Alerte à l’officine

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Publié le 16 juillet 2005
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On ne s’étonne plus que l’actualité du sport professionnel rime avec dopage. Mais c’est son développement en milieu amateur qui devient préoccupant, comme le souligne Michel Audran, professeur à la faculté de pharmacie de Montpellier. Avec la sortie en ville de l’EPO, l’officine doit redoubler de vigilance.

La descente de police ? Elle était liée à un problème de cambriolage, a-t-on justifié auprès de la clientèle de cette officine du VIIIe arrondissement de Paris. Fin juin, des policiers étaient venus arrêter un préparateur impliqué dans une affaire de dopage touchant le monde des courses de chevaux et de la boxe. Dans l’affaire Cofidis, autre dossier encore à l’instruction, c’est un pharmacien du XVIe arrondissement qui est mis en cause.

Faits divers liés au sport professionnel, donc isolés, diriez-vous. Après tout, les filières liées au dopage passent très souvent par l’étranger. Et même les centaines de produits demandées légalement – à l’Afssaps – par un peloton du Tour de France 2005 surmédiqué (jusqu’à 160 produits pour une seule équipe, a révélé Le Monde) ont été pour la plupart importés. Mais au dire de Michel Audran, professeur à la faculté de pharmacie de Montpellier (laboratoire de biophysique et bioanalyse), spécialiste du transport de l’oxygène et expert judiciaire dans des affaires liées au dopage en milieu amateur, ce n’est pas de ce côté-là que réside le plus gros danger.

Les corticoïdes ont la cote en ville.

Selon Michel Audran, le monde officinal devrait donc se montrer extrêmement attentif aux produits pouvant être utilisés dans le sport amateur, surtout après la sortie en ville de l’EPO : « Cela va évidemment faciliter la diffusion du produit. L’EPO était déjà utilisée auparavant dans le domaine amateur car elle peut être très efficace à petite dose. Mais on se la procurait jusque-là essentiellement en Suisse, Andorre, Belgique… Là, ce sera beaucoup plus aisé, surtout que les scanners actuels permettent de faire très facilement de fausses ordonnances. Sans compter les ordonnances volées. Et il n’est peut-être pas évident pour un pharmacien en milieu urbain, qui ne connaît pas toujours très bien ses clients, de détecter des achats suspects. »

Car, en plus de l’EPO, les amateurs prennent de véritables cocktails médicamenteux – hors de tout protocole, bien sûr. « L’EPO, ce n’est pas si dramatique à court terme, mais quand on voit ce qu’ils associent avec, cela devient catastrophique pour le foie : de l’aspirine et des anticoagulants pour potentialiser l’effet ou éviter les effets secondaires, des antibiotiques pour faire face à l’effet immunosuppresseur de l’EPO, voire des gammaglobulines, de l’hormone de croissance et de la testostérone pour éviter l’effet catabolique des glucocorticoïdes (fonte musculaire). Avec tout cela, nos cyclistes apprentis sorciers prennent évidemment des pansements gastriques », énumère Michel Audran. Les glucocorticoïdes sont d’ailleurs les produits les plus recherchés en pharmacie car autorisés en pommades, par voix nasale et intra-articulaire. Impossible ensuite de détecter la différence avec des produits utilisés à des fins de dopage.

Six mois de fermeture pour une officine.

Philippe Gaumont, ancien de l’équipe cycliste Cofidis, explique dans son livre que rien n’est plus facile que de se faire prescrire du Nasacort en spray ou du Diprosone (sous prétexte d’une vague allergie) pour masquer l’usage de Kenacort injectable ou de Diprostène. De nombreux médicaments comme les diurétiques, le dextran ou l’hydroxyéthylamidon sont prisés comme masquants. Des méthodes directement transposables au milieu amateur ou semi-amateur. Bref, certaines associations peuvent mettre la puce à l’oreille… surtout quand le jeune sportif du coin se gave aussi de compléments alimentaires, de fer, de vitamine B12 ou d’acide folique.

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« Dans les affaires judiciaires que je connais, les jeunes allaient dans des pharmacies pas trop regardantes où on les connaissait, indique le Pr Audran. Ils se plaignaient d’une inflammation du genou pour obtenir une boîte. En général, ça passait facilement. » C’est un peu l’exemple de ce pharmacien de Haute-Saône, condamné en mai dernier par la chambre disciplinaire de Franche-Comté à six mois de fermeture dont cinq avec sursis pour avoir vendu, durant un an, des ampoules de testostérone sans prescription à un jeune homme préparant le championnat de France de culturisme, « pour l’aider ». La DRASS a fait appel, estimant que la sanction n’était pas assez lourde.

