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Publié le 26 février 2013
Par Fabienne Colin
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Fini la pharmacie de papa avec des meubles qui plaisent à maman. Chaque officine doit désormais mener une réflexion pour affirmer sa personnalité dans son architecture commerciale. Dans ce contexte, quelles sont les tendances de l’agencement ? Eléments de réponse.

Souvent le pharmacien parvient à la conclusion que son outil de travail doit changer, mais il se pose peu de questions : il veut rester généraliste et son projet est souvent tiède. Quand il vient vers nous, c’est davantage après avoir fait le constat d’un dysfonctionnement que poussé par une motivation. On lui montre le spectre des possibilités, on le “chatouille” un peu. Nous recherchons à faire émerger sa différence, que nous exploiterons dans l’architecture, le design graphique, le mobilier… Tout titulaire doit se poser la question suivante “Pourquoi les clients viendraient-ils chez moi plutôt que chez un autre ?”. » Comme Jérôme Gaubert, directeur marketing et commercial France de Mobil’M, les professionnels de l’agencement s’accordent pour dire que le titulaire ne peut plus seulement décider du décor et des meubles en fonction de son goût et du chiffre d’affaires généré par chaque produit. Sa démarche doit être précédée d’une réflexion sur son positionnement, laquelle devra « transpirer » dans le point de vente. Comme on ressent le sens du service chez Darty ou l’expérience produit chez Sephora. Terminé le vendeur de boîtes, le pharmacien doit apporter une valeur ajoutée à la délivrance : l’un se spécialisera dans le suivi des diabétiques, l’autre chouchoutera les mères de famille, ou encore misera tout sur les prix bas… A chacun de choisir son orientation en phase avec sa clientèle. C’est aujourd’hui la clé de la fidélisation et du recrutement. Un agencement efficace est celui qui rend compte du positionnement et qui tient compte des nouvelles habitudes de consommation des clients.

1 Traduire ses spécificités

Esprit corner

Dans un contexte de mutation, l’officine tend petit à petit à se spécialiser. Ce parti pris, qui pour la nutrition, qui pour l’homéopathie ou encore l’accompagnement médical, se traduit dans l’agencement. Il est de plus en plus théâtralisé. Signe des temps, chez Boursin Agencement on vient de mettre au point un mobilier spécifique pour de l’aromathérapie(ci-contre). Il comprend des testeurs, un stockeur et un espace d’informations. « Il pourrait rapidement intégrer le catalogue, estime Thierry Trasbot, directeur commercial. Pour les espaces d’herboristerie, nous proposons des lumières moins blanches, des sols en parquet, dans l’esprit d’un corner. » Et Bernard Deniel, directeur de Media 6 Pharmacie, de constater : « Les corners de spécialisation se développent à l’officine. » Tels des « shops in shop », ces « coins » valorisent les produits et les compétences associées. Autres véhicules de la spécialisation : les cabines de confidentialité, surtout visibles dans les offres des groupements qui ont voulu un outil pour les nouvelles missions conférées par la loi HPST. A peine nées, elles sont déjà détournées. Chez Media 6 par exemple, ces petites pièces sont adaptées selon les savoir-faire de chacun. On réinvente l’espace orthopédie ou beauté, désormais mieux identifié dans les stratégies et sur les plans, et mieux indiqué dans le point de vente. Ces zones sont fermées ou ouvertes.

Présentation choisie

La mise en avant de spécialités trouve aussi une réponse chez Mobil’M. La société du groupe Coupechoux conçoit des petits meubles de présentation. Loin des longs et hauts linéaires employés jusque-là pour réaliser de gros volumes de ventes de parapharmacie. « C’est un moyen de montrer au consommateur que son pharmacien sélectionne des produits pour lui, il les cautionne, les recommande », détaille Jérôme Gaubert. La spécialisation met fin à une abondance d’offres au profit d’un assortiment restreint. Restreint mais choisi par le professionnel de santé. Une opinion partagée par l’agenceur TH.Kohl. « Inutile de placer des produits partout. La tendance est à la création d’espaces où les offres s’amenuisent. La pharmacie n’a pas intérêt à stocker, observe François Guillot, directeur France de TH.Kohl. Dans le commerce, ce sont ceux qui se spécialisent qui réussissent. Regardez les grandes marques : elles quittent la grande distribution pour créer leurs propres concepts, comme Lacoste par exemple. »

Vive la créativité !

Et si la différenciation passait par la médicalisation, par un message perceptible (« Je suis un professionnel de santé compétent »). « C’est la recherche de beaucoup de pharmaciens. Ce qui se traduit idéalement par un volume bien construit, une boutique bien éclairée. Autant d’éléments qui sont souvent absents au départ », relève Luc Mayelle cogérant avec son père du cabinet d’architecte d’intérieur Mayelle. Selon lui, la créativité peut servir à l’image d’« expert ». « On peut être anticonformiste en gardant la croix verte, la blouse blanche et les valeurs de la pharmacie », rassure-t-il. Exemple ? Pour la Pharmacie du Buisson à Lille, Mayelle a traduit la douceur et l’accompagnement, les valeurs clés des titulaires, par des formes presque corporelles. L’effet « ventre » renvoie à la protection maternelle. « Cela crée une vraie identité, permet de se démarquer », relève l’architecte d’intérieur.

