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Les vrais comptes du déremboursement de l’homéopathie
Quel serait l’impact sur l’économie de l’officine si les granules blancs venaient à être déremboursés ? C’est la question à laquelle nous avons cherché à répondre, loin des débats passionnés entre les pour et les contre. Pas de doute, dans cette hypothèse, les pharmaciens auraient plus à perdre qu’à gagner. En dépit d’une hausse du marché de l’automédication consécutive à ce déremboursement.
L’échéance approche. La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS), chargée de réévaluer le service médical rendu des médicaments homéopathiques et d’étudier la pertinence de leur remboursement, a communiqué mi-mai aux fabricants concernés un projet d’avis qui n’avait de confidentiel que le nom. Dévoilé à l’opinion publique avant l’heure, l’avis en question, en faveur du déremboursement, a provoqué de nouveaux remous, à l’instar du dépôt symbolique devant l’Elysée de 2 000 lettres signées par des salariés du groupe inquiets pour l’avenir de leurs emplois le 28 mai ou de la pétition en ligne « Mon homéo, mon choix » qui, le 4 juin, avait recueilli près de 850 000 signatures. Leur objectif : tenter de convaincre la ministre de la Santé de ne pas trancher dans le même sens. Des actions de la dernière chance qui pourraient faire mouche et amener « éventuellement » Agnès Buzyn à nuancer sa décision, en modulant le taux de remboursement et en le ramenant de 30 % à 15 %, plutôt que d’opter pour une suppression pure et simple.
« Ce serait à la fois un bon compromis et un bon arbitrage », estime Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Préoccupé non seulement par l’impact économique d’un déremboursement de l’homéopathie pour l’officine (plus de 175 M€ de perte de rémunération), mais aussi par les joutes intestines entre partisans et opposants de l’homéopathie, il propose « une solution temporaire d’apaisement » au travers d’un taux de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire à 15 %, qui concilie les impératifs de reste à charge zéro pour ce régime obligatoire. « Cet objectif serait atteint en raison de la franchise à la boîte de 0,50 €, explique-t-il. Avec un taux de 15 %, le remboursement du tube de granules ou du tube-dose, de l’ordre d’une trentaine de centimes d’euros, passerait en dessous du seuil de remboursement. » Sans pour autant générer les impacts négatifs d’un déremboursement brutal sur un marché de l’homéopathie qui baisse tous les ans en volume. De leur côté, les complémentaires santé prenant en charge les médicaments à 15 % continueraient à rembourser l’homéopathie à 85 %. Autre intérêt : « Cette solution éviterait une flambée des prix qui serait compliquée à gérer par les pharmaciens auprès de leur patientèle, ainsi qu’une tension concurrentielle de plus entre les officines », ajoute-t-il.
Une première tranche de marge à risque majoré
Si Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) soutient le remboursement de l’homéopathie, « c’est parce qu’elle est utile à l’arsenal thérapeutique des médecins et des pharmaciens. Je souhaite qu’elle reste bien remboursée. Par conséquent, je ne défends pas en ce domaine la politique du moins pire. Il est clair que le déremboursement de l’homéopathie serait un très mauvais coup porté à l’économie de l’officine, surtout depuis l’avenant n° 11 à la convention pharmaceutique. »
En effet, la première tranche de marge de 0 € à 1,91 € (prix fabricant hors taxe) a évolué le 1er janvier 2018 de 0 % à 10 %, compensant ainsi la baisse de la seconde tranche (de 1,91 € à 22,90 €) de 25,5 % à 21,4 %. Si cette modification de la marge a été mise en place afin de réduire l’impact des baisses de prix des médicaments, elle risque aujourd’hui de se retourner contre la profession. « Avant 2018, la marge sur la vente d’un tube de granules était uniquement constituée par l’honoraire de 1 € à la boîte, explique Denis Millet, président de la commission études et stratégies économiques de la FSPF. En réinjectant de la marge dans cette première tranche, on majore le risque économique lié au déremboursement. »Pour Gilles Bonnefond, « ce qui pèse le plus et qui est le plus exposé, c’est le 1 € à la boîte qui concentre la plus grosse partie de la rémunération du pharmacien. Elle est supérieure (plus de 113 M€ sur le prescrit) à ce que rembourse l’assurance maladie [ 86,5 M€ NdlR ] », fait remarquer le président de l’USPO.
