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Cosmétique durable : tout n’est pas si vert
Créée il y a 10 ans par deux jeunes pharmaciennes, la marque La Rosée est désormais présente dans plus de 10 000 officines et coche toutes les cases des attentes des consommateurs : des ingrédients naturels, dans la mesure du possible issus de l’agriculture biologique, biodégradables et sourcés localement, mais aussi des packagings sans suremballage ni plastique issu de la pétrochimie… La Rosée est emblématique de la tendance de la clean beauty, qui s’est fait une place dans les pharmacies et parapharmacies depuis quelques années, aux côtés de jeunes marques comme The Ordinary, Avril, Unbottled, Krème, Oolution… Le terme est devenu synonyme de cosmétique durable, aux formulations courtes, exemptes d’ingrédients indésirables : allergènes, irritants, perturbateurs endocriniens et tout composant superflu. « L’appellation clean beauty vient des États-Unis, replace Aude Barré, docteure en pharmacie et consultante en cosmétique. La réglementation y étant moins stricte qu’en Europe, les Américains ont créé cette catégorie pour parler de “cosmétique propre”, sans ingrédient controversé. Mais cette allégation n’est pas encadrée par une certification et les marques peuvent en faire ce qu’elles souhaitent. »
Une réglementation drastique
La cosmétique durable est-elle une création marketing ou une démarche authentique ? Pour savoir de quoi l’on parle, il faut revenir à la réglementation. La Fédération des entreprises de la beauté (Febea) rappelle que le secteur s’inscrit dans un cadre européen : « Il est soumis au règlement (CE) N°1223/2009, qui est l’une des réglementations les plus strictes au monde en matière de sécurité des cosmétiques. Elle est régulièrement mise à jour en fonction de l’avancée des connaissances scientifiques ». Le texte exclut notamment les molécules CMR (cancérigènes, mutagènes et toxiques) et définit la liste des substances autorisées pour l’utilisation de colorants, de conservateurs et de filtres ultraviolets. La formulation de chaque produit doit faire l’objet d’une évaluation de sa sécurité sur le plan toxicologique avant la mise sur le marché. La surveillance est confiée à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), une compétence précédemment partagée avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Cependant, ce cadre autorise des ingrédients issus de la pétrochimie comme les silicones, appréciés pour l’effet glissant qu’ils apportent dans le maquillage ou les shampoings, les PEG (dérivés du polyéthylène glycol), employés comme émulsifiants, ou le phénoxyéthanol, un conservateur. Ces produits ont un effet néfaste soit pour l’environnement, car ils ne sont pas biodégradables, soit pour la santé humaine, car ils sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens, et parfois les deux.
À cela s’ajoute le risque des PFAS (alkyls perfluorés et polyfluorés), les polluants éternels qui seront interdits dans les cosmétiques et les textiles en 2026 en vertu d’une loi promulguée en février dernier. Selon Jean-Marc Giroux, président de Cosmed, réseau professionnel représentant les petites et moyennes entreprises (PME), « seulement 1,4 % des cosmétiques contiennent des PFAS intentionnellement ajoutés, dont 3,67 % dans la catégorie “maquillage” et 0,78 % dans le soin. L’industrie n’aura pas de mal à les supprimer car il existe des solutions alternatives. En revanche, nous sommes attentifs à leur présence non intentionnelle dans l’eau, qui est le principal ingrédient des produits cosmétiques ». Les formats solides, démaquillants, déodorants ou shampoings sans eau, peuvent être une solution à cet égard.
Le naturel revient au galop
Face aux ingrédients controversés, la cosmétique bio avance des solutions naturelles, non issues de la pétrochimie. Les démarches dignes de foi sont celles qui répondent à un cahier des charges public et à un processus de labellisation audité par un tiers. En France, le label le plus répandu est Cosmébio, souvent accompagné du logo Ecocert, l’organisme certificateur. Tous deux font partie du référentiel européen Cosmos, regroupant aussi BDIH en Allemagne, Soil Association en Grande-Bretagne et ICEA en Italie. Les autres initiatives se nomment Nature & Progrès, Natrue, Fair for Life… Cosmébio garantit que le produit cosmétique contient au moins 95 % d’ingrédients d’origine naturelle et au moins 20 % issus de l’agriculture biologique (l’eau n’étant pas comptée comme un ingrédient bio). Certaines marques font en plus la démarche de la certification B Corp, un label d’origine américaine qui récompense une démarche globale d’entreprise en faveur de l’environnement et des droits sociaux. À noter qu’il existe des mentions Vegan, Cruelty Free ou Leaping Bunny pour garantir le respect du bien-être animal, mais ces logos ont une pure vocation marketing car la commercialisation de produits cosmétiques testés sur les animaux est totalement interdite dans l’Union européenne depuis 2013.
