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Menace sur l’environnement
Antidépresseurs dans les rivières, antibiotiques dans les sédiments… On retrouve des médicaments partout dans la nature. Et si les concentrations auxquelles ils sont détectés restent encore relativement faibles, le risque potentiel est encore mal défini. Enquête.
En Europe, la majorité des médicaments consommés se retrouve dans les rivières et les nappes phréatiques, apportés principalement par les rejets des stations d’épuration. Selon des chercheurs allemands, on peut, dans n’importe quel échantillon d’eau, déceler de 30 à 40 sortes de médicaments. Faut-il pour autant mettre les médicaments au banc des pollueurs au même titre que les hydrocarbures ou les pesticides ? Non, car les concentrations des médicaments dans l’environnement se révèlent mille à cent mille fois trop faibles pour entraîner une toxicité aiguë, selon le Cemagref.
Pourtant les agences gouvernementales de l’environnement, dont la toute nouvelle agence française (AFSSE), ont placé les risques liés aux déchets de médicaments parmi leurs préoccupations majeures. « Nous ne sommes pas conscients quand nous urinons que les petites pilules vont se retrouver à microdose dans les rivières », indique Jeanne Garric, écotoxicologue au Cemagref-Lyon.
« La présence de produits pharmaceutiques dans l’environnement n’est pas un phénomène nouveau, explique Christian G. Daughton, chercheur à l’Environmental Protection Agency (Etats-Unis), dans une récente publication. Depuis 1970, de nombreux scientifiques et agences gouvernementales les ont classés parmi les polluants potentiels. Mais la prise de conscience collective, en particulier par le grand public, date des années 90. L’un des exemples les plus frappants concerne l’usage et surtout le mésusage des antibiotiques et leurs conséquences sur l’environnement. La sélection de souches résistantes parmi les bactéries pathogènes ou non est désormais établie. » Les recherches menées par l’Union européenne confirment la présence de métabolites d’antibiotiques dans les sources d’eau potable, en particulier en Allemagne. « En revanche, on ne connaît pas encore suffisamment les sources de pollution par lesquels transitent les antibiotiques. »
Les vecteurs de pollution sont en effet nombreux et divers, notamment selon les classes thérapeutiques et l’usage vétérinaire ou humain des molécules.
Toutes les classes médicamenteuses sont concernées. Ainsi, concernant les dosages, certaines molécules ont été relevées dans la nature de façon très régulière dans de nombreux pays, notamment des stéroïdes synthétiques (oestradiol et testostérone) utilisés dans de nombreux traitements hormonaux, des antidépresseurs (diazépam, amitriptyline), des analgésiques (ibuprofène, acétaminophène, acide acétylsalicylique), des hypolipémiants (gemfibrozil…) et, bien sûr, des antibiotiques (néomycine, chloramphénicol, tétracyclines).
Une étude a été publiée en mars 2003 par le laboratoire de physico- et toxicochimie des systèmes naturels de l’université de Bordeaux par Hélène Budzinski et Philippe Garrigues, chercheurs au CNRS. Elle concerne la recherche d’alkylphénols, d’hormones stéroïdiennes, d’antibiotiques, d’analgésiques et d’hypolipémiants dans l’estuaire de la Seine. « Au vu des différentes études reportées dans la littérature, il s’avère que quasiment toutes les classes médicamenteuses sont potentiellement présentes dans les écosystèmes aquatiques. Nous avons suivi la majorité de ces classes pour avoir une vision globale de la pollution potentielle », précise Hélène Budzinski. Les molécules retenues étaient la caféine, l’aspirine, l’ibuprofène, le kétoprofène, le naproxène, le diclofénac, la carbamazépine, l’imipramine, la doxépine, le gemfibrozil, le clofibrate et son métabolite majeur l’acide clofibrate, l’oestrone et l’oestriol. Cinq campagnes de prélèvement ont été réalisées, la première en mars 2002, puis, par intervalle de deux mois, dans des eaux de surface, des rejets de stations d’épuration et quelques sédiments. Seul le clofibrate n’a jamais été détecté. « On constate souvent que lorsque les produits ne sont pratiquement plus utilisés dans un pays, ils ne sont plus détectés dans la nature, soit parce qu’ils en sont totalement absents, soit parce que les concentrations sont si faibles qu’elles ne sont pas détectées. »
La caféine, retrouvée de façon importante (concentration moyenne en 4 prélèvements de l’ordre de 125 ng/l), est un cas un peu particulier. Considérée comme un traceur des rejets urbains, elle n’est pas seulement l’apanage des déchets issus des médicaments, elle est en effet largement consommée sous forme de café, de thé, de chocolat ou de cola. Quand on sait qu’une tasse de café apporte 100 à 150 mg de caféine, l’apport est loin d’être négligeable !
