Signalez vos erreurs !

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Publié le 17 mai 2008
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Nul n’est à l’abri d’une erreur de délivrance. Et plutôt que de tomber dans le déni ou « la-faute-à-pas-de-chance », mieux essayer d’en analyser les causes. D’ailleurs, quand l’erreur est imputable au nom ou au conditionnement du médicament, le guichet « Erreurs médicamenteuses » de l’Afssaps n’attend que vos signalements pour agir et vous aider. Alors signalez !

Si l’erreur est humaine, encore faut-il le reconnaître ! Selon le sondage que Le Moniteur a demandé à Direct Medica (par téléphone et par mail) sur les erreurs de délivrance par les officinaux eux-mêmes, près de 60 % admettent se tromper 1 à 2 fois par mois. Qu’ils soient pharmaciens ou préparateurs, peu importe, ils reconnaissent se tromper. Parmi les erreurs constatées, les plus fréquentes sont les erreurs de dosage, de galénique, l’oubli d’une ligne de prescription, la délivrance d’un nombre inadéquat de boîtes et la mauvaise lecture de l’ordonnance. Arrivent ensuite les délivrances d’une autre spécialité de nom à consonance proche (citées par 19 % des pharmaciens et 11 % des préparateurs) ou les erreurs portant sur un choix erroné de générique (citées par 6 % des sondés). Par exemple, lire Prozac et délivrer paroxétine…

Les incidents graves liés aux erreurs peu documentés

L’erreur de délivrance est une des nombreuses erreurs pouvant survenir dans le circuit du médicament. Elle peut être à l’origine d’un risque ou d’un événement indésirable pour le patient. Aucune étude en France n’a été entreprise pour déterminer la part des erreurs de délivrance dans les accidents iatrogènes, et même l’étude ENEIS sur les événements indésirables graves liés aux soins en 2004 est discrète à ce sujet. Sur les 2,5 milliards de boîtes ou autres présentations de médicaments délivrées en 2006 par les officines et remboursées, combien d’erreurs ? « Il y a certainement des erreurs commises, mais s’il n’y pas de signalement ultérieur par le patient, ni de conséquence sur la santé, le pharmacien peut n’en rien savoir », reconnaît Jean-Charles Tellier, président du conseil central de la section A.

Tous les officinaux ont conscience que les conséquences d’une erreur peuvent être dramatiques. Qui ne s’est jamais réveillé en sursaut la nuit en s’inquiétant d’une éventuelle bourde de délivrance ? Ou ne s’est précipité sur son téléphone pour intercepter une erreur ? « A 20 heures, après une journée de dingue, je délivre du Tussidane pour un enfant. Je me saisis du sans-sucre pensant que c’est mieux pour un enfant. Puis, je me remémore ma première délivrance de Tussidane le matin à un adulte. Mon sang n’a fait qu’un tour, le sans-sucre n’a pas la même dose de principe actif ! J’attrape l’ordonnance, pas de numéro de téléphone sur le dossier patient. Heureusement, je connais son voisin, je cours, il n’y a personne… Je n’étais plus capable de rien », raconte Françoise Amouroux, adjointe en Gironde. Fort heureusement, plus de 90 % des sondés indiquent que leurs erreurs de délivrance n’ont eu aucune conséquence pour leurs patients. Mais 2 % environ évoquent tout de même la manifestation d’effets indésirables ou même l’hospitalisation du patient.

Inculquer une culture de la traçabilité

Ces résultats ne sont qu’une estimation puisque seulement 13 % répertorient les erreurs de délivrance commises dans leur officine ! Pas de trace, pas d’erreur ? Le flou entourant ce problème peut s’expliquer par l’absence de « culture de traçabilité de l’erreur », pour Jean-Charles Tellier, la honte, la peur des représailles ou « le côté franchouillard et la notion latine de péché », comme l’évoque Jean Calop, professeur de pharmacie clinique à Grenoble, ou encore par un sentiment d’impuissance.

