Des pistes et des postes

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Publié le 9 janvier 2016
Par Chloé Devis
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Que les raisons du départ soient d’ordre personnel ou professionnel, aller exercer la pharmacie hors des frontières hexagonales nécessite une bonne dose de motivation… et d’anticipation.

Les pharmaciens s’inscrivent-ils dans la tendance forte qui pousse de plus en plus de Français à s’expatrier ? Difficile d’avoir une vision d’ensemble, mais le Conseil de l’Ordre indique avoir « reçu, en 2015, 45 demandes d’attestation de la part de pharmaciens désireux d’obtenir une autorisation d’exercer dans un autre pays, contre 40 en 2014 et 38 en 2013 ». Selon les statistiques européennes établies entre 1994 et 2014, 425 diplômés français au total exercent dans un autre pays de l’Espace économique européen (EEE). Au Québec, 136 demandes de reconnaissance des qualifications professionnelles ont été étudiées et acceptées entre 2011 et 2014.

« Au vu des enjeux, il faut commencer, avant de partir, par bien définir ses motivations et son projet tant sur le plan personnel que professionnel, avertit François Barry Delongchamps, président délégué de l’Union des Français de l’étranger. La durée envisagée du séjour, la destination et la langue que l’on y parle, le fait de partir seul ou en famille sont autant de paramètres à prendre en compte. » En tant que pharmacien, il faut s’interroger sur la capacité à s’adapter à un mode d’exercice, un système de santé et un contexte économique forcément différents. « Il faut être prêt à accepter l’éloignement et un autre contexte culturel, même quand il est francophone », insiste Thomas Weil, pharmacien expatrié à Montréal (lire aussi l’encadré ci-dessous). Le bon réflexe ? Effectuer un voyage de reconnaissance avant d’arrêter sa décision.

Un exercice à géométrie variable en Europe

Comme tous les professionnels de santé, les pharmaciens français peuvent travailler librement dans l’ensemble des Etats membres de l’Europe. Conformément à la directive 2005/36/CE du Parlement européen, ils bénéficient de la reconnaissance automatique de leurs qualifications professionnelles au sein de l’ensemble de l’EEE et en Suisse. L’autorisation d’exercer est délivrée au terme d’une procédure de reconnaissance effectuée auprès de l’autorité compétente du pays concerné.

Variable selon les Etats, la liste des documents à fournir comprend notamment une attestation de conformité de diplôme français aux dispositions communautaires, une preuve d’inscription ou de radiation* à l’Ordre, attestant également de l’absence de sanction disciplinaire, à demander à la section dont l’on dépend. Quant aux jeunes diplômés non inscrits au tableau de l’Ordre, ils doivent demander une attestation destinée à certifier l’absence de sanction disciplinaire, directement auprès du Conseil national. A noter qu’à compter du 18 janvier 2016, la mise en œuvre d’une carte professionnelle européenne (CPE) simplifiera la démarche au moyen d’une procédure électronique standardisée. Autre voie ouverte par la directive 2005/36/CE, le régime de la libre prestation de services permet aux pharmaciens d’exercer « temporairement et occasionnellement » dans un autre pays européen que celui d’origine. Il faut être établi dans son pays d’origine et inscrit au tableau de l’Ordre pour effectuer sa demande auprès de l’autorité compétente du pays d’accueil.

Si l’harmonisation est effective en ce qui concerne le socle de formation des pharmaciens au sein de l’Europe, les conditions d’exercice demeurent encore diverses, à commencer par l’installation des officines. Sur 28 Etats membres, 18 la réglementent, en faisant appel en majorité à des critères géodémographiques, comme en France. Ainsi en Italie, une pharmacie doit desservir au moins 3 300 habitants, la distance minimale entre pharmacies étant de 200 mètres.