Dans les cas cités par le Pr Audran, les ennuis du pharmacien se sont le plus souvent soldés, in fine, par une très mauvaise publicité. Mais la responsabilité du pharmacien peut être théoriquement engagée même s’il n’a pas vendu sciemment les produits détournés de leur usage.

« On se moque éperdument qu’il soit conscient ou pas conscient, observe Alain Fallourd, avocat à Paris. La jurisprudence constante pour le pharmacien, c’est l’obligation de résultat, sous peine de sanctions pénales et de radiation du tableau. » Sans aller jusqu’à cette extrême, il est évident que les pharmaciens doivent être de plus en plus vigilants face à la sortie en ville de certains produits et au développement du dopage jusque dans les petits clubs sportifs. Rappelons à cet égard que, d’après le Code de la santé publique, « tout pharmacien ayant eu connaissance d’un cas de pharmacodépendance grave ou d’abus grave de médicament, plante ou autre produit qu’il a délivré, le déclare aussitôt au centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance sur le territoire duquel ce cas a été constaté ». Ajoutons que les sites gouvernementaux incitent les sportifs à demander conseil à leur pharmacien en cas de doute sur certains produits, y compris des tisanes, préparations magistrales, compléments diététiques ou boissons énergétiques (ne serait-ce que pour éviter d’être contrôlés positifs…). Les autorités comptent, bien sûr, sur l’expertise du pharmacien*.

* Liste des produits interdits sur http://www.santesport.gouv.fr ou http://www.moniteurpharmacies.com, rubrique « Documentation », puis « Documents de référence », puis « Médicaments et législation pharmaceutique », sous-rubrique « Dopage » (« JO » du 7 avril 2005, texte n° 25).

Pharmacies sous surveillance

– « Pour vivre heureux, vivons cachés » est un adage qui n’est plus de mise pour les pharmaciens, placés sous surveillance constante par leurs grossistes qui veillent sur les mouvements suspects des médicaments dits sensibles.

De récentes affaires de trafic impliquant des pharmaciens ont incité l’Ordre à renforcer ses moyens d’investigation pour limiter les dérapages. Un discret groupe de travail, intitulé « Exercice professionnel », s’est créé au niveau national, constitué d’élus de chaque section (officinaux, grossistes, fabricants et inspection) pour finaliser un système d’échange d’informations. Les ventes cumulées mensuelles de quelque 400 médicaments sont ainsi suivies : les traditionnels anxiolytiques et hypnotiques, hormones et anabolisants, stupéfiants, mais aussi le Rivotril ou l’EPO. Le fournisseur signalera à son client pharmacien l’emballement de ses achats. Les renseignements fournis à l’Ordre seront d’abord anonymes par secteur, puis nominatifs. Certains seront d’ailleurs bientôt convoqués par leurs pairs en commission régionale.

L’Ordre a demandé l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur le principe des listes pour concrétiser une méthode d’action efficace qui soit d’abord préventive puis répressive. De leur côté, les centre d’évaluation d’information de la pharmacodépendance (CEIP), en relation avec l’Afssaps, cherche des pharmaciens volontaires pour des enquêtes ponctuelles sur une classe de médicaments. Objectif : suivre l’évolution des ventes et détecter les détournements d’usage.

A noter

– INDÉTECTABLE EPO

Un rapport du Sénat belge de mars 2005 estime que « l’industrie est parvenue, probablement aux Etats-Unis, à mettre au point une EPO indétectable ». Le même rapport estime, d’après une source de la Commission européenne, que 80 % de l’EPO est consommée par des sportifs dans le monde, de même que 84 % de l’hormone de croissance.

– les risques pour la santé

Le dopage peut affecter le myocarde et occasionner des troubles du foie, favoriser

le cancer et l’artériosclérose.

– EPO : soupçonnée d’avoir donné lieu à des accidents (accidents cérébraux, HTA, embolies pulmonaires) mais sans preuve de décès.

– Hormones de croissance : diabète, affection du myocarde, maladies articulaires.

– Amphétamines : troubles psychiques, dépendance.

– Stimulants : troubles psychiques.

– Diurétiques : déshydratation.

– Corticoïdes : fragilité des tendons et muscles, ulcères, troubles cardiovasculaires…