Le générique vieillit mal

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Publié le 5 novembre 2018
Par Francois Pouzaud
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Le marché du médicament générique est en panne de croissance depuis plusieurs années et rien ne laisse présager qu’il va rebondir. son évolution future dépendra des mesures du plan national d’action de promotion des médicaments génériques, qui vise à activer le levier de la prescription. mais, l’État est-il vraiment prêt ?

Le marché du générique est-il entré dans l’âge de raison ? Cela en a tout l’air. Ces dernières années, le marché s’essouffle en volume et surtout en valeur, du fait de l’impact des baisses régulières des prix estimées à plus de 160 M€ en 2018, auxquels s’ajoutent les 800 M€ enregistrés sur les cinq dernières années. A fin juillet, le médicament générique ne représentait que 36 % du marché pharmaceutique remboursable en volume et 19 % en valeur (source : Gemme/Gers). Son évolution actuelle n’est plus comparable avec les croissances observées avant 2010, ou même en 2013 lors de la relance du principe « tiers payant contre générique ». Le marché se situait alors au-delà des 10 points de progression. Aujourd’hui, il flirte avec la récession, alors que la France n’est toujours pas au niveau de ses voisins européens, en termes d’utilisation des médicaments génériques et que ces derniers restent un formidable levier pour générer des économies à l’Assurance maladie (1,373 Mds€ en 2017, contre 1,757 Mds€ en 2013).

Malgré tout, le générique tient toujours en haleine la profession, compte tenu du poids qu’il génère dans la marge de l’officine (encore près de 40 % !). C’est pourquoi les pharmaciens sont au taquet sur la substitution : son taux ne faiblissant pas.

UNE RESSOURCE qui se tarit.

Mais qu’on se le dise, « le générique ne pourra plus donner, ce qu’il a donné », prévient Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial. Sous la pression des prix, les laboratoires de génériques ont progressivement baissé leurs conditions commerciales. Et ce malgré le relèvement du plafond légal des remises à 40 %, depuis le 1er septembre 2014. Selon des chiffres communiqués par la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), les remises ont baissé de 100 M€ environ en 2017, pour se situer sous le milliard d’euros. Autre fait peu réjouissant : le déclin de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des génériques en 2018, amputée de 25 M€ dans la nouvelle convention pharmaceutique, tombée à 115 M€.

LE RÉPERTOIRE se rétrécit.

Outre l’inflexion de la ROSP, des remises et des coopérations commerciales, l’évolution du répertoire touche naturellement à sa fin, car les médicaments sous brevet « ancienne génération » qui tombent dans le domaine public, s’amenuisent. Et ceux qui peuvent prétendre à y entrer (paracétamol, substances végétales, médicaments inhalés sous forme de spray à l’exception du formotérol…) sont bloqués à la porte du répertoire, pour des raisons à la fois politiques, économiques, scientifiques et techniques. Les laboratoires de princeps ne sont pas les seuls à leur mettre des bâtons dans les roues pour retarder l’échéance. Les génériqueurs s’avèrent aussi réticents à mettre sur le marché des copies non rentables. « Par exemple, les dispositifs utilisés pour les médicaments inhalés sont très chers à fabriquer, leur prix de revient élevé n’est pas compatible avec une commercialisation d’un générique à un prix fabricant hors taxe à – 60 % », se plaint le directeur commercial d’un laboratoire situé dans le top 5 des génériques en France.

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DOPER les génériques.

Amener les médecins à prescrire davantage dans le répertoire, reste compliqué. La généralisation de la prescription en Dénomination Commune Internationale (DCI) au 1er janvier 2015, a eu une portée limitée, puisque son non-respect n’est assorti d’aucune sanction. Pour lever les derniers points de blocage, « le Gemme (l’association GÉnérique Même MÉdicament) travaille sur l’analyse et la compréhension des raisons, qui limitent le développement du répertoire. », annonce Catherine Bourrienne-Bautistat, déléguée générale du Gemme. Par ailleurs, elle ne manque pas d’idées pour faire évoluer les mentalités : encourager les médecins à prescrire davantage dans le répertoire, en les payant par un honoraire complémentaire de 0,5 à 1 € (cette revalorisation serait autofinancée par la croissance des génériques). Et les patients pourraient être stimulés à les utiliser plus largement, en baissant la franchise à la boîte sur les génériques.