En l’absence d’une procédure commune, certains titulaires ont leur propre solution, à l’instar d’Anne Viel, installée près de Redon, en Ille-et-Vilaine, qui vérifie chaque soir tous les dossiers délivrés. « C’est possible dans une petite officine comme la mienne. Et puis les médecins consultent surtout le matin », nuance-t-elle. D’autres apposent un petit sticker rouge sur l’emplacement d’un produit source d’erreur. Dominique Tregourès, adjointe en région parisienne, a, elle, lancé en octobre dernier un forum de discussion sur Internet intitulé « Cas de comptoir » (1). « Mon objectif était de faire en sorte que les officinaux puissent s’alerter mutuellement sur les erreurs potentielles. Comme par exemple dire « Attention, je constate que les médecins se trompent 9 fois sur 10 sur les posologies infantiles de Poléry ! Avez-vous eu ce cas ? », explique Dominique Tregourès. L’initiative est à saluer, mais le succès n’est pas au rendez-vous : une quinzaine de visites mensuelles seulement… De plus, pour Jean-Charles Tellier, communiquer ses erreurs à d’autres officines n’est pas forcément judicieux : « Les mesures prises par les officinaux sont adaptées aux erreurs détectées dans leur officine, mais ces mesures ne sont pas forcément dupliquables. »

« On doit rendre l’erreur opérante pour en tirer des leçons »

« Il faut arriver à projeter les officinaux vers des solutions », propose Etienne Schmitt, pharmacien hospitalier, coordonnateur du Dictionnaire français de l’erreur médicamenteuse et responsable du programme « Eviter l’évitable » de la revue Prescrire (voir encadré page 36). L’officinal se focalise trop souvent sur les facteurs humains de survenue d’une erreur (fatigue, stress…). Il en oublie les enseignements qu’il peut en tirer. « On doit rendre l’erreur opérante afin d’en tirer des leçons. Il faut mettre les équipes officinales dans une habitude de prévention et d’anticipation. Il existe toute une série de méthodes comme le brainstorming. On trie les idées, on essaie de trouver des relations de cause à effet, etc. », poursuit l’hospitalier, qui suggère de procéder à « l’analyse des causes ».

Pour cela on peut utiliser la fiche « Erreur de délivrance » disponible sur le site http://www.eqo.fr de l’ordre des pharmaciens (onglet « Base de connaissances »). Elaborée par la Commission qualité Aquitaine pour la pharmacie d’officine (CQAPO), cette fiche permet de renseigner les circonstances, les étiologies ou les conséquences de l’erreur. « Il peut s’agir d’une erreur sur le médicament, sur le dosage, la forme galénique, mais aussi sur la durée d’administration ou les règles de délivrance », précise Françoise Amouroux, secrétaire de la CQAPO.

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La fiche « Erreur de délivrance » peut être utile à l’ensemble de l’équipe pour recenser les erreurs et mettre en place des procédures pour éviter qu’elles ne se produisent ou reproduisent. Par définition, l’erreur est évitable car elle manifeste ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été au cours de la prise en charge médicamenteuse d’un patient. C’est-à-dire délivrer le bon médicament au bon dosage et aux bonnes quantités au regard de la prescription du médecin. En s’assurant bien évidemment de l’objectif et de la cohérence du traitement pour éviter les erreurs inadmissibles comme par exemple la délivrance de patchs Emla à la place de patchs Evra prescrits par un gynécologue.

Une grille de recueil d’erreurs plus une réunion par mois

Recueillir les erreurs, c’est ce que fait Jean-Paul Akbaraly dans son officine de Talence, en Gironde. Administratives ou de dispensation, toutes les erreurs sont recensées. « Chaque mois, les neuf membres de l’équipe se réunissent pour prendre conscience du problème et analyse ses causes », précise Jean-Paul Akbaraly. Il n’utilise pas la fiche de l’Ordre, mais « une grille de recueil d’erreur », un tableau où sont notés les erreurs et les noms des personnes qui les ont faites. Dès la connaissance d’une erreur de délivrance, un double de l’ordonnance est archivé en vue de la prochaine réunion. « Pour le mois de mars, une quinzaine d’erreurs ont été notifiées, une pour une erreur de produit, les autres portent sur la quantité et le dosage », détaille le titulaire.

