depuis trois ans, « les enseignes de la GMS, à la recherche de nouveaux relais de croissance, s’intéressent à l’univers santé-bien-être-beauté, renouvellent ou tentent de renouveler leurs formats de magasins et peuvent directement concurrencer les officines sur le hors monopole (univers beauté, bien-être, naturalité, produits pour seniors) et probablement demain sur l’automédication », annonce Hélène Charrondière, directrice du pôle pharmacie- santé des Echos Etudes. D’ailleurs, elle constate que plusieurs acteurs de la GMS s’activent. « A l’image de Monoprix qui relance son enseigne Monop’beauty. » Avec en ligne de mire, la volonté de concilier une offre beauté à la fois grand public et différenciante, sélectionnée pour une clientèle de quartier. Outre les marques institutionnelles, comme L’Oréal ou Bourgeois, le point de vente sélectionne des marques exclusives et s’ouvre en même temps aux labels éco-responsables et bio (Korres, Revolution, La Rosée…). Cette enseigne de proximité s’appuie aussi sur la notoriété d’autres acteurs, dans l’air du temps, pour attirer une cible plus jeune. Elle considère également que l’initiative d’Intermarché, qui a ouvert en octobre 2018, un magasin dédié aux seniors, baptisé « Bien chez moi » est aussi à prendre au sérieux. Les Mousquetaires misent sur des produits santé et bien-être, mais aussi sur des articles qui facilitent la vie au quotidien, des produits dédiés au maintien à domicile (aménagement de salle de bains, de la cuisine, monte-escalier, équipements domotiques…), des équipements de santé connectée et des installations de sécurité. Les services ne sont pas oubliés, le magasin intègre un espace modulable proposant des ateliers sur l’apprentissage des outils numériques, la nutrition, le sommeil, la sophrologie… Quant au nouveau magasin imaginé par le groupe Casino, en partenariat avec L’Oréal, « le drugstore parisien » est devenu un lieu de proximité inédit, consacré aux produits de beauté et bien-être à destination des urbains. Et même s’ils ne s’arrogent pas le médicament, tous ces nouveaux laboratoires d’essais dans l’univers de la beauté-santé démontrent l’envie de la grande distribution de pousser les portes encore un peu plus loin. « Cette concurrence frontale sur les segments de produits hors monopole n’est pas nouvelle et la pharmacie d’officine a toujours su capitaliser sur ses atouts, puisqu’elle détient plus de 80 % du marché de la parapharmacie, loin devant les autres circuits », analyse Hélène Charrondière. Sous-entendu, tout n’est pas écrit d’avance et la suppression du monopole sur les médicaments à prescription médicale facultative serait loin d’aboutir à la fin de l’hégémonie de la pharmacie sur ce marché.
LE CAS DU MOIS
Dans son dernier avis sur le secteur de la distribution du médicament, l’Autorité de la concurrence persiste dans sa proposition d’ouvrir la vente de médicaments sans ordonnance aux grandes surfaces. Elle gravit même une marche en proposant de lever certaines restrictions sur la vente en ligne de médicaments.
La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a coupé court à cette menace, indiquant à la profession, à demi-inquiète, que l’abolition du monopole des officinaux n’est pas à son programme et que « ce n’est pas sa politique ». Une tirade qui n’est pas isolée, puisque Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Edouard Philippe, Premier ministre, déclarent qu’ils n’y sont pas favorables non plus. Au-delà du soulagement perceptible de la profession suite à ces discours apaisants de nos gouvernants, quel serait l’impact d’une suppression du monopole limitée aux médicaments OTC sur l’économie, ainsi que sur le maillage officinal ?
LES EXPERTS
Albin Dumas PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DE PHARMACIE RURALE (APR)
Claude Le Pen PROFESSEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE ET ÉCONOMISTE DE LA SANTÉ
Hélène Charrondière DIRECTRICE DU PÔLE PHARMACIE-SANTÉ DES ECHOS ETUDES
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Un gâteau aux parts inégales
Les ventes de médicament à prescription médicale facultative non remboursable, sur 12 mois glissants à fin mars 2019, ont représenté un C.A de 1,732 M€, soit 7,2 % de parts de marché en valeur, sur l’ensemble du marché pharmaceutique (source : données de Sell Out du Gers). Potentiellement, c’est ce qui pourrait être capté par les grandes et moyennes surfaces (GMS). « Mais, ce périmètre ne prend pas en compte l’exclusion ou le retrait après coup de certaines molécules en raison des risques de mésusage », fait observer Hélène Charrondière, directrice du pôle pharmacie-santé des Echos Etudes. Ni les conditions restrictives qui pourraient être imposées aux distributeurs et aux consommateurs. A la lumière des observations réalisées dans des pays comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni, où la distribution des médicaments d’automédication a été libéralisée sans imposer de restrictions. La « fuite » a été assez limitée, soit entre 13 et 13,5 % du marché. En France, la part de marché des parapharmacies et de la GMS sur les produits de parapharmacie est du même ordre, se situant à un peu plus de 12 % (source : OpenHealth). « Ces données comparatives sur le marché de la parapharmacie laissent à penser que sur un périmètre du marché de l’OTC hors monopole plus réduit, à 7,2 %, la GMS pourrait prendre, au mieux, entre 12 et 15 % de parts de marché », estime Hélène Charrondière. Rapporté au marché pharmaceutique total, c’est moins de 1 % de perte. Peanuts !
AH OUI ! La France est l’un des derniers pays européens à préserver le monopole du médicament.
OH NON ! Les Etats qui ont procédé à une ouverture, partielle ou totale, l’ont toutefois assortie de conditions ou restrictions spécifiques visant à limiter les risques sanitaires.
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