Santé mentale des jeunes : l’accompagnement possible en pharmacie

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Santé mentale des jeunes : l’accompagnement possible en pharmacie

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Publié le 10 octobre 2025
Par Pascale Caussat
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Face à un mal-être psychique croissant au sein des nouvelles générations, la mobilisation de tous les acteurs de santé devient indispensable. Dans un contexte de saturation des structures de soins et d’inégalités d’accès à la prise en charge, l’implication des professionnels de proximité est encore plus essentielle. À condition d’être formés et de connaître les ressources disponibles.

Le lendemain de la mort d’une assistante d’éducation poignardée par un élève de 14 ans le 10 juin dernier, le ministère chargé de la santé et de l’accès aux soins a dévoilé un plan national pour refonder la psychiatrie, axé sur la prévention chez les jeunes, le développement de l’offre de soins de proximité et la formation des soignants. « La santé mentale est l’affaire de tous », a rappelé le ministre Yannick Neuder. Désignée Grande Cause nationale 2025, c’est un véritable enjeu de santé publique : 13 millions de Français, selon les chiffres officiels, sont confrontés aux maladies mentales chaque année, incluant dépression, anxiété, addiction, troubles du comportement alimentaire et conduites à risque. La prise en charge de ces pathologies représente le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie, soit 25 milliards d’euros par an, devant les maladies cardiovasculaires et le cancer.

Des passages à l’acte de plus en plus nombreux

Mis en lumière par la crise sanitaire liée au Covid-19, même s’il s’explique par bien d’autres facteurs, le mal-être des jeunes est particulièrement préoccupant. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans et les spécialistes notent une hausse des passages à l’acte parmi les 11-13 ans.

Les familles confrontées au problème se trouvent souvent démunies devant le manque de moyens de la psychiatrie en France. Tout juste majeur, le fils de Florence* fumait beaucoup de cannabis, devenait violent, dormait peu. Il s’est vu prescrire des somnifères et des antidépresseurs mais, selon sa mère, « ses troubles anxieux duraient depuis longtemps et il a fallu plusieurs années avant de trouver le bon suivi. Il n’avait pas besoin d’antidépresseurs mais de mettre des mots sur son mal-être. » A contrario, Angèle le reconnaît : lorsque sa fille collégienne a fait une tentative de suicide, le soutien apporté a été efficace : « Mon mari et moi avions la chance d’avoir dans notre entourage des amis psychologues et psychiatres qui nous ont facilité l’accès à des rendez-vous en urgence. Les équipes de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris se sont montrées très disponibles alors qu’elles sont clairement débordées face aux enjeux de santé mentale des adolescents. La prise en charge est à double vitesse en France, selon que l’on habite dans la capitale ou dans d’autres régions. »

Trop souvent, un traitement médicamenteux est prescrit pour pallier le manque de suivi psychologique. Un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), publié en début d’année, souligne « l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes chez les enfants et les adolescents en France. Cette tendance est souvent accompagnée, d’un côté, de pratiques déconseillées, telles que la prescription de médicaments avant l’âge de 6 ans, des polyprescriptions, des durées de traitement longues et, de l’autre, du déclin des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales de première intention ».

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La formation au secours des professionnels

Au regard de cette situation préoccupante, quel rôle peut jouer la pharmacie d’officine dans la prévention et l’accompagnement des jeunes patients ? Dans sa revue Tous pharmaciens parue en avril dernier, l’Ordre national des pharmaciens liste plusieurs leviers sur lesquels le praticien peut agir : se former à la problématique de la santé mentale, pratiquer une écoute active lorsqu’un patient se révèle en difficulté, vérifier avec soin les ordonnances. « J’encourage les pharmaciens à suivre la formation “Premiers secours en santé mentale” (PSSM), souligne Caroline Wehrlé, conseillère ordinale section D Grand-Est et professeure associée à la faculté de pharmacie de Strasbourg (Bas-Rhin). C’est une formation citoyenne, non spécifiquement réservée aux professionnels de santé, qui permet d’écouter et d’accompagner les patients souffrant de troubles anxieux ou psychologiques qui viennent nous voir souvent en situation de détresse. Je l’ai moi-même suivie et j’applique la méthode Aérer, pour “approcher, écouter, réconforter, encourager, renseigner”. Cette formation permet de compléter le cursus universitaire qui n’a souvent pas la possibilité de traiter ce domaine. »

Le plan psychiatrie lancé par le gouvernement prévoit justement de renforcer la formation initiale des étudiants en médecine en psychiatrie et de doubler le nombre de secouristes en santé mentale d’ici 2027, pour atteindre 300 000 personnes.