Dans l’officine de Jean-Paul Akbaraly, les dosages de chaque nouveau produit mis sur le marché sont systématiquement vérifiés. En outre, quand un générique est scanné lors de la tarification, le princeps apparaît à l’écran de l’ordinateur pour vérifier la bonne adéquation avec le générique. « Déterminer les circonstances de l’erreur permet également de voir à quel moment on s’est trompé », assure le pharmacien, qui bannit par exemple toute prise d’appel téléphonique lors de la délivrance. Il a aussi mis en place une procédure de délivrance – normal pour ce formateur de pharmaciens responsables assurance qualité et vice-président de la CQAPO – ainsi qu’une vérification systématique des ordonnances après délivrance depuis la mi-avril.

Un guichet des doléances créé à l’Afssaps

Une fois écartés les problèmes de communication (écriture illisible, imprécision…) et les facteurs humains (défauts de connaissance, parfois difficilement excusables, erreurs de rangement, charge de travail trop élevée…), le médicament lui-même peut être le fautif. Même boîte bleu et blanc pour Miflasone et Miflonil qui se côtoient dans les tiroirs, dosages multiples et peu différenciés pour Fosavance et dénominations communes très proches pour les céphalosporines…

Ces dernières ainsi que les conditionnements similaires font enrager les officinaux. Depuis trois ans, ils peuvent contacter le guichet « Erreurs médicamenteuses » de l’Afssaps. Créé au sein du département Surveillance du risque, du bon usage et de l’information sur les médicaments, il a pour objectif de recueillir et de coordonner la gestion des signalements d’erreurs et des risques d’erreurs liés à un défaut de présentation du médicament, en particulier d’étiquetage. « On nous signale des erreurs qui balaient tout le circuit du médicament, avec par ordre de fréquence : erreurs d’administration par les infirmières (plus de la moitié des signalements), de délivrance (15 %), de préparation (13 %), de prescription (8 %), le reste étant représenté par des erreurs de transcription de prescription (principalement par le personnel infirmier hospitalier), de lecture d’ordonnance ou de suivi thérapeutique (défaut de surveillance d’un traitement…) », détaille Angélique Arnoux, un des trois pharmaciens du guichet « Erreurs médicamenteuses ».

Les erreurs médicamenteuses sont signalées au guichet qu’elles soient avérées, potentielles (interceptées avant l’administration) ou latentes. Toujours en phase expérimentale, le guichet reçoit également des signalements des autres professionnels de santé et des centres de pharmacovigilance, et parfois même de particuliers (2). « On ne parle pas de déclaration car la démarche est volontaire et il n’existe à l’heure actuelle aucune disposition réglementaire sur le sujet », indique Angélique Arnoux.

48 % des erreurs de délivrance ont lieu en officine de ville

Au 31 décembre 2007, 634 signalements d’erreurs ou de risques d’erreur ont été transmis dont 549 émanaient d’établissements de santé et 21 d’officinaux ! Parmi les erreurs de délivrance signalées, 48 % se sont produites en officine de ville. « Par exemple, un pharmacien délivre Effexor à la place d’Effizinc chez une adolescente de 14 ans traitée pour acné », précise Angélique Arnoux. Sur 634 signalements, 417 étaient des erreurs avérées ou potentielles et 217 des risques d’erreur. « Nous avons été informés d’un risque d’erreur entre l’ancien Orocal D3 comprimé à sucer dosé à 500 mg/200 UI et le nouvel Orocal D3 mis sur le marché avec une dose de 400 UI en vitamine D. Une pharmacienne d’officine nous signalait que certains prescripteurs ne précisaient pas le dosage voulu en vitamine D mais seulement « Orocal D3 », d’où le risque d’erreur de délivrance et l’administration de doses de vitamine D supérieures à celles prescrites », détaille Angélique Arnoux. L’Agence a suggéré vivement au laboratoire de modifier le conditionnement de l’ancien Orocal pour faire apparaître clairement le dosage en vitamine D et d’élaborer une lettre à l’attention des prescripteurs et des pharmaciens pour les informer du changement. Elle a aussi demandé que certaines améliorations soient apportées aux conditionnements extérieurs de ces spécialités.