PLUS de volume.

L’association des génériqueurs est, elle, persuadée que les économies liées au générique ne se situent plus dans la baisse de prix, mais dans une augmentation des volumes. Etude chiffrée à l’appuie, elle a démontré au Comité économique des produits de santé et à la CNAM, qu’en augmentant de 20 points la prescription des génériques dans le répertoire, passant de 45 % à 65 %, l’Assurance maladie réaliserait plus de 4 Mds d’euros d’économies supplémentaires en cinq ans. De son côté, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est engagée sur des objectifs ambitieux dans la Stratégie nationale de santé 2018-2022 : 1 médicament sur 2 prescrit dans le répertoire en 2020. En revanche, elle s’est montrée plus discrète sur la volonté du gouvernement à faire grossir le répertoire des génériques et élargir le terrain de jeu de la substitution.

A défaut, elle a introduit deux mesures « surprise » dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFFS) 2019 : la suppression de la mention « non substituable » systématique. Son utilisation serait alors limitée à des situations bien précises, qui nécessiteraient pour le médecin de la justifier par des critères médicaux. La deuxième mesure est l’instauration d’un malus financier pour l’assuré refusant la substitution, en remboursant le princeps sur la base du prix du générique. Celle-ci ne serait applicable qu’à compter du 1er janvier 2020. Un coup d’épée dans l’eau selon les acteurs du marché, les médecins jugeant la mesure les concernant inapplicable, tandis que les syndicats de pharmaciens et les génériqueurs craignent un alignement des prix des princeps et donc un risque de généralisation des tarifs forfaitaires de responsabilité (TFR). Autrement dit, la mort du générique. Sans en arriver à ce scénario catastrophe, pour Philippe Besset, vice-président de la FSPF, le générique continuera de croître à petite allure. « L’avenir, c’est le biosimilaire ! Mais, ce levier de croissance nécessite des évolutions réglementaires, qui ne sont pas au rendez-vous pour l’instant ! »

L’ESSENTIEL

→ En panne de croissance, le marché du générique est entré précocement dans l’âge de raison.

→ Le potentiel de développement du générique en France est loin d’être épuisé, au regard de son retard par rapport à ses voisins européens.

→ L’Etat détient les clés de la croissance de ce marché. Il suffit de prendre des mesures incitant les médecins à prescrire davantage dans le répertoire des génériques.

→ La substitution des biosimilaires est le prochain relais de croissance pour l’officine.

914 MILLIONS D’UNITÉS de générique ont été vendues en cumul annuel mobile à fin juillet.

Un volume en légère progression (+1,7 %), tandis que la valeur du marché, fixée à 3,495 Mds d’euros en prix fabricant hors taxe (PFHT), est stable (+0,9 %).

Source Gemme/Gers

GAIN

plus de valeur, moins de volume !

Aujourd’hui, les médicaments qui perdent leurs brevets sont des médicaments à forte valeur ajoutée, mais à faible volume de vente. Leur montée en substitution n’est donc pas aussi rapide que pour des IPP (Inhibiteurs de la pompe à protons) ou des statines.

« Cette nouvelle falaise des brevets », avec la tombée de brevets de médicaments princeps, concernent un nombre réduit de patients. Mais cela n’entame en rien les perspectives d’économies pour l’Assurance maladie et les gains potentiels pour l’officine. Une page se tourne, une nouvelle s’écrit.

+ 5 % DE BAISSE DE PRIX, EN 2018.

C’est une année encore très rude pour l’industrie du générique. Compte tenu des économies attendues sur le médicament – 1 Md d’euros – dans le PLFSS de 2019, le retour à une tendance haussière paraît mal embarqué.

Source Gemme/Gers