Les défis « Schick »

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Publié le 26 février 2013 | modifié le 4 août 2025
Par Fabienne Colin
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Le Pharmacie Jaurès, à Quéven, réussit à dégager un taux de marge de 32 % avec un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euro. Un CA que la titulaire arrive à stabiliser malgré un environnement peu propice. Son parti pris : le conseil personnalisé. Zoom sur un pari original et gagnant.

Le business plan tablait sur une baisse de marge. En rachetant la Pharmacie Jaurès, à Quéven au nord de Lorient, Catherine Schick accepte de relever de nombreux défis. Sortie de la faculté de Paris-V en 2002, la jeune femme n’a pas choisi la facilité pour une première installation. En 2008, le médicament pèse alors 85 % de l’activité, un classique en milieu rural. La marge s’établit à 27,7 %. De plus, les débuts de la pharmacienne ont été frappés de malchance. Quelques semaines avant son arrivée à Quéven, le médecin installé en face, très apprécié dans la commune, décède. Un nouveau lui succède. Au bout de quelques mois, il transfère son cabinet plus loin dans la rue Jean-Jaurès. Tout près de l’autre pharmacie de l’artère, face à l’église où il est plus simple de se garer.

Malgré le déménagement de ce prescripteur, les difficultés de circulation dans la rue principale et la conjoncture économique tendue, l’officine a maintenu jusque-là ses ventes autour de 1,5 million d’euros. Fait marquant : la marge a dans le même temps progressé fortement, passant de 27,7 % en 2008 à près de 32 % sur l’exercice fiscal 2011 et 31,5 % sur celui de 2012. Pour réussir ce tour de force, Catherine Schick a multiplié les démarches et les astuces. Avec une idée fixe : accompagner le client et le satisfaire. Premier challenge, il lui a fallu agrandir la surface de vente en respectant un budget très restreint. A l’époque, le back-office représente quatre cinquième de la surface totale. L’espace commercial passe de 40 à 90 m2, pour une facture de 30 000 euros. La note est raisonnable. Avec une telle enveloppe, pas question de faire appel à un architecte ou à un conseil en agencement. Le plan et la frise de signalétique sont dessinés à la maison. Un menuisier fait l’affaire pour fabriquer des meubles supplémentaires, reproduits à l’identique des anciens.

Diversifier l’offre en parapharmacie

Second chantier : diversifier suffisamment l’offre de parapharmacie dans le but de répondre aux attentes les plus larges. Et pour convaincre les marques d’intégrer une petite officine rurale, Catherine Schick a été particulièrement astucieuse. Dans une activité séparée, son mari, Alexandre Autrou, lance un site Internet de vente de compléments alimentaires, Vitalya.fr. Ce pharmacien de formation, féru de marketing et de web (lire son portrait dans Pharmacien Manager n° 123), a l’intuition que ce segment de produits est trop peu travaillé en officine. Il se lance et privilégie les produits qui visent à ralentir la progression d’une maladie, telle la DMLA, les consommateurs habituels les achetant toute l’année. Alexandre Autrou positionne son site dans le but de leur faire réaliser de réelles économies. Et ça marche. Vitalya a généré près d’un million d’euros de chiffre d’affaires en 2012. A deux, le couple pèse plus lourd dans la balance des négociations commerciales. Dès lors, des marques haut de gamme signent avec l’officine et jouent le jeu des animations. La variété et la qualité de l’offre participant au développement de l’activité. La cosmétique, limitée avant 2008, devient un long rayon avec La Roche-Posay, Avène, Bioderma, Lierac… Elle est installée le long du mur à droite de l’entrée. Implanté en face, le segment bébé se transforme en un vrai espace avec Gallia et Picot. L’officine se dote aussi d’un espace de jeu pour les enfants. Au-delà de la zone des mamans, les linéaires accueillent l’hygiène intime, les produits dentaires… Dans une logique d’accompagnement du client et non de libre-service, suivent la médecine douce, l’aromathérapie, l’homéopathie ou encore la micronutrition, placées plus près des caisses pour faciliter le conseil.

