UNE HISTOIRE DE CONVENTIONS

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Publié le 26 juin 2021
Par Francois Pouzaud
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EN 10 ANS, LA NÉGOCIATION CONVENTIONNELLE A PRIS UNE PART PRÉPONDÉRANTE DANS LES ÉVOLUTIONS ÉCONOMIQUES ET PROFESSIONNELLES DE LA PHARMACIE D’OFFICINE. AVEC LA MISE EN PLACE D’HONORAIRES DE DISPENSATION, LA CONVENTION PHARMACEUTIQUE A PERMIS DE RENDRE LA RÉMUNÉRATION MOINS SENSIBLE AUX BAISSES DE PRIX ET DE FAIRE BASCULER LE MÉTIER VERS LA PHARMACIE DE SERVICES AU TRAVERS DES NOUVELLES MISSIONS.

A l’approche du renouvellement de la convention pharmaceutique en 2012, l’appel de toute la profession aux pouvoirs publics est clair : la rémunération des pharmacies doit être déconnectée des prix et des volumes de médicaments et davantage sécurisée. Dans un contexte déflationniste récurrent des prix des médicaments remboursables et de maîtrise médicalisée des dépenses de santé (baisse des volumes et des prescriptions), le réseau officinal se fragilise et son modèle économique (la marge dégressive lissée) est à bout de souffle. La nouvelle convention paraphée entre les syndicats pharmaceutiques et l’Assurance maladie en avril 2012 marquera un tournant : elle met en place un honoraire de dispensation qui représentera 25 % de la marge d’ici cinq ans et une rémunération « à la performance ». La convention acte aussi des honoraires pour des nouvelles missions (suivi des patients sous anticoagulants oraux et accompagnement de patients asthmatiques). Les revenus sous forme d’honoraires isolent des baisses de prix et des aléas des marchés.

« La convention signée en 2012 est le socle qui a permis d’envisager toutes les évolutions du métier et de la rémunération du pharmacien, proposant suffisamment d’organisations pour relever les défis au travers des différents avenants signés », explique Gilles Bonnefond, ex-président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Une convention fondatrice, y compris pour les patients, analyse rétrospectivement Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Elle a rempli ses objectifs de transformation au travers de 22 avenants et au regard de l’application médicoéconomique de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) qui a permis d’introduire les nouvelles missions, la réforme de la rémunération, la coopération interprofessionnelle… Et ce sans déstructurer le réseau et en préservant les fondamentaux de la profession (l’exercice personnel et la propriété de l’officine, le monopole, la répartition des officines). »

Après une année 2013 perdue (le retard pris illustre la difficulté des acteurs conventionnels à s’intégrer dans une nouvelle logique qui n’est plus fondée sur l’augmentation des volumes), le 21 mai 2014, la FSPF signe seule l’avenant qui introduit des honoraires à la boîte en deux étapes, à 0,80 € HT au 1er janvier 2015 et à 1 € HT au 1er janvier 2016. L’accord intronise également un honoraire pour ordonnances complexes – celles comportant au moins cinq médicaments – et un honoraire « grand conditionnement ».

L’USPO ne signe pas, jetant l’anathème sur l’honoraire à la boîte ; le syndicat redoute en effet une fragilisation de la rémunération. Pour la FSPF, il est au contraire important de gravir cette première marche. « Cette réforme est à la fois une première étape permettant d’enrayer en partie la spirale déflationniste du prix et une porte ouverte vers l’avenir », explique Philippe Besset. La FSPF le sait : l’avenant qu’elle a signé n’est pas parfait et abouti. Les honoraires devront, à terme, devenir le socle de la rémunération au travers d’honoraires fondés sur la complexité de la délivrance et non plus seulement indexés sur le nombre de boîtes vendues. « L’équation est très compli­quée, car elle doit tenir compte des prix des médicaments et des contraintes d’équilibre budgétaire », souligne le Pr Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé. Il a fallu dans ce contexte créer un nouveau modèle économique pour l’officine qui, à ce jour, n’est pas encore totalement défini. »

Les honoraires montent en charge

Les deux réformes portées par la convention pharmaceutique n’ont jamais recueilli l’unité syndicale, mais Jean-Jacques Zambrowski estime que cette absence d’unanimité n’a pas été préjudiciable à la profession : « Elle n’a pas été forcément perdante. Le fait qu’un des deux syndicats soit non signataire a pu mettre le doute et la pression sur l’Assurance maladie pour que ces réformes aillent dans le bon sens et permettent de sauvegarder le système de rémunération jusqu’à une nouvelle logique. » Dans le dispositif, les honoraires de 0,80 € HT à la boîte jouent partiellement leur rôle d’amortisseur des baisses de prix et contribuent à hauteur de 30 % de la marge sur le médicament remboursable en 2015.

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L’année suivante, en 2016, l’honoraire passe à 1 €, faisant basculer la rémunération mixte au-delà de 52 % d’honoraires, mais cela ne suffit pas à enrayer la détérioration économique des officines. La rémunération doit donc encore être modifiée. C’est tout l’enjeu de 2017 et de la nouvelle négociation conventionnelle avec l’Assurance maladie. L’USPO, en signant seule l’avenant n° 11, poursuit le travail commencé par la FSPF.

