« Créer de la valeur émotionnelle »

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Publié le 3 octobre 2013
Par Fabienne Colin
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Spécialiste de la relation client, Lionel Meyer explique aux commerçants – et donc aux pharmaciens – comment faire la différence en capitalisant sur l’humain.

« Pharmacien Manager » : La mission de Luxury Attitude est de « réduire l’écart entre la promesse d’une marque et la perception du client ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Lionel Meyer : Une promesse peut être explicite ou implicite. Darty, par exemple, s’est fait connaître sur le contrat de confiance, sur l’idée, formalisée, qu’on va vous dépanner. C’est explicite et différenciant. Pour le pharmacien, la promesse, sans qu’il ait besoin de le dire, c’est la compétence, le conseil… Toutefois, aujourd’hui le pharmacien doit se positionner au-delà. De la même manière, dans l’hôtellerie, la promesse implicite de la chambre propre et d’un lit confortable ne suffit pas dans un secteur ultraconcurrentiel. En pharmacie, on commence à voir les réseaux structurés afficher des promesses sur les façades à propos des pharmaciens « diplômés », du « droit du client de changer d’avis » (et de pouvoir échanger un produit), ou encore d’une « consultation gratuite ».

P.M. : Comment choisir sa promesse ?

L.M. : Il faut écrire sa promesse, même si elle est évidente. Cela permet de l’avoir en tête et de pouvoir la transmettre à l’équipe. Ensuite, il faut se demander si un autre pharmacien n’a pas la même promesse. Ce n’est pas grave dans le cas où il ne la tient pas. Sinon, il va falloir distinguer ce qui relève de la valeur ajoutée de sa propre officine. Cela nécessite des partis pris forts. Certains font du prix, d’autres des préparations… La promesse me distingue des autres pour que le client me choisisse.

P.M. : Comment faire la différence sur le conseil ?

L.M. : Le pharmacien est reconnu pour son sens du conseil. Mais comment le conseil est-il rendu ? D’un pharmacien, on vous dira parfois qu’il est mal aimable, qu’il ne respecte pas l’intimité en parlant fort… Tout est question d’attitude. On peut respecter la confidentialité en créant des sortes de cocons. C’est cela qui fera qu’un client préférera venir chez moi. En pharmacie, il y a assez peu de suivi des conseils d’une visite sur l’autre : pourquoi ne pas former l’équipe à se souvenir des recommandations faites aux habitués la fois d’avant et fixer cela comme principe ? L’outil informatique peut aider à cela. On peut vraiment travailler le conseil. Aujourd’hui, dans l’attitude, est-on attentif à la façon de remettre le sac au client ? Va-t-on au-devant du client ? L’accompagne-t-on ?…

P.M. : L’attente est souvent longue dans les officines. Comment concilier cela avec le conseil ?

L.M. : Les gens acceptent d’attendre chez moi soit parce je suis tout seul, soit parce qu’on me reconnaît une compétence… La personne qui sert alors qu’il y a la queue aura tendance à penser à ceux qui sont derrière, à vouloir aller plus vite. En « allant à l’essentiel », elle va enlever ce qui lui semble superflu, or c’est ce superflu qui touche le client. Elle sera dans une démarche très fonctionnelle, fondée sur l’efficacité. La différence ne peut pas se faire là-dessus. Il faut trouver un juste milieu entre le fonctionnel et l’émotionnel. Par exemple, se demander comment faire patienter plus agréablement. Dans un supermarché, si la caissière est efficace et souriante, le client patiente plus agréablement. Dans l’attitude, il faut savoir être efficace mais pas uniquement. Sinon on enlève la qualité de la relation humaine et on dépersonnifie la relation. Le client risque d’aller ailleurs.

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P.M. : Comment se former à ces attitudes émotionnelles ?

L.M. : Il faut que la qualité du service et, plus globalement la promesse constituent le projet de l’entreprise, formalisé, connu et partagé par tous. Je préconise de confier la rédaction du projet à l’équipe. Il faut travailler sur ce qui distingue l’officine… Sur quoi voudriez-vous que vos clients vous complimentent ? Puis il faudra réfléchir à comment matérialiser ce « plus émotionnel » : par exemple remettre le sac à deux mains devant le comptoir, écrire lisiblement les posologies, faire référence pour chaque client à sa précédente visite… Nous appelons cela « créer des signatures », c’est-à-dire des axes de différenciation. L’équipe va ainsi travailler sur une promesse, se créer une identité, des gestes communs, et en être fière. Surtout, on va rendre le tout un peu événementiel en s’y préparant et se fixant une échéance. A telle date, les clients doivent voir le changement,par quelques actes symboliques très visibles.

P.M. : Comment être au top en permanence dans l’accueil ?

L.M. : Il faut déjà aimer son travail, savoir pourquoi on le fait, prendre plaisir à le faire et avoir des partis pris forts. Les pharmaciens n’ont pas tous une sensibilité à la relation client. Or aimer son travail c’est aimer le client et être dans une « mission », pas dans une « tâche à accomplir ». Cette profession, comme d’autres, s’inquiète du futur mais vit au jour le jour. Il faut concilier les court, moyen et long termes. Pour cela, il faut inscrire l’équipe dans un projet et lui dire où on en sera dans un an. Sinon, on reste dans la routine, qui use. Certains critiquent les groupements ou ceux qui sont plus agressifs commercialement, mais derrière se créent une sorte de dynamique du succès, de nouveaux produits, de formation… Aujourd’hui, combien de jours sont consacrés à la formation ? On peut accorder des budgets formation à la gestion des situations difficiles, l’attente ou la vente – ce n’est pas sale de vendre ! Chez le pharmacien, il y a des pratiques managériales à faire évoluer pour passer du commerçant de quartier à une dynamique d’entrepreneur.

P.M. : Comment faire ?

L.M. : On réunit son équipe une fois par trimestre, à une heure de fermeture. De plus, on fait des briefings. Comme en restauration où avant le coup de feu, on parle du plat du jour, du nombre de réservations, des clients VIP… On met les équipes en action. Ainsi, le pharmacien peut indiquer dans son brief du matin le passage de tel représentant, la rupture sur un produit, le partenariat avec une marque… Il peut vouloir mettre l’accent sur un service ce jour-là et demander à l’équipe lequel : sourire, demander des nouvelles de la famille aux clients… Il faut aussi des débriefings participatifs. C’est le moment de donner de la visibilité économique sur la pharmacie. Par exemple : « on perd en générique » ou « bravo, on progresse de 12 % en para ». Donner du feedback, c’est reconnaître le travail effectué. Cela motive l’équipe qui se sent considérée. Il s’agit de créer de la valeur émotionnelle chez le collaborateur, qui va la transmettre au client. Le management, sans être émotif, doit porter sur de la valeur humaine.

Lionel Meyer, cofondateur de Luxury Attitude

En 1997, Lionel Meyer a fondé (avec son associé Erik Perey) une première agence de conseil commercial et managérial qui plaçait l’humain au cœur de la relation client. Rebaptisée Luxury Attitude, l’entreprise s’est spécialisée dans l’hôtellerie de luxe après une première mission pour le célèbre Plaza Athénée, puis dans les marques haut de gamme tels Nespresso ou Audi. En 2011, le duo crée l’agence Customer Experience dont le portefeuille client compte Krys et Air France.