Travailler l’ambiance et l’accompagnement

Au-delà de l’offre, il a fallu essayer de limiter la perte de trafic occasionnée par le départ du médecin d’en face, l’officine perdant du chiffre d’affaires sur l’« aigu » (maux de gorge…). L’activité liée aux maladies chroniques s’érode également. La Pharmacie Jaurès décide alors de travailler son attractivité et peaufine son atmosphère au fil du temps. Aujourd’hui, dès l’entrée, les clients perçoivent le parfum des huiles essentielles diffusées dans l’espace. Une musique zen berce le point de vente en permanence. Longtemps un coup de sonnette cinglait dans les oreilles des clients quand ils franchissaient la porte. Désormais, le signal résonne seulement dans l’arrière-boutique. L’équipe se rend ainsi immédiatement disponible pour le nouvel arrivé. Une autre priorité fut de former le personnel à l’accompagnement personnalisé. Cette pratique nouvelle implique de travailler différemment. Au début, la titulaire délègue la gestion des ressources humaines à son époux. Elle s’occupe des questions de relations avec les clients et les commerciaux. Cette répartition clairement établie, le duo organise tous les mois une réunion étayée par des tableaux de bord chiffrés. La titulaire, formée au conseil associé, n’hésite pas, au départ, à souffler les questions en fin de vente : « Avez-vous besoin d’autre chose ? Je suis à votre service. » Formée au fil du temps, l’équipe joue le jeu et prend de nouvelles habitudes commerciales.

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Alors que le titulaire précédent pilotait tout, désormais chacun se voit attribuer des responsabilités. Chaque personne gère quelques marques, des achats aux animations en passant par les promotions. Parmi toutes les catégories de produits implantées en 2008, c’est la médecine naturelle que Catherine Schick veut développer en particulier. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle recrute immédiatement Laurent, un préparateur spécialiste des plantes. Sa fiche de poste mentionne le développement de cette activité. « Progressivement toute l’équipe s’y est mise », poursuit la titulaire.

Impliquer l’équipe avec des primes

Aujourd’hui les réunions formelles avec l’équipe entière se sont espacées et ont lieu une fois par trimestre. « Il a fallu amener la culture du résultat sans jamais être outrancier. Nous avons chaque fois été très transparents sur le chiffre d’affaires pour le démythifier. Tous les mois, nous analysons la performance de chaque meuble et réfléchissons aux animations adaptées en fonction de l’évolution du chiffre. Au début, il était nécessaire de tout coordonner au cours d’une réunion avec tous. Aujourd’hui c’est beaucoup plus facile, c’est inscrit dans un savoir-faire », se réjouit Alexandre Autrou. Désormais, les animations sont réfléchies en binôme avec la titulaire. « Depuis le début – l’équipe le sait – nous voulons la satisfaction, la satisfaction et l’hyper-satisfaction client », résume la titulaire, qui a fourni à chacun un code de bonne conduite maison. Les grandes lignes du règlement intérieur : faire en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un pour saluer le client qui arrive, donner un signe d’accueil, répondre au téléphone avant la troisième sonnerie, dire un mot d’excuse si on doit abandonner un client… Chaque année, l’équipe touche une prime annuelle en fonction d’un objectif commun de qualité d’accueil et de satisfaction client, ainsi que de l’implication personnelle. « Tout le monde a compris que pour assurer la qualité, il faut gagner de l’argent. Il faut de la rentabilité pour envoyer l’équipe en formation. Et il faut se former pour assurer la qualité. C’est un cercle vertueux », note Alexandre Autrou. « Le marketing ne peut tout faire. C’est le travail de l’équipe qui a fait progresser les taux de TVA hors ordonnance. Son action au moment de la délivrance, comme le conseil associé, constitue vraiment le moteur. Nous avons acté que la pharmacie ne progresserait pas en chiffre d’affaires. En revanche, nous restons assez combatifs pour faire en sorte que le client se sente bien, soit satisfait du service, ait une reconnaissance envers nous. La pharmacie vit très bien aujourd’hui, notre enjeu est d’en faire un outil pérenne. Aujourd’hui, nous sommes plus dans une problématique de rentabilité que de chiffre d’affaires. » Année après année, l’équipe s’est approprié le projet de la pharmacie.

