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Levée de boucliers contre les fonds d’investissement spéculatifs
Un amendement voté par le Sénat et inséré au projet de loi Santé offre aux conseils régionaux de l’Ordre la possibilité de demander aux pharmaciens qui s’installent les éléments relatifs au financement de l’officine. La disposition, destinée à protéger l’indépendance professionnelle des pharmaciens, vise sans équivoque les fonds d’investissement s’embarrassant de peu de scrupules sur le sujet.
Des offres alléchantes, mais de prime abord seulement. Dans le cadre de l’examen du projet de loi Santé, les sénateurs ont voté un amendement qui devrait couper court aux offres de certains investisseurs financiers et préserver l’indépendance des pharmaciens. L’amendement précise en effet : « Afin que l’Ordre des pharmaciens puisse apprécier justement le respect de cette condition, il est nécessaire que lui soient communiqués également les conventions et avenants relatifs aux rapports entre associés et intervenants concourant au financement de l’officine […] ». « Cette disposition va dans le bon sens pour protéger l’indépendance professionnelle des pharmaciens », se félicite Pierre Béguerie, fraîchement élu président du conseil central A de l’Ordre des pharmaciens. Et pour cause. L’Ordre, qui, jusqu’ici, n’était pas plus en mesure d’exercer un contrôle sur une possible aliénation de l’indépendance pharmaceutique que d’arrêter le jeu de cache-cache avec les fonds spéculatifs ou d’entraver leur progression dans la profession, va enfin pouvoir vérifier que ces contrats sont conformes ou non aux dispositions du Code de la santé publique. Car le texte voté ordonne une transparence totale sur les contrats à lui communiquer lors de l’inscription de tout nouvel installé au tableau de la section A (statuts de la société, règlement intérieur et pactes d’associés, contrats relatifs au financement de l’officine).
L’ANEPF récompensée de son combat
Satisfaite, l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) l’est aussi. Elle qui avait fait de l’adoption de ce texte un combat historique. « Rien ne devrait empêcher la promulgation de cet amendement qui reçoit un large consensus dans la profession, le soutien du gouvernement et de l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot sur le projet de loi Santé », déclare, confiant, Guillaume Racle, vice-président en charge des perspectives professionnelles à l’ANEPF.
Juste avant l’examen par le Sénat de cet amendement, le bureau de l’ANEPF s’est fendu d’une tribune dénonçant les risques des offres sous forme d’obligations convertibles en actions (OCA) de nombreux organismes pour les jeunes installés, « qui deviennent rapidement un calvaire pour beaucoup d’entre eux ». Cette association met en cause, sans ambages, certains groupements « qui alpaguent les étudiants dès la sortie d’études ». Et Guillaume Racle de préciser : « Ils investissent de l’argent dans les forums d’étudiants, tiennent dans les facultés des discours bien rodés, se vantant de détenir des pharmacies en pleine propriété, de former les futurs titulaires dans ces pharmacies et de les formater aux codes du groupement préalablement à leur installation. »
Mais il faut encore aller plus loin
Les syndicats pharmaceutiques saluent aussi la parade législative contre cette entrave au Code de la santé publique. « C’est un signal fort adressé aux investisseurs financiers qui proposent aux jeunes des montages hasardeux, les contrats financiers qui ne seront pas déposés à l’Ordre ne pourront pas être opposables au pharmacien en cas de conflit ou de contentieux », en déduit Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), souhaite aller encore plus loin en interdisant purement et simplement le dispositif des OCA en pharmacie. « C’est un bon début mais ce n’est pas suffisant pour verrouiller l’ouverture du capital des officines à des non-pharmaciens, déclare-t-il. On ne lâchera rien, nous utiliserons dans l’avenir toutes les lois à notre disposition pour arriver à cette interdiction. »
La FSPF n’est pas la seule à penser que le dépôt des contrats au guichet unique qu’est l’Ordre ne suffira pas à refréner l’appétit des investisseurs financiers et leur propension à faire main basse sur les emplacements stratégiques. Pour Patrick Freva, président de l’Association de défense de l’indépendance de la pharmacie (ADIP), il reste des failles à combler. « Les autres contrats établis en cours d’installation doivent également être déclarés et transmis à l’Ordre », réclame-t-il. Selon lui, les fonds d’investissement spéculatifs peuvent revenir à la charge par des moyens détournés. « Imaginons qu’une SEL (société d’exercice libéral) au capital de 10 000 euros ait besoin de combler un déficit de trésorerie de 20 000 euros et ait recours aux OCA pour le financer, le piège peut à nouveau se refermer sur le pharmacien car le risque que l’investisseur devienne majoritaire au capital n’est pas écarté », alerte-t-il. Il suggère que, dès qu’il y a des obligations convertibles, la transmission à l’Ordre soit obligatoire.