Quant à l’ensemble des autres composés, « ils ont tous été détectés à des concentrations allant de quelques ng/l au mg/l », explique Hélène Budzinski. Les concentrations sont globalement nettement plus fortes dans les rejets provenant des stations d’épuration que dans les prélèvements en pleine rivière. « Les concentrations diminuent dans le milieu naturel à la fois à cause de phénomènes de dilution mais aussi parce que certaines molécules sont dégradées. »
Forte concentration de carbamazépine.
Le protocole analytique se limitant à détecter les molécules présentes dans la gamme du ng/l, les hormones recherchées, présentes à des teneurs bien moindres en raison des posologies prescrites, n’ont été détectées qu’une fois à la sortie d’une des stations d’épuration. En revanche, l’aspirine a été détectée à des concentrations allant de 2 ng/l à 70 ng/l en rivière et de 4 à 200 ng/l à la sortie des stations d’épuration, l’ibuprofène de 2 à 400 ng/l en rivière et de 5 à 180 ng/l en sortie de stations d’épuration, et la carbamazépine de 6 à 100 ng/l en rivière et de 300 à 2500 ng/l en sortie de stations d’épuration. « Les rejets des stations d’épuration présentent des gammes de concentration assez étendues démontrant une grande variabilité des rejets dans le temps », conclut Hélène Budzinski.
La présence moindre de l’aspirine et du gemfibrozil peut s’expliquer par la grande réactivité de la molécule dans le premier cas et par son utilisation plus parcimonieuse dans le second. Par contre, le diclofénac, la carbamazépine, le kétoprofène peuvent présenter des concentrations très fortes. Cela pourrait s’expliquer par leur utilisation fréquente, par le fait qu’ils sont faiblement métabolisés mais aussi par la grande stabilité de ces molécules. Parallèlement, les produits les plus importants en quantité à la sortie des stations d’épuration ne sont pas forcément ceux retrouvés dans les rivières. Dans ce milieu on ne trouve plus d’ailleurs de composés vraiment prédominants. Par contre, on note des tendances saisonnières relativement marquées qui pourraient être liées aux variations de débit de la Seine au cours de l’année.
Quels risques pour les milieux naturels ?
Une fois posé le principe de pollution médicamenteuse de l’environnement, reste à savoir quels sont les risques potentiels. Une question d’autant plus épineuse que l’on est loin de connaître précisément la gamme des molécules et surtout les concentrations auxquelles elles sont présentes dans la nature. Diverses études concernant les hormones stéroïdiennes ont montré qu’elles pouvaient perturber le système sexuel de certains poissons à des concentrations de 0,1 à 1 ng/l. « Même à très faibles doses, les hormones ont un effet sur les organismes vivants, constate Jeanne Garric. On est aussi capable de mesurer au laboratoire les effets d’un bêtabloquant qui, à des concentrations seulement dix fois supérieures à celles enregistrées dans la nature, modifie la survie des organismes et diminue les facultés de reproduction de certains invertébrés. De même les anti-inflammatoires étudiés agissent sur la biologie des poissons et des invertébrés ». La carbamazépine représente également un risque non négligeable pour l’environnement. Les études ayant été pratiquées en laboratoire, on manque toutefois d’outils pour évaluer les risques sur l’environnement, d’autant que ces molécules peuvent interagir avec d’autres produits (pesticides, produits vétérinaires), présents en quantité beaucoup plus importantes.