Proposer de nouveaux services

Cinq ans après le changement de titulaire, signe de bien-être, l’équipe demeure inchangée. Et motivée. Catherine Schick essaie également de consacrer plus de temps au relationnel avec les autres professionnels de santé. Près d’une fois par an, elle fait venir une marque de pansements (Coloplast, Mölnlycke Hartmann…) et invite les infirmières et les médecins de la région à se joindre à eux. Même si les généralistes n’ont encore jamais fait le déplacement… Grâce aux soirées Nutergia, elle a aussi noué des contacts avec des sages-femmes des alentours. Pas à pas, la stratégie du conseil paye. La part des produits d’aroma/phyto et de parapharmacie a progressé pour s’établir respectivement à 14 % et 11 % en 2012 (contre 15 % à eux deux en 2008). « Je voulais devenir la pharmacie de référence en médecine douce. Notre compétence commence à être connue », résume la titulaire.

Or, un nouveau challenge se profile. Le supermarché Leclerc voisin va transférer en fin d’année. L’une des trois officines de la commune peut s’y implanter. Catherine Schick doit intégrer cela dans sa stratégie car elle a choisi de rester dans le centre-bourg. Pour réagir, elle a ouvert un site Internet, Cosmelya.fr, axé sur la parapharmacie pour les femmes, complémentaire à Vitalya. De même, l’officine veut développer davantage de services comme la livraison des médicaments à domicile. L’agencement sera revu cette année et la formation sur l’accueil renforcée. Une fois de plus, l’enjeu consiste à capitaliser sur la fidélisation. 2013 s’annonce comme un nouveau pari.

Pharmacie Jaurès Quéven (Morbihan)

→ Equipe : 1 titulaire, 1 adjointe, 3 préparateurs, 1 femme de ménage

→ CA actuel (à fin septembre 2012) : 1,51 M€ TTC

→ Evolution du CA sur un an : stable

→ Coût des travaux en 2008 : 30 000 € pour l’intérieur et 5 000 € pour la façade

→ Taux de marge, remises génériques incluses (à fin septembre 2012) : 31,15 %

→ Taux de marge un an avant : 31,82 %

→ Surface totale : 200 m2

→ Surface de vente : 90 m2 + 20 m2 d’espace confidentiel

→ Fréquentation actuelle : 150 clients/jour

→ Panier moyen : 36 €

→ Répartition :

• 74 % de médicaments remboursables

• 15 % de médication familiale

• 11 % de parapharmacie

→ Groupement : Les Pharmaciens associés (Astera)

→ Enseigne : non

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Un espace de 20 m2 !

Avoir de l’espace, c’est une chose. Le valoriser, en est une autre. Au moment des travaux, en 2008, Catherine Schick fait construire une pièce de 202 dans le fond de son officine. Une frise signale l’endroit comme un « espace médical ». Dans les faits, le local servait plutôt de fourre-tout pour le matériel médical. Jusqu’à l’an dernier où la titulaire est interpellée par les nouvelles missions. Le lieu est transformé complètement pour devenir un espace chaleureux avec des plantes vertes, un fauteuil confortable, des couleurs toniques… Sur les conseils de son groupement (Les Pharmaciens associés), elle change la signalétique. Exit « L’espace médical », peu facile à comprendre, bienvenue au « Rendez-vous santé ». La salle sert désormais pour la contention, les animations des marques cosmétiques et les suivis thérapeutiques, notamment lors des campagnes sur le diabète. Toutefois, elle est encore loin d’incarner totalement son rôle de cocon. Et pour cause, elle est située entre les caisses – dont elle est séparée d’un simple paravent de tissu – et la porte vitrée du bureau administratif.