« Ce n’est pas une disposition anti-OCA »
L’ANEPF milite également pour un amendement « non restrictif », qui ne se limite pas aux seules OCA mais à d’autres montages aboutissant au même résultat de perte d’indépendance professionnelle. Tels que, dans la même famille que les OCA, les obligations à bons de souscription d’actions (OBSA), les actions à bons de souscription d’actions (ABSA), etc. « C’est bien de fermer la porte d’accès au capital des officines, mais il faut aussi faire attention à ce que certains opérateurs ne cherchent pas à y rentrer en passant par la fenêtre. » Une mise en garde de Guillaume Racle qui prendra prochainement la forme d’une communication officielle de l’ANEPF auprès de tous les étudiants de France afin de les sensibiliser à cette nouvelle disposition une fois qu’elle sera promulguée, et aux responsabilités qui incombent aux jeunes installés de transmettre tous leurs contrats à l’Ordre. N’en déplaise à leurs partenaires financiers. « Le cas échéant, des plaintes disciplinaires pourraient être initiées si des manquements sont isolés mais cette disposition se veut surtout pédagogique et préventive, indique Pierre Béguerie. Elle vise à faire davantage prendre conscience au pharmacien de l’importance de préserver son indépendance professionnelle. »
Mais que l’on ne s’y trompe pas. Le recours aux emprunts obligataires pour se financer, en complément d’un prêt bancaire classique, conserve tout son intérêt, indépendamment de leur coût élevé. « Ce n’est pas une disposition anti-OCA, tient à préciser Pierre Béguerie. Le contrôle ne porte pas, en tant que tel, sur les modalités de financement sur lesquelles l’Ordre n’a pas d’appréciation à avoir mais sur les éventuelles contreparties qui peuvent être demandées au pharmacien en échange de ce financement. Les OCA demeurent un outil prévu par le droit commun auquel le pharmacien peut avoir recours à la limite près qu’un financeur extérieur ne pourra jamais, en l’état actuel de la réglementation, convertir ses obligations en actions. » Les fonds d’investissement auraient-ils d’ailleurs devancé la loi ? Aux dires de Luc-Bertrand Manry, avocat de l’étude Havre Tronchet à Paris, cette offre de financement est sérieusement en train de s’assainir. « Beaucoup proposent des obligations simples, certes à coût élevé, mais sans aucune convertibilité de la prime », constate-t-il.
• Un amendement du Sénat ajouté au projet de loi Santé ordonne une transparence totale sur les contrats à communiquer à l’Ordre lors de l’inscription de tout nouvel installé au tableau de la section A (statuts de la société, règlement intérieur et pactes d’associés, contrats relatifs au financement de l’officine).
• Cette disposition se veut pédagogique : les pharmaciens doivent prendre conscience de l’importance de préserver leur indépendance.
• Entre interdiction pure et simple des obligations convertibles en actions et demande d’un amendement encore plus étendu, syndicats et ANEPF veulent aller plus loin.
REPÈRES
Le Moniteur des pharmacies s’est procuré les contrats provenant d’un fonds d’investissement dans le cadre d’une installation d’un pharmacien en société d’exercice libéral (SEL). Ce dossier intègre un montage juridique avec société de participations financières de professions libérales (SPF-PL) et un financement via ce fonds par l’émission d’obligations convertibles en actions (OCA). Les extraits dont nous rendons compte ont été soumis à Luc-Bertrand Manry, avocat de l’étude Havre Tronchet à Paris. PAR FRANÇOIS POUZAUD

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