Le transfert de marge évolue vers une rémunération à l’acte, plus diversifiée et centrée sur le patient. Avec l’introduction de trois nouveaux honoraires de dispensation en 2019 (à l’ordonnance, lié à l’âge et pour médicament spécifique), les honoraires de dispensation sont montés de 53 % en 2017 à 75 % en 2020.

Les appréciations économiques divergent mais, en ce qui concerne l’évolution du métier, la convergence de vue est totale entre les deux syndicats. La convention a d’ailleurs donné des résultats concrets sur des thématiques de santé publique importantes, la généralisation de la vaccination antigrippale en 2019 n’étant pas des moindres.

Le temps de la consolidation

Après les élections aux unions régionales de professionnels de santé (URPS) en 2021, la vie conventionnelle a repris ses droits. La voie est à nouveau libre pour une reprise des négociations avec l’Assurance maladie dans le cadre d’une nouvelle convention pharmaceutique (ou de l’actuelle convention au travers d’avenants), afin de poursuivre la réforme engagée.

« Le mode de rémunération doit continuer à décrocher des prix et encore plus des volumes, considère Gilles Bonnefond. Il faut baisser l’honoraire à la boîte, mais le faire avec beaucoup de délicatesse pour ne pas déstabiliser le réseau, peut-être entre 1 et 0,54 €. »

Tout bien réfléchi, Philippe Besset ne dit pas autre chose sur les chantiers à ouvrir : « Nous quittons une phase de transformation pour entrer dans une phase de consolidation de notre nouveau modèle économique et de ce qu’est aujourd’hui la pharmacie. Elle doit passer par la revalorisation de l’acte de dispensation tant sur le plan technique (e-prescription, dispensation protocolisée, pharmacien correspondant, qualité de la dispensation, etc.) qu’économique. Pour préserver et consolider le réseau, il faut arrêter les fermetures de pharmacies dans des zones qui ne sont pas surnuméraires, et trouver un système de rémunération privilégié dans les zones où elles doivent être maintenues. »

LES GARDES

En contrepartie du monopole, les pharmacies sont soumises à une mission obligatoire de service public : elles sont tenues d’assurer leur tour de garde, ce qui permet de garantir l’approvisionnement de la population en médicaments, sans interruption.

L’avenant n° 11 a acté une revalorisation de l’indemnité d’astreinte en deux étapes : à 175 € au 14 juin 2018, avec une nouvelle hausse à 190 € au 1er janvier 2019.

Le montant des honoraires de garde est, lui, resté inchangé.

COVID-19 : CES MESURES DÉROGATOIRES RECONDUITES… OU PAS

Depuis le 2 juin et jusqu’au 30 septembre 2021 inclus, la France passe à un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire. La loi, publiée le 1er juin au Journal officiel, confère notamment au Premier ministre le pouvoir de restreindre la circulation des personnes et l’accès à certains établissements recevant du public dans les parties du territoire où une circulation active du virus est constatée ou, pendant les 30 premiers jours, de maintenir le couvre-feu. Le texte entérine également le principe du pass sanitaire.

Mais surtout, la situation reconduit certaines mesures dérogatoires accordées aux officinaux : la dispensation du clonazépam hors autorisation de mise sur le marché (AMM) en cas de difficulté d’approvisionnement en midazolam ; la dispensation de Rivotril injectable hors AMM pour les patients atteints de Covid-19 ; les télésoins réalisables en officine ; la dispensation des médicaments de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) directement à la patiente.

Ne font pas partie des mesures reconduites : le droit de substitution des dispositifs médicaux en cas de rupture avérée ; la délivrance exceptionnelle de produits inscrits sur la liste des produits et prestations (LPP) ; la délivrance exceptionnelle de traitement substitutifs aux opiacés ; la délivrance exceptionnelle de contraceptifs oraux ; la dispensation au public des médicaments de pharmacie à usage intérieur (PUI) ; le droit de fabrication des produits hydro­alcooliques par les officines.

L’encadrement des prix des masques de protection et des gels et solutions hydroalcooli­ques a cessé le 2 juin. Les prix des masques chirurgicaux et des solutions et gels hydroalcooliques étaient plafonnés depuis plus d’un an, alors que ces produits étaient en pénurie. La mesure avait également été suivie de nombreux contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans les pharmacies.

Anne-Hélène Collin

DISPENSATION ADAPTEE, L’ACTE 1 DES INTERVENTIONS PHARMACEUTIQUES

L’avenant n° 20 a introduit pour la première fois l’intervention pharmaceutique (IP) au travers de la dispensation adaptée – un acte qui valorise la non-dispensation par le pharmacien de tout ou partie des traitements à posologie variable. Elle a pour objectif de renforcer l’observance et le bon usage des médicaments et de faire converger les actions de maîtrise médicalisée et pharmaceutique. Elle rompt avec les modèles commerciaux fondés exclusivement sur une incitation finan­cière à « vendre des boîtes ».

« Dans ce changement de paradigme conduit avec l’Assurance maladie, le pharmacien clinicien réalisant des interventions pharmaceutiques n’est plus considéré comme un coût supplémentaire de l’industrie pharmaceutique, explique Gilles Bonnefond, ex-président de l’USPO. A l’heure de l’effondrement du temps médical, la pharmacie de proximité et le pharmacien qui accompagne le patient sur le bon usage du médicament, l’observance, la prévention, etc., sont des sources d’économies pour l’Assurance maladie. »