Même si les mineurs fréquentent rarement seuls le circuit des officines, certaines demandes exigent que les pharmaciens redoublent d’attention. Marie Rose Moro, cheffe de service de la Maison de Solenn, maison des adolescents (MDA) de l’hôpital Cochin (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), relate un épisode significatif : « Différents médicaments, comme le paracétamol, sont utilisés par les adolescents pour des tentatives de suicide. Récemment, une adolescente suivie dans notre établissement est sortie pour aller en acheter. Le pharmacien a constaté qu’elle s’était automutilée, lui a parlé de façon bienveillante et nous a appelés. Il lui a sauvé la vie. Les tentatives de suicide sont des gestes très impulsifs, un rien peut vous retenir à la vie. Face à une demande de paracétamol sans ordonnance, le pharmacien doit avoir une fonction de vigilance et de conseil. » Selon la pédopsychiatre, « pour les pathologies non psychotiques comme la dépression, il faut essayer la psychothérapie avant de penser aux médicaments. En cas d’urgence ou de symptômes aigus, on va prescrire des médicaments mais toujours en deuxième intention. Certains d’entre eux, comme les benzodiazépines, ne doivent pas être donnés aux enfants sauf exception et sur un temps très court, car il existe des alternatives. » La Maison de Solenn accueille régulièrement des pharmaciens en formation et Marie Rose Moro encourage les professionnels à s’inscrire dans des réseaux d’échange, notamment s’ils sont établis à proximité de MDA (il en existe 125 en France) ou de centres médicaux psychopédagogiques (CMPP) présents dans chaque département. Mais les effectifs de ces derniers ont baissé de 30 % en 20 ans.

« Parlons santé mentale ! »

Les pharmaciens d’officine ont aussi la possibilité, dans le cadre du bilan de prévention ouvert aux 18-25 ans, de faire le point sur le bien-être mental des patients dans un espace de confidentialité. Ils peuvent orienter vers les dispositifs Mon soutien psy et Santé Psy Étudiant, qui permettent de bénéficier d’un accompagnement allant jusqu’à 12 séances chez un psychologue partenaire. Le gouvernement entend doubler le nombre de psychologues conventionnés en le portant de 6 000 à 12 000 d’ici 2027. Le site info.gouv.fr, à travers l’opération « Parlons santé mentale ! », fournit des ressources pour conseiller le grand public. Spécifiquement pour les jeunes, il existe notamment le Fil Santé Jeunes (numéro gratuit : 0800 235 236), qui englobe tous les sujets de santé. En outre, cette opération rappelle les pratiques bénéfiques à adopter : une bonne hygiène de vie (alimentation, sommeil, au moins 30 minutes d’activité physique par jour), développer ses compétences psychosociales, prévenir les addictions et comportements à risque, etc.

L’importance d’une bonne hygiène de vie

Caroline Wehrlé, qui dirige le diplôme universitaire de micronutrition à Strasbourg, plaide pour une approche intégrative dans la prise en charge, incluant la nutrition, la méditation, l’activité physique : « En présence d’une prescription d’antidépresseurs, on ne peut pas se contenter de délivrer des médicaments, on se doit aussi de parler d’hygiène de vie et, si besoin, d’une supplémentation en vitamines, en minéraux et en oméga 3. L’axe intestin-cerveau est lui aussi à explorer. Il a été largement validé que l’alimentation ultratransformée souvent consommée par les adolescents est associée à une hausse du risque d’anxiété et de dépression. » Pour Angèle, dont la fille a été influencée par des comptes TikTok, « il faut éduquer les parents et supprimer l’accès des ados aux réseaux sociaux. Les professionnels de santé que nous avons rencontrés sont catégoriques : les réseaux sociaux sont des accélérateurs de mal-être. » Leur interdiction aux moins de 15 ans fait partie des réponses mises sur la table par le gouvernement. Mais c’est surtout le manque de moyens humains qui est préoccupant en France. Marie Rose Moro regrette que la Grande Cause nationale ne s’accompagne pas de financements supplémentaires : « ll faudrait déclarer un plan pour la santé mentale, sur le modèle du plan cancer, avec un centre de référence national. »

Un rapport parlementaire a été présenté le 9 juillet dernier et a mis en lumière l’urgence d’une politique ambitieuse pour la santé mentale des mineurs. Il dénonce une offre saturée face à une demande croissante, des délais d’attente très longs et une pénurie de professionnels. Le rapport avance 53 recommandations, dont un meilleur financement de la pédopsychiatrie et la création d’équipes mobiles. Les récentes annonces seront-elles suffisantes ?

* Les prénoms des témoins ont été changés.

À retenir

  • Grande Cause nationale 2025, la santé mentale fait l’objet d’un plan psychiatrie impliquant l’école, les médecins généralistes, les centres médico-psychologiques et les soignants du quotidien.
  • Les pharmaciens sont encouragés à se former aux premiers secours en santé mentale. Ils sont aussi invités à se rapprocher des lieux qui accueillent des adolescents pour participer à des réunions d’information.
  • Lorsqu’il est confronté à une prescription d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques, le pharmacien doit faire preuve d’une vigilance accrue et, au moindre doute, appeler le médecin.