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En revanche, en Grande-Bretagne, les demandes d’ouverture de pharmacie font l’objet d’un « market entry test » visant à empêcher des implantations dans des endroits déjà bien desservis. Sur le plan des services, le décalage est notable aussi entre les pharmaciens du Royaume-Uni qui pratiquent toute la palette des entretiens thérapeutiques et des mesures de facteurs physiologiques, mais aussi la vaccination – assurée également par leurs homologues suisses, suédois, portugais, et les Belges, qui, eux, se limitent au suivi des asthmatiques. Autre exemple, les gardes nocturnes sont inconnues des officines italiennes et néerlandaises.

Au Québec, il faut prouver ses compétences

Le rêve américain est à la portée des Frenchies… dans sa version francophone, en vertu de l’accord de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles des pharmaciens entre la France et le Québec, signé en 2009. Mais la partie n’est pas gagnée d’avance ! Il faudra bien sûr justifier de son diplôme et fournir les preuves d’inscription ou de radiation à l’Ordre, ou une attestation dite « d’inscriptibilité » émise par l’Ordre pour ceux n’ayant encore jamais été inscrits.

Ensuite, deux voies se présentent pour être autorisé à exercer. La première consiste à suivre et valider un programme de formation sur 16 mois, et d’effectuer un stage d’une durée de 600 heures sur une période comprise entre 15 semaines et un an – à moins de justifier d’une équivalence sous la forme d’acquis de l’expérience. La seconde permet au demandeur de démontrer ses compétences professionnelles en réussissant la partie II de l’examen d’aptitude du Bureau des examinateurs en pharmacie du Canada (ECOS), qui se déroule en mai et en novembre.

Cette démarche doit toutefois être complétée par une formation sur la législation et le système de santé québécois, et un stage de 600 heures. C’est l’option choisie par le Français Thomas Weil: « Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai travaillé comme assistant technique, l’équivalent de préparateur, au Québec pendant quatre mois jusqu’à mon examen, ce qui m’a beaucoup aidé pour réussir les épreuves dans le domaine du conseil officinal, des conditions de dispensation… »

* La radiation est parfois demandée pour exercer à l’étranger.

Un pharmacien heureux dans la Belle Province

Thomas Weil « ne regrette pas » d’avoir pris son envol pour Montréal en 2013. Son initiative a été facilitée par des contacts solides sur place. Ainsi, son parrainage par un Canadien lui a permis, avec son diplôme, d’obtenir rapidement un visa d’immigration. Promu pharmacien dans l’officine où il avait commencé comme « assistant technique », il savoure l’exercice à la québécoise : « Même si nous travaillons pour des chaînes, nous sommes davantage considérés comme des professionnels de santé à part entière aussi bien par les patients que par le monde médical. L’acte pharmaceutique met l’accent sur la production de soins, et le conseil sur le bon usage du médicament prime sur la démarche commerciale, car il existe une vraie étanchéité entre l’officine et le libre-service. Enfin, la rémunération, qui prévoit des honoraires de dispensation pour tous les types d’actes, est plus avantageuse qu’en France. »

Comment procéder

Parmi les pistes à explorer pour trouver un poste, outre l’agence pour l’emploi du pays concerné, on peut citer les sites Internet spécialisés dans l’emploi international, les chambres de commerce, les revues professionnelles et instances représentatives des pharmaciens dans le pays d’accueil,les associations d’expatriés…, sans oublier d’activer, le plus en amont possible, des contacts sur place. Le Pôle emploi international, qui dispose également d’offres, est un interlocuteur utile pour préparer sa candidature en fonction des normes du pays ciblé.

En dehors de l’Europe et du Québec, « il n’existe pas de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles. Les processus conduisant à l’autorisation d’exercer diffèrent d’un pays à l’autre, c’est pourquoi il faut s’adresser directement à l’autorité compétente du pays d’accueil », indique-t-on à l’Ordre. A titre d’exemple, en Israël, le candidat doit passer un examen d’équivalence en hébreu qui ouvre droit à l’obtention d’un permis de travail temporaire, sachant qu’il existe un programme spécifique d’accompagnement des pharmaciens français.