« Nous avons désormais des méthodes d’analyse efficaces qui nous permettront sans doute de savoir si la situation est alarmante. Aujourd’hui nous ne disposons pas de résultats exhaustifs pour répondre à cette question. Il faudra aussi travailler sur la biodégradation des médicaments, améliorer notamment les technologies utilisées dans les stations d’épuration, car c’est l’un des moyens de s’assurer que l’exposition sera minimale. Un programme européen consistant à évaluer les capacités de traitement des stations d’épuration est actuellement en cours », conclut Jeanne Garric.
A l’instar des produits industriels, l’industrie pharmaceutique devra-t-elle bientôt répondre à de nouvelles normes de protection de l’environnement pour obtenir une AMM ? « Depuis 1994, la démarche d’évaluation des risques est réglementée au niveau européen pour les substances chimiques, rappelle le Pr Claude Casellas, responsable d’une équipe de recherche à l’UMR Hydrosciences de Montpellier et qui coordonne le programme Enimed (Effets non intentionnels des médicaments). Les substances pharmaceutiques n’étaient jusqu’alors pas concernées, mais un texte est désormais en cours de réflexion. »
A RETENIR
La majorité des médicaments consommés en Europe se retrouve dans les rivières, apportés par les rejets des stations d’épuration.
Eau potable : selon des recherches européennes, des métabolites d’antibiotiques ont été retrouvés dans des sources d’eau potable.
Résistance : la sélection de souches résistantes parmi les bactéries est désormais établie.
Préoccupation majeure : l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale fait des risques liés aux déchets de médicaments une de ses priorités.
A retenir
Les effets sur la faune liés aux déchets de médicaments commencent à être mieux connus.
Alarme chez les alligators : c’est en Floride que les premiers effets perceptibles (pénis atrophiés, testicules mal formés…) ont été constatés sur des alligators et des tortues.
Gardons hermaphrodites : des gardons vivant dans la Tamise en aval des stations d’épuration présentent des caractéristiques mâles et femelles. Substances incriminées : les oestrogène des pilules.
Carpes au viagra : Période de frai repoussée de deux mois, agressivité vis-à-vis des nageuses… Des chercheurs américains ont accusé le Viagra. En fait, il s’agissait d’un canular.
« La pollution due aux rejets d’usines est infime »
Paul Isnard, est responsable de l’hygiène, de la sécurité et de l’environnement des produits chez Aventis. « Le devenir des médicaments dans la nature et leur éventuelle toxicité pour l’environnement est bien sûr un sujet qui nous préoccupe. Les molécules issues des produits pharmaceutiques que l’on trouve dans la nature proviennent pour la majeure partie de leur utilisation, mais aussi pour une part beaucoup plus infime des rejets des usines de production ou de formulation et des médicaments non utilisés qui sont jetés à la poubelle par les patients. Sur ces deux derniers points, l’industrie pharmaceutique a déjà beaucoup amélioré la situation au niveau des rejets des usines et en organisant la collecte des médicaments inutilisés via Cyclamed. Plus globalement, nous participons aux travaux d’évaluation des risques et menons parallèlement des essais pour évaluer la biodégradabilité de nos produits et mieux connaître leur toxicité potentielle sur la faune et la flore. Les essais que nous menons sont d’ailleurs mentionnés sur les fiches de sécurité des médicaments que nous commercialisons. Actuellement, la réglementation des AMM est très floue sur ce point et indique seulement en une phrase que nous devons préciser les risques pour l’environnement mais elle ne dit pas comment. Un texte européen est à l’étude et a été soumis au LEEM. Nous ne sommes bien sûr pas opposés à ce que la réglementation soit plus précise sur ce sujet, à condition que l’on applique aux médicaments des conditions similaires à celles posées pour les produits chimiques. »
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