Trop bio pour être vrai
Malgré tout, le diable est dans les détails et même le cahier des charges du bio est sujet à caution. Anne-Marie Gabelica, fondatrice de la marque Oolution, présente dans une cinquantaine de pharmacies, pointe certaines de ses limites : « Cosmébio autorise l’huile de palme, qui est un ingrédient naturel mais catastrophique pour l’environnement car il contribue à la déforestation. Nous n’utilisons pas l’huile de palme ni les conservateurs autorisés par le bio. Nous avons développé notre propre système de conservation 100 % naturel à base de fermentat de radis. » La marque a néanmoins rejoint un processus de labellisation pour être plus facilement identifiable. « Nous sommes Ecocert, Cosmébio et B Corp. J’ai longtemps considéré que mon cahier des charges sans ingrédients controversés était plus strict que le label bio, mais les logos sont une clé de visibilité pour le pharmacien et le consommateur », estime Anne-Marie Gabelica. « La certification bio est contestée car elle autorise l’huile de palme et certains conservateurs », appuie Pascale Brousse, experte en cosmétiques naturels à la tête de l’agence Trend Sourcing. Dans les produits solaires, elle préconise les filtres minéraux par rapport aux filtres chimiques mais il n’existe pas de tests fiables pour garantir la protection des océans. « Tout cela sème la confusion et les consommateurs ont tendance à faire davantage confiance à un taux de naturalité de 95 % qu’à une certification. Même si on peut se demander ce qu’il y a dans les 5 % restants. » En l’absence d’alternative satisfaisante à l’huile de palme, un ingrédient bon marché qui entre dans la composition de nombreuses bases cosmétiques, les marques se revendiquant « clean » comme La Rosée vérifient avec leurs fournisseurs que leurs approvisionnements n’ont pas contribué à la déforestation. De même, elles privilégient les ingrédients locaux, mais lorsqu’elles s’approvisionnent en ingrédients lointains, comme le beurre de karité, elles s’assurent d’un sourcing éthique.
Évaluation d’impact
Pour fédérer les initiatives du secteur et aider les consommateurs à y voir plus clair, une trentaine d’acteurs, à l’initiative du groupe Pierre Fabre, ont créé le Green Impact Index. À la manière du Nutri-Score en alimentaire, il s’agit d’un affichage environnemental qui note les engagements des marques de A à E. La méthodologie a été élaborée avec l’Association française de normalisation (Afnor), gage de fiabilité. « Elle comprend une cinquantaine de critères, explique Stéphane Labattut, directeur général de Léa Nature cosmétiques et vice-président du consortium : l’impact environnemental, comprenant notamment la naturalité, la biodégradabilité, l’empreinte carbone, représente 80 % de la note, et la partie sociétale, conditions de production, transparence des filières, 20 %. À la différence d’un label, c’est un programme qui engage les industriels à une amélioration en continu. » L’intérêt de cet outil est qu’il agrège un grand nombre de données, sur l’origine des ingrédients, l’écoconception des produits et le respect des droits humains. Des expériences comme le vrac, la consigne et les cosmétiques solides sont prises en compte. Le Green Impact Index s’étend aussi aux compléments alimentaires et produits de bien-être. Comme le Nutri-Score, il a le défaut de simplifier une réalité complexe mais il est plus fiable qu’une application comme Yuka, dont la méthodologie manque de transparence. Un autre outil, l’EcoBeautyScore, a été développé par quelque 70 industriels tels que L’Oréal, Unilever, LVMH, Coty. Il est considéré comme moins complet et généralement interprété comme une manière de contourner la certification bio, jugée chère et contraignante par les grands groupes.
Pour résumer, la cosmétique durable est un avenir souhaitable pour le secteur, à condition de ne pas la galvauder au moyen d’allégations sans preuve. À ce titre, les acteurs sont dans l’attente de la transposition en droits nationaux de la directive européenne 2024/825, qui doit encadrer plus précisément les communications des marques afin de protéger davantage les consommateurs du greenwashing.
À retenir
- Le terme de cosmétique durable désigne une démarche globale d’innocuité, de traçabilité des ingrédients, de réduction des packagings.
- Les labels bio offrent des garanties de santé et de protection de l’environnement, mais ils peuvent autoriser des ingrédients controversés.
- La mention « 95 % d’ingrédients naturels » et une formulation courte sont un minimum pour rassurer les consommateurs.
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