Une compensation par de nouveaux honoraires
« Si ce risque devient réalité, il faudra trouver avec l’Assurance maladie une compensation de la perte de marge et cela ne peut passer que par la renégociation des honoraires de dispensation dans le cadre d’un avenant conventionnel », enchaîne Philippe Besset. Voire par la création d’un nouvel honoraire…
Dans cette hypothèse, un déremboursement impacterait le comportement des Français, même si, selon un sondage Odoxa réalisé auprès d’un millier d’entre eux en décembre 2018 et janvier 2019, 63 % garderaient les mêmes habitudes de consommation d’homéopathie. Dans le tiers restant, 23 % ne prendraient rien à la place et 17 % auraient recours à des médicaments conventionnels, y compris pour les maux bénins. Ces réponses, qui en l’état actuel des choses ne sont que des déclarations d’intention, laissent donc supposer qu’il y aurait un faible report vers la prescription de médicaments remboursés. L’histoire se répète… « Dans tous les modèles de retrait du remboursement, il y a toujours eu une baisse des volumes et une hausse des prix », souligne Anabelle Flory-Boiron, directrice France des laboratoires Boiron, qui ajoute que « le prix fabricant hors taxe des médicaments et préparations magistrales homéopathiques est bloqué depuis 30 ans ».
L’automédication et les marrons du feu
En cas de changement de statut de remboursable à celui de non remboursable, les prix se verraient infliger une TVA à 10 % contre 2,1 % actuellement. Si rien ne filtre chez le leader de l’homéopathie quant aux nouveaux prix des versions non remboursables, à titre indicatif, les prix OTC pratiqués en Italie (l’homéopathie n’a jamais été prise en charge par la collectivité nationale) se situent entre 5 et 6 € pour un tube de granules.
A la peine depuis des années (+ 1,7 % en 10 ans) et annoncé à nouveau en berne pour 2019 car « siphonné » par le remboursement des substituts nicotiniques, le marché de l’automédication pourrait, lui, être ragaillardi par le déremboursement total de l’homéopathie. Selon les prévisions de l’institut d’études économiques Xerfi, du fait de l’augmentation de son périmètre, il repartirait mécaniquement à la hausse, de 1,5 % cette année (avec une application du déremboursement dès septembre) et de 3 % en 2020. Selon ce cabinet, ce marché est tombé à un peu plus de 2 milliards en 2018. Le marché de l’automédication serait vraisemblablement au bout du compte le seul bénéficiaire du déremboursement de l’homéopathie. « Il y aurait beaucoup de perdants dans l’histoire : les patients, le pouvoir d’achat, la sécurité sociale qui devrait alors faire face à un surcoût car, au-delà de 10 % de report des prescriptions des médicaments homéopathiques vers d’autres médicaments remboursables en moyenne plus chers et pouvant potentiellement avoir des effets indésirables, l’économie escomptée par l’Assurance maladie serait annulée », affirme Anabelle Flory-Boiron.
• La marge moyenne HT par an et par pharmacie générée par l’homéopathie remboursable est d’environ 8 100 €, honoraires compris.
• Pour éviter le déremboursement sec de l’homéopathie, un abaissement de son taux de remboursement de 30 à 15 % est suggéré.
• En cas de déremboursement, risque de se poser la question d’une renégociation des honoraires de dispensation, voire de la création d’un honoraire spécifique.
• Le marché de l’automédication pourrait lui progresser de 3 % en 2020.
REPÈRES
PAR FRANÇOIS POUZAUD
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