Coupures électriques : en s’organisant, c’est plus clair

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Publié le 12 novembre 2022
Par Fabienne Colin
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Dans le contexte de crise énergétique, des délestages d’électricité sont possibles cet hiver. L’officine veut des garanties à ce sujet, mais en cas de coupure, comment limiter la casse ?

Après avoir adopté des réflexes de sobriété énergétique (éteindre la lumière, ne plus imprimer à tout va, allumer le chauffage le plus tard possible, etc.), les circonstances imposent maintenant de passer à l’étape suivante : établir un protocole au cas où l’officine subirait un délestage électrique. Car pour l’heure, la pharmacie n’a pas obtenu de dérogation pour être exonérée de coupures en cas de production d’électricité insuffisante. Et c’est sans compter sur le contexte international et les événements imprévisibles qui entraîneraient des interruptions de l’alimentation inopinées, y compris pour l’officine.

Anticiper, c’est possible

Une coupure de courant, « c’est une situation de crise » et pour la gérer au mieux, « il faut donc avoir un plan de crise, rassure Laëtitia Hénin-Hible, présidente de Pharma Système Qualité . Cela se discute avec l’équipe, lors d’une réunion par exemple. L’idée étant de savoir ce qu’on doit faire dans ce cas, qui est concerné, quelles tâches doivent être décalées, comment, etc. », égrène-t-elle.

Par où commencer ? « Par lister les éléments défaillants sans électricité », conseille Laëtitia Hénin-Hible. Elle suggère aussi de penser à la communication. « Il faut prévoir un moyen pour que toute l’équipe soit au courant, par exemple dans un cahier de transmission ».

Des systèmes informatiques à ménager

En théorie, la réponse technique est simple avec un groupe électrogène. En pratique, il faut disposer des moyens pour acheter ou louer cet équipement occasionnel (de quelques dizaines d’euros à plusieurs centaines d’euros par jour selon la puissance), disposer de l’espace pour l’entreposer et coordonner le fournisseur et son électricien pour sa mise en place.

Solution plus abordable, un onduleur adapté permet de maintenir l’électricité au minimum quelques minutes, le temps d’éteindre tout le système normalement, voire plus longtemps selon sa capacité. « L’investissement peut être rédhibitoire par son coût et sa mise en place mais l’onduleur nous a sauvé la vie à de multiples reprises lors de coupures d’électricité intempestives et peut-être tous les jours sans que l’on le sache en fonction des variations ou pics de courant », explique Khôi Dang-Trung, titulaire à Paris. Pour résumer, ce matériel limite les dégâts. « Lors de la dernière coupure Enedis – plus de six heures -, en éteignant l’ensemble des matériels et en ne gardant qu’un serveur allumé et le terminal de paiement électronique (TPE), nous avons pu tenir pendant tout ce temps », se souvient le titulaire prévoyant. « Pour l’onduleur de la pharmacie, il faut compter 1 100 € HT pour un modèle 3 kVA/2 700 W chez Socamont (fabricant français). Ce n’est pas un investissement énorme par rapport aux bénéfices escomptés et à la tranquillité d’esprit. Parmi les autres fournisseurs : Eaton, Schneider, APC, Infosec… », partage-t-il.

On y pense : transmettre régulièrement des commandes à son grossiste à l’approche des heures de tension sur le réseau électrique ; décaler l’heure du passage de la commande prévue lors de la demi-journée impactée par une coupure.

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Fermeture des portes

Les portes et les volets automatiques ne fonctionnent pas sans électricité. « Si la porte est également une issue de secours, ce qui est le cas dans la plupart des pharmacies, en période d’exploitation, elle doit s’ouvrir automatiquement en cas de coupure d’électricité », explique Vladimir Luzhbin-Asseev, responsable technique d’Actibaie, le groupement professionnel des métiers des portes, portails, volets et stores. Là encore, un onduleur peut sauver la mise. Il prend le relai du réseau électrique pour continuer à utiliser le mode automatique. Par sécurité, il faut prévoir une puissance adaptée à la fréquentation maximale de l’officine « plus une marge », selon Frédéric Catherine, un des vice-présidents d’Actibaie.