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2 Soigner la relation client

Le temps de l’accueil

Pour être reconnue comme caution d’une sélection de produits et gage de qualité d’un service santé (dans le cadre des suivis thérapeutiques), l’officine doit gagner en considération. Or, trop souvent, le client doit traverser la pharmacie de la porte d’entrée jusqu’à une caisse coincée dans le fond pour trouver une blouse blanche. Les spécialistes du point de vente estiment qu’il est temps pour la pharmacie d’accueillir son patient/client, de lui délivrer des signes de prise en charge personnalisée dès son arrivée. Pour ce faire, les agenceurs imaginent des pôles d’accueil près de la porte pour orienter les gens. « Le chiffre d’affaires se fait par le développement des ventes. On ne peut “créer” des malades, mais on peut mieux accueillir la clientèle. Le consommateur doit retrouver ses propres valeurs dans la pharmacie qu’il côtoie. Il devient ainsi l’apôtre du point de vente. Il doit pouvoir se dire “Ici on est bien reçu, on y trouve des préparations [une spécialité qui l’intéresse], les conversations sont confidentielles, ce n’est pas plus cher qu’ailleurs, je n’attends pas, l’ambiance est sympa… La rencontre doit être gérée », explique François Guillot de TH.Kohl.

Avec la volonté de répondre aux nouvelles attentes du client hyperconnecté, Mobil’M propose une sorte de catalogue baptisé « Ma pharmacie médicale 2.0 » depuis fin 2012. L’agenceur a par exemple imaginé une « Fast Pharma ». L’espace réservé aux actes rapides sert, selon la stratégie du titulaire, à répondre promptement à un client qui aurait envoyé son ordonnance par mail, ou celui qui, pressé, a un simple mal de gorge. Un nouveau type de relation s’établit, adapté au besoin immédiat de la clientèle.

Place à l’empathie

A l’opposé de la rapidité mais dans la même logique de personnalisation de la relation client, Mobil’M a inventé des espaces pour prendre son temps avec un patient, pour un suivi thérapeutique ou lors du diagnostic d’une maladie grave. Fini les mots susurrés entre les dents pour ne pas être entendu par son voisin, le titulaire se dote d’une cabine pour inviter son patient inquiet à discuter en toute discrétion, ou investit dans une table pour s’asseoir avec le patient. « On peut même imaginer tout délivrer en cabine », extrapole, un brin provocateur, Jérôme Gaubert. Ce nouveau relationnel change la perception du client. Il se sent écouté, considéré. Cette empathie se traduit également dans la configuration des tables proposées par Mobil’M. Le client n’est pas face au pharmacien derrière sa table, tel le maître face à l’élève. Ils regardent ensemble un écran, de sorte à les positionner de trois quarts. « Le point de vente est un lieu de relation humaine pour l’achat, tandis que le multimédia permet la comparaison économique. Jusque-là parallèles, ces marchés sont aujourd’hui interdépendants. Ne pas s’enfermer dans un seul de ces canaux est essentiel. L’enjeu est de continuer à séduire le consommateur dans un lieu physique, grâce à une relation humaine qui soit davantage remarquable qu’ailleurs », ajoute Jérôme Gaubert.

Cabines ajustables

L’importance d’un nouvel échange est essentielle pour Salvatore Maligno. L’executive manager du cabinet d’architecture Alfonso Maligno estime que, dans les pays méditerranéens, l’avenir économique passe par la relation humaine. « Une fois la crise derrière nous, la qualité de cette relation relancera le commerce de détail. La confiance, la proximité, le “mot en plus”, que travaillent actuellement les pharmacies, est fondamental pour la suite », ajoute l’Italien fin connaisseur des marchés français et européen. Pour traduire cette empathie moderne, le cabinet Alfonso Maligno a conçu des cabines ouvertes. Objectif : faire en sorte que le client se rende compte qu’il existe un espace pour des services nouveaux. Une fois à l’intérieur, les portes se ferment. Les rideaux se baissent. Le client choisit un type de lumière, un parfum d’ambiance… De quoi personnaliser l’atmosphère. « Le consommateur 3.0, en quête de valeurs, cherche la confirmation de son identité. Il choisit son point de vente en fonction du lieu qui va lui apporter du bien-être. » De même, les agenceurs préconisent généralement d’implanter les cabines tout près d’une caisse pour pouvoir discrètement s’y rendre si le client nécessite un accompagnement spécifique et confidentiel. « Désormais le pharmacien doit changer son approche, prendre son temps. Terminé le temps où l’on entre dans la pharmacie, fait la queue, présente son ordonnance, prend les boîtes et sort. L’interaction est de mise. »