Intervenir a posteriori auprès des laboratoires

Les entreprises pharmaceutiques n’ont cependant aucune obligation, sauf si l’erreur concerne une mention réglementaire absente, mais elles jouent le jeu. « Même si nous n’avons pas toujours les moyens réglementaires de leur imposer la mise en place des mesures, les laboratoires les mettent le plus souvent en application. C’est leur intérêt d’éviter les erreurs avec leurs produits, explique Angélique Arnoux. D’ailleurs, une fois reçues, les données du guichet leur sont transmises en respectant l’anonymat du notificateur afin de leur permettre d’en prendre connaissance. L’Afssaps, de son côté, demande au laboratoire s’il a déjà eu connaissance de ce type de signalement et demande à recevoir un échantillon du produit mis en cause. »

Lors de ses réunions internes, le guichet « Erreurs médicamenteuses » peut évaluer le risque d’erreur et proposer des modifications à l’entreprise ou lui demander ses suggestions. Il incite par exemple les fabricants à libeller la DC en caractères plus grands que ceux du nom du laboratoire. Ou à faire figurer les dosages respectifs de lévodopa et de carbidopa et dans le même ordre sur les boîtes et dans les dénominations de Sinemet.

Le guichet « Erreurs médicamenteuses » de l’Afssaps est là pour inciter les laboratoires à prendre les mesures qui s’imposent. Dommage qu’il n’existe pas un système plus efficace pour limiter au maximum les risques de confusion avant la mise sur le marché. Et que les procédures d’AMM négligent les noms des médicaments et les boîtages. En attendant, soyez prudent et n’hésitez plus signalez vos erreurs. Cela sera utile pour tous.

Sondage deirectmedica

Sondage réalisé par téléphone du 19 au 21 mars 2008 sur un échantillon de 107 pharmacies représentatif en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Faute avouée…

Depuis 1 mois, combien d’erreurs de délivrance estimez-vous personnellement avoir commises ?

Attention à la dose !

Quel type d’erreur de délivrance avez-vous fait par rapport à la prescription du médecin ?

Déchiffrer

Quel type d’erreur de délivrance avez-vous fait par rapport à la prescription du médecin ?

Trop tard !

A quel moment vous êtes-vous rendu compte de votre erreur ?

Une erreur de délivrance que vous avez commise a-t-elle déjà eu une conséquence grave ?

PRÉPARATEURS

TITULAIRES

Répertoriez-vous les erreurs de dispensation commises dans votre officine (ordinateur, cahier…) ?

PRÉPARATEURS

TITULAIRES

(1) http://www.casdecomptoir.xooit.fr

(2) Afssaps, DEMEB/SURBUM/Guichet Erreurs médicamenteuses, 143/147, boulevard Anatole-France, 93285 Saint-Denis Cedex. E-mail : erreur.medicamenteuse@afssaps.sante.fr ; fax : 01 55 87 33 10.

Etienne Schmitt, pharmacien hospitalier

Il faut arriver à projeter les officinaux vers des solutions !

Attention aux risques de confusions !

Les exemples de confusions de noms qui suivent ont été signalés à l’Afssaps (voir le « Bulletin des vigilances ») :

-Adrénaline et Noradrénaline

-Ciflox et Ciblor

-Coversyl et Corvasal

-Cozaat et Hyzaar

-Espéral et Hepsera

-Génesérine et Ginéservice

-Gydrelle et Gydrelle phyto

-Hyperium et Hept-A-Myl ou Hypericum

-Lamisil et Lexomil ; Lamisil et Lamictal

-Méthotrexate et méthylprednisolone ; méthotrexate et Météoxane

-Moclamine 150 mg et Modamide 5 mg

-Modane et Modamide

-Mono-Tildiem et Monocrixo

-Octalbine et Octagam

-Préviscan et Preservision

-Prostine et Prostigmine

-Rectogesic et Durogesic

-Reminyl et Amarel

-Spasfon et Stablon

-Téralithe et Tégrétol

-Tiorfan et Triflucan

-Valium et Valinor

-Videx et Vi-De

-Xanax et Xatral

Sans oublier les nombreux risques de confusion entre les dénominations communes des céphalosporines.