Sans onduleur, la situation est différente. Dans le cas où l’officine est occupée (en exploitation), la porte s’ouvre et reste bloquée ainsi. On peut alors verrouiller cette dernière seulement grâce à sa batterie intégrée (d’accumulateurs). Si le point de vente est fermé et vide (hors exploitation), la porte demeure verrouillée. Par conséquent, la batterie intégrée sera utile pour accéder à l’intérieur si besoin. Dans tous les cas, le dispositif ayant une faible autonomie (compter 10 cycles d’ouverture/fermeture au maximum), mieux vaut prévoir d’y recourir avec parcimonie : par exemple pour fermer avec le niveau de sécurité habituel. Pour autant, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), explique que verrouiller sa porte en cas de coupure de courant n’est pas toujours réalisable en fonction de l’équipement. D’où sa demande auprès de la Direction générale de la santé (DGS) de prévoir la possibilité pour les officines implantées en zone sensible d’obtenir une protection.

On y pense : solliciter son prestataire de maintenance pour s’assurer de bien connaître le fonctionnement de sa porte.

Comment exercer sans électricité ?

Sans électricité, il est toujours possible de rester ouvert, mais à condition d’accepter un rythme très ralenti.

Pas d’éclairage

Si le délestage intervient entre 18 h et 20 h en hiver en métropole, un des gros pics de consommation énergétique de la journée, l’officine se retrouvera dans le noir.

On y pense : s’équiper de quelques lampes à piles, batteries (rechargées à l’avance), à manivelle… Pourquoi pas des frontales ?

Pas de logiciel de gestion officinal

Exercer sans avoir accès au dossier des patients, à leurs droits, au stock, au système de facturation… n’est pas simple. On peut toutefois tenter l’exercice en photographiant les ordonnances avec son smartphone et en notant chaque opération. Et en prévoyant de missionner quelqu’un pour rentrer les données une fois l’électricité revenue.

On y pense : envoyer les factures en télétransmission avant la coupure annoncée ou, lorsque les interruptions sont inopinées, avant d’éteindre les appareils si la pharmacie est équipée au minimum d’un onduleur ; recharger son smartphone au maximum avant et prévoir une batterie externe.

Pas de caisse ni d’affichage des prix

Sans électricité, l’officine n’enregistre pas les encaissements et le terminal de paiement électronique (TPE) n’est plus fonctionnel. De même, les prix des médicaments et produits non étiquetés, comme les étiquettes électroniques sont d’un seul coup inaccessibles. « Aujourd’hui, nous avons quasiment tous des bornes de prix pour répondre à l’obligation de mettre à disposition les tarifs des médicaments non remboursés, les autres étant par exemple accessibles sur ameli. On pourrait prévoir d’imprimer ces prix juste avant la coupure », estime Laëtitia Hénin-Hible.

On y pense : envoyer les demandes d’encaissement du TPE avant la coupure annoncée ou, en cas de coupure inopinée, avant d’éteindre les appareils lorsque la pharmacie est équipée au minimum d’un onduleur ; nommer un membre de l’équipe responsable de la logistique administrative ; imprimer les prix et placer le document à un endroit connu de tous ; prévoir des espèces.

Quid de la chaîne du froid ?

Les armoires réfrigérées constituent sans doute le point noir d’une officine en cas de coupure de courant. « Les conditions de stockage des médicaments à l’officine, y compris en réserve, doivent garantir la bonne conservation du médicament. Les textes ne précisent guère plus en termes de pratique, à charge pour le pharmacien de prévoir son organisation interne pour répondre à ses obligations réglementaires », explique le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. C’est donc à chacun de s’organiser. Et la DGS compte adresser une liste de « bonnes pratiques » aux officines durant le mois de novembre.