3 Miser sur l’expérience

Bar à tests

Pendant que l’Etat place l’officine au cœur du parcours de soin, une révolution du commerce est en marche. L’Internet et les smartphones bouleversent la relation entre les consommateurs et les points de vente. Impossible pour les pharmaciens de mettre la tête sous les boîtes de gélules et les bouteilles de sirop, et de travailler « comme avant ». A entendre les pros des plans de magasin, il faut changer. Et vite. L’objectif ? Evoluer au moins aussi rapidement que le consommateur, hyperconnecté, pour établir une relation humaine, durable et profitable. Si Internet devient un lieu d’achat informatif, le commerce physique doit devenir un lieu de vente et surtout d’expériences et de services. Sinon, pourquoi le client se déplacerait-il pour acheter une crème ou un médicament disponible en e-commerce ? Le patient/consommateur a de nouvelles exigences : il veut tâter les tubes de crème, les toucher. Ainsi des zones de tests voient le jour dans les officines. Objectif : faire manipuler les produits… Dans sa conception 3.0 de l’officine (marketing 2.0 centré sur les valeurs et la mobilité), Alfonso Maligno a imaginé un « beauty bar » doté d’un lavabo. Le client essaie le dernier sérum hydratant, un rouge à lèvres… et peut se laver les mains ensuite. L’Oréal Cosmétique Active va encore plus loin. Le groupe n’a d’autre ambition que de « réenchanter » la pharmacie en faisant vivre au client une expérience unique. Pour ce faire, il a fait appel au designer Olivier Saguez qui a conçu une « pharmacy skincare center ».avec au centre un « bar à expériences » (tests, informations sur les produits à travers des écrans tactiles…), attenant à un « wellcome desk » où est proposé un diagnostic de peau et remis des échantillons ciblés. L’endroit est conçu pour laisser agir le client en toute autonomie et/ou l’accompagner d’un conseil. Le projet est actuellement en phase de finalisation dans deux officines. L’interaction passe aussi par de la coproduction. C’est-à-dire la « fabrication ensemble ». « En pharmacie comme ailleurs on peut imaginer que le client puisse participer à la création d’un produit. Nous avons notamment utilisé cette technique dans des coins “tisanerie”. Il faut plusieurs conditions pour que ça marche : un espace bien marqué, dans un concept bien réfléchi et une équipe bien formée pour accompagner le consommateur au début », remarque Pierre Guillaume Saillard, cofondateur de l’agence 5S. L’idée : donner envie de revenir parce que votre pharmacie est unique. Montrez-le !

A prendre en compte

ENSEIGNE Un soutien

Pour adopter un positionnement et un concept de point de vente qui va avec, le soutien d’une enseigne en pharmacie peut être précieux. « La capacité d’investissement d’un réseau en termes de réflexion et de sophistication des modèles commerciaux est bien supérieure à celle d’un indépendant », estime Xavier Laforge, cofondateur de Stories, agence de design spécialiste de la distribution. Son confrère Jean-Philippe Chavatte, de Carré Noir, abonde dans le même sens : « Il faut passer d’une notion de “Je me fais plaisir avec un concept qui me correspond” à “Je crée un concept pour satisfaire ma clientèle et répondre à mes problématiques commerciales”. C’est pour cela qu’adopter un concept d’enseigne va dans le sens de l’histoire. Cela évite au pharmacien de mener seul une démarche de marketing, qui reste complexe. »

F.C.

Communication

DIGITALISATION Le somolo demain chez vous

Aujourd’hui Internet vit avec nous, toute la journée, via nos smartphones, révolutionnant les règles de la distribution. La digitalisation, jusque-là exclusivement “at home”, va devenir “at store”. Cet ensemble, baptisé “somolo” (social, mobile, local), devient la principale préoccupation actuelle des marques et des enseignes », explique Jean-Philippe Chavatte, de l’agence Carré Noir. L’enjeu d’un commerce aujourd’hui ? Etablir un lien entre l’Internet – c’est-à-dire la maison – et le point de vente pour accompagner le client dans sa relation avec la marque et avec le produit. Ainsi les agenceurs ont imaginé des espaces salon où la clientèle peut consulter des ouvrages, des sites sélectionnés par le pharmacien… « Dans les bijouteries, on trouve des écrans où, en cliquant sur une bague, vous obtenez des informations techniques, pratiques… C’est encore rare en pharmacie mais cela va vite arriver », anticipe Bernard Deniel, de Media 6. Sephora profite de ces nouvelles technologies pour mieux conseiller ses clients : les vendeurs, dotés de tablette, ont accès à la liste des achats des clients. D’un scan de la carte de fidélité, ils peuvent retrouver la nuance d’un fond de teint acheté trois mois plus tôt ou préconiser un produit complémentaire. Dans le magasin de la chaîne de vêtements Celio, avenue des Champs-Elysées, le consommateur choisit sur une table tactile son avatar et l’habille au choix dans la panoplie de la marque. Il peut aussi récupérer la « playlist » du point de vente. Ces points de vente avant-gardistes ouvrent souvent les voies vers le commerce de futur. La pharmacie suivra…

F.C.