« Au Québec, nous sommes considérés au même niveau que les médecins »

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Publié le 17 septembre 2022
Par Matthieu Vandendriessche
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Une centaine de pharmaciens français exercent au Québec depuis qu’existe un accord facilitant les démarches entre les deux pays. Parmi eux, Rodolphe Ferrier, propriétaire de pharmacie à une centaine de kilomètres de Montréal, et Pauline Bigé, l’une de ses salariées. Ils témoignent des récentes avancées de la pratique pharmaceutique dans la Belle Province.

Un couloir avec des portes qui s’ouvrent chacune sur un cas clinique. Une quinzaine de situations à traiter en un temps limité. Des comédiens qui font figure de patients. Ce sont les conditions de l’examen que doivent réussir les pharmaciens français pour exercer leur profession de l’autre côté de l’Atlantique, au Québec. « Nous sommes évalués en fonction de la pertinence de nos réponses et de la qualité de gestion de la situation. On attendait de nous d’être au moins aussi bons, sinon meilleurs, que les candidats québécois », se souvient Rodolphe Ferrier. Ce pharmacien de 44 ans a été titulaire pendant une dizaine d’années dans un village de l’Hérault. « Lorsque mon épouse, qui est franco-canadienne, a dû partir au Québec pour des raisons professionnelles, j’ai saisi l’opportunité au vol. » Expatrié voilà cinq ans, il devient propriétaire d’une pharmacie avec son associé en 2020 dans une ville dont le nom ne résonne pourtant pas comme un succès français. Waterloo compte 5 000 habitants et se situe à une centaine de kilomètres à l’est de Montréal. C’est dans cette mégalopole qu’aime se rendre Pauline Bigé, l’une des salariées de Rodolphe Ferrier. Trentenaire, diplômée de la faculté de Dijon en 2016, elle a exercé près de trois ans à Quiberon (Morbihan). C’est en conversant avec d’autres étudiants que l’idée lui est venue de partir pour la Belle Province. Une démarche facilitée par un arrangement conclu en 2009 entre les deux pays. Il prévoit la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des pharmaciens. Depuis son instauration, une centaine de Français ont accédé à la profession au Québec, sur un effectif total de près de 10 000 pharmaciens.

Une loi et des avancées pour les pharmaciens

Il a fallu un an à Pauline Bigé pour concrétiser son installation. Elle commence à travailler en 2020. « Pendant la crise du Covid-19, un grand nombre de patients se sont tournés en priorité vers les pharmaciens. La confiance est très forte. Nous sommes considérés comme professionnels de santé au même niveau que les médecins », rapporte la jeune femme. C’est en mars 2020, en pleine crise sanitaire, qu’entre en vigueur la loi 31. Elle est renforcée par différents règlements dès l’année suivante. Mesure phare de ses évolutions, la possibilité pour le pharmacien de modifier certaines thérapies médicamenteuses en s’appuyant sur des données probantes. Pour assurer la sécurité du patient ou l’efficacité du traitement, il est autorisé à modifier si nécessaire le médicament lui-même, la forme pharmaceutique, la posologie, le dosage, la durée du traitement ou encore la quantité prescrite. « Cette loi nous donne la possibilité de tout modifier sur l’ordonnance d’un médecin. Bien sûr, cela reste très encadré. S’il y a, par exemple, une allergie aux pénicillines, je peux justifier la prescription de macrolides. J’informe le médecin de cette décision. Aucun n’a jamais rappelé pour s’en plaindre », indique Rodolphe Ferrier. Il est aussi possible d’initier le traitement d’un zona et de la grippe si le patient présente des risques de développer des complications. « On peut le lancer et demander une réévaluation par un médecin dans les jours qui suivent », précisent les pharmaciens. Cela implique une bonne connaissance des symptômes, en particulier de celui qui doit inciter à la consultation médicale. « Il faut savoir quand et vers qui diriger », reconnaît Pauline Bigé. Autre possibilité, la prescription d’analyses biologiques pour surveiller la sécurité et l’efficacité du traitement. « Nous pouvons demander la réalisation de la mesure de l’INR et ajuster les doses d’AVK. On ne s’adresse pas au médecin pour cela, mais il en est informé. »

Un comptage à l’unité pour tous les médicaments

Des différences majeures existaient déjà avant ces « émancipations » dans la pratique pharmaceutique. Au Québec, la totalité des médicaments sont délivrés à l’unité. « Les comprimés sont comptés de façon manuelle avec une spatule. Cette pratique se justifie ici par le prix élevé des médicaments, en comparaison de la France », pointe Rodolphe Ferrier. La principale distinction tient dans l’organisation même de l’officine. « En France, le pharmacien intervient de manière horizontale. Il s’occupe de tout, de l’accueil à la délivrance de médicaments et de conseils. Ici, c’est une chaîne de travail verticale, relate le dirigeant. Le patient est représenté par un panier. Il y a un point d’accueil et de transmission de l’ordonnance. Le panier est attribué à un comptoir puis à un pharmacien qui ne s’occupe que de l’analyse de la prescription. C’est une autre personne qui se charge du règlement. » Les pharmaciens se doivent donc d’être pointus en pharmacologie. Mais ils ne s’étendent pas sur le conseil en phytothérapie ou sur l’offre en orthopédie. « Il y a beaucoup de patients à qui j’aimerais proposer des orthèses thermoformables, comme je le faisais en France, mais ce n’est pas très développé ici. »

Une séparation physique relative avec le patient

Le circuit de prise en charge impose une séparation physique avec le pharmacien. « Les ordonnances sont reçues par fax en amont. La prescription est analysée et validée puis les médicaments sont remis au patient. Nous ne sommes pas en contact direct avec lui tout le temps de sa présence », précise Pauline Bigé. Qui relativise : « Lors du suivi du patient, on peut avoir à l’appeler la semaine suivante ». Rodolphe Ferrier emploie 22 salariés. Il estime qu’en dessous de 1 500 ordonnances par jour, il est encore possible aux trois ou quatre pharmaciens présents au cours de la journée de connaître les patients. Au-delà, c’est plus difficile. « Nous sommes cachés mais restons disponibles. Il y a possibilité de voir que nous sommes là et d’échanger quelques mots. » Les pharmaciens forment un binôme : l’un se concentre sur l’analyse des ordonnances, l’autre délivre médicaments et conseils en bout de chaîne, répond au téléphone. Au Québec, la concurrence est forte entre pharmacies. « Il n’y a pas de numerus clausus à l’installation. Si on est bon, on peut se défendre. On peut aussi communiquer pour occuper le terrain en faisant paraître des articles dans le journal local et en étant sponsor d’une épreuve sportive », explique Rodolphe Ferrier, qui a choisi d’appartenir à la chaîne Proxim (propriété de McKesson Canada), ce qui lui permet de rester décisionnaire dans ses achats. Et de continuer à croire en sa bonne étoile. Louis Hébert, le premier colon installé en Nouvelle-France au début du xviie siècle, était apothicaire.

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DATES CLÉS

2017

Installation de Rodolphe Ferrier au Québec

2018

Arrivée de Pauline Bigé

2020

Entrée en vigueur de la loi 31 sur les missions pharmaceutiques