La Médicale, compagnie d’assurance des professionnels de santé du groupe Generali, conseille à ses clients de « profiter dès maintenant de l’avantage fiscal ouvert jusqu’au 31 décembre 2022 pour l’achat d’un nouveau matériel réfrigéré, en s’équipant d’armoires réfrigérées médicales avec sonde externe, enregistreur de température et alarme ». Elle suggère aussi « de s’assurer que les systèmes de surveillance en continu de la température dont est doté leur matériel sont bien opérationnels et le mécanisme d’alarme actif », « de s’équiper, pour celles qui le peuvent, de groupes électrogènes ». Plus difficile à appliquer en période de campagnes de vaccination antigrippale et anti-Covid-19, « de revoir préventivement la gestion de leur stock de produits thermosensibles durant la période hivernale, en augmentant dans la mesure du possible la fréquence des commandes de ces produits, pour diminuer leur stock à risque », poursuit l’assureur qui s’apprête à diffuser une campagne d’information spécifique aux coupures de courant « prévisibles et annoncées » pour lesquelles « la plupart des contrats d’assurance ne prévoient pas d’indemnisation de l’assuré ».

Quoi qu’il en soit, les assureurs risquent de revoir leurs offres. « La fréquence et le coût des pertes occasionnées par un changement de température accidentelle des appareils frigorifiques en pharmacie est en forte augmentation et donnera sûrement lieu de la part des assureurs à des restrictions de garanties et/ou augmentation de tarifs, explique Jean-Christophe Leuret, associé du cabinet de courtage La Pharmaceutique assurances . A l’avenir, ils exigeront probablement, afin de délivrer une garantie complète, des moyens de protection de type alarme permettant d’éviter un certain nombre de sinistres. Plusieurs acteurs du marché limitent déjà cette garantie aux possesseurs de matériel frigorifiques récents […] ou limitent la valeur des contenus assurés ! ».

On y pense : vérifier son contrat d’assurance.

Des coupures prévisibles

En cas de délestage entraînant la coupure du courant cet hiver, toute la population sera avertie via Ecowatt, le service « météo de l’électricité » (site et application) du gestionnaire du Réseau de transport d’électricité français (RTE). A J-3, les usagers seront avertis de la probabilité d’un délestage. La veille, Ecowatt alertera la population entière d’un risque de coupure via les médias, et, pour ceux qui le souhaitent, par le biais d’une notification, d’un SMS et/ou d’un courriel. Le message indiquera si le délestage est pressenti le matin ou l’après-midi. Il est également possible de consulter le site d’Enedis (onglet « Panne et interruption ») pour savoir si sa rue est concernée. Les plateaux de consommation importante interviennent généralement entre 8 h et 13 h et entre 18 h et 20 h. L’interruption durera au maximum deux heures.

Fermeture anticipée et service de garde

In fine, c’est au titulaire que reviendra la décision de fermer son officine ou de continuer à exercer pendant les coupures électriques. Reste qu’il faudra organiser le service de gardes en conséquence. La Direction générale de la santé (DGS) n’est, à ce stade, pas en mesure d’en préciser les modalités. Pour autant, organiser les gardes sur un territoire sans électricité « me semble impossible à mettre en place en 24 heures », précise la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal. « La recommandation pourrait être de fermer pendant les heures de délestage si les pharmaciens ne sont pas en mesure d’assurer la dispensation de médicaments. Je ne voudrais pas que la colère des patients rejaillisse sur les officinaux », tranche la pharmacienne.

À RETENIR

La pharmacie peut être soumise à des coupures d’électricité, notamment cet hiver en cas de tension sur le réseau de production, voire à des pannes imprévisibles compte tenu du contexte international.

Dans tous les cas, il est possible d’anticiper les coupures pour limiter les dégâts, notamment en s’équipant d’un onduleur, en s’assurant de maîtriser le mode de fonctionnement des portes automatiques, en vérifiant dans son contrat d’assurance les termes relatifs à la protection des produits à maintenir au réfrigérateur.