VICES ET VERTUS D’UN BEST-SELLER

Réservé aux abonnés
Publié le 10 novembre 2012
Par Caroline Coq-Chodorge
Mettre en favori

Sévèrement mises en cause par le « Guide des 4 000 médicaments », les autorités sanitaires et la communauté médicale multiplient les initiatives pour améliorer l’information sur les médicaments à destination des usagers comme des professionnels de santé.

Une base de données publique, un groupe de travail sur les dangers « d’une information ne reposant pas sur des bases scientifiques », un nouveau guide en préparation… S’il est décrié, le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux de Philippe Even et Bernard Debré n’en provoque pas moins des réactions en chaîne de la part des autorités publiques et de la communauté médicale. Ecrit en « huit mois par deux universitaires », ce guide aurait dû l’être « depuis 25 ans par les médecins, les experts et les centaines de fonctionnaires de nos agences du médicament et de santé », affirment ses auteurs. Agences au demeurant jugées « notoirement incapables et souvent corrompues », tandis que les médecins se comportent en « prescripteurs forcenés » et que les patients achètent des « molécules au Caddy », carte Vitale en main.

« Ils ont soulevé une pierre sans savoir ce qui se trouvait dessous. Il est plus facile de défaire que de faire », soupire Jean-François Bergmann, PU-PH de médecine interne à l’hôpital Lariboisière à Paris et vice-président de la commission d’AMM à l’ANSM (lire encadré p. 9). « Dessous », il y a un système de contrôle du médicament déjà traumatisé par l’affaire du Mediator.

Une base de données publique « rudimentaire »

« Je ne suis pas du tout convaincue par ce livre, mais il démontre l’appétit d’information des Français », a déclaré au JDD Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. Pour satisfaire cet « appétit » est créée par l’ANSM, sous l’égide du ministère, une base d’information publique sur les médicaments qui doit être mise en ligne fin mars 2013. Ce n’est pas une réplique, mais la mise en œ;uvre de l’article 8 de la loi Bertrand renforçant la sécurité sanitaire du médicament, rappelle Bernard Delorme, chef du pôle information des professionnels et du public à l’ANSM. « Nous y travaillons depuis le printemps dernier », assure-t-il.

Cette base recensera dans un premier temps les médicaments avant d’être élargie aux dispositifs médicaux. « Exhaustive », elle doit réunir les données issues des AMM délivrées par l’ANSM (extrait, RCP et notice), complétées par les niveaux d’ASMR et de SMR délivrés par la HAS, et par les données sur les prix et les taux de remboursement de l’Assurance maladie. Des liens renverront vers les avis de la Commission de la transparence de la HAS. « Les modes d’interrogation de la première version seront assez rudimentaires », convient Bernard Delorme. « Des développements futurs de l’outil de recherche sont prévus » : il devrait pouvoir renseigner « par classe thérapeutique, par maladie, voire même par symptômes ». Mais pour Bernard Delorme, à travers cette base de données les institutions « s’engagent » sur la fiabilité et l’actualité de leurs informations.

Publicité

Gilles Bouvenot se réjouit de cette « concrétisation de la promesse de fabrication d’une banque de données ». Ce n’est pas le président de la Commission de la transparence qui parle, mais celui d’un groupe de travail lancé conjointement par les Académies de médecine et de pharmacie sur « les risques que peut présenter, pour le public, une information ne reposant pas sur des bases scientifiques sérieuses ». Comprenez Internet ou deux illustres professeurs de médecine… Si elles refusent de répondre directement à Bernard Debré et Philippe Even, les Académies engagent une réflexion sur plusieurs questions polémiques soulevées par le guide : le processus précédant l’AMM « avec ses qualités et ses failles », « l’évaluation du bénéfice/risque et son évolution dans le temps », « le pourquoi des médicaments redondants et de ceux au service médical rendu de faible degré ». « Ce livre est une occasion que saisissent les Académies pour réagir sur des questions qui les préoccupent de longue date », assure Gilles Bouvenot.

La politique du médicament française sur la sellette

« Nous n’écrivons pas un contre-guide, nous voulons remettre en perspective des éléments de politique générale sur le médicament », se défend lui aussi François Chast, chef du service pharmacologie-toxicologie de l’Hôtel-Dieu et cosignataire d’un appel « pour une autre politique du médicament » rendu public, là encore, à la suite de la parution du Guide des 4 000 médicaments. Il prépare aux côtés d’une douzaine de PU-PH de l’AP-HP un ouvrage qui reviendra sur certaines « assertions graves » de Philippe Even et Bernard Debré, en particulier sur les statines, le cholestérol ou les antirétroviraux.

Toujours dans le sillage des professeurs Debré et Even, les auteurs se livreront également à une analyse critique de la politique du médicament française. « Les autorités sanitaires ne raisonnent qu’à partir des données d’AMM, qui sont constituées à partir des études des industriels du médicament », explique François Chast. Jean-François Bergmann, autre corédacteur de ce livre à paraître très bientôt, insiste sur « l’ancienneté de certaines AMM, qui ont parfois quarante ans. Le travail de remise à niveau est colossal ». Les sources d’information des PU-PH seront-elles plus actuelles et plus libres de tout lien d’intérêt ? « Nous ne prétendons pas être des prophètes du médicament. Nous publierons nos liens d’intérêt », explique François Chast. Parmi leurs sources se trouveront « les sociétés savantes, les grandes revues à comité de lecture, Prescrire, mais aussi la HAS et l’ANSM », énumère Jean-François Bergmann. « Nous aurons une méthode rigoureuse, scientifique, fondée sur la collégialité », complète André Grimaldi, chef du service de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière (Paris). Qui admet enfin : « Il nous faut répondre. A 200 000 exemplaires vendus, qui ne dit mot consent… »

L’information anglaise fondée sur une hiérarchie thérapeutique

« Jean-François Bergmann se promène avec sous le bras le British National Formulary », raconte Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence de la HAS. Le médecin interniste et vice-président de la commission d’AMM à l’ANSM plaide en effet pour la création d’un « formulaire national de thérapeutique » sur le modèle britannique. Le BNF est une publication associant les autorités sanitaires et les sociétés savantes des professions de santé (médecins, pharmaciens, dentistes et infirmiers) remis à jour deux fois par an. « Clair, concis et accessible », il recense les médicaments les plus efficaces et ceux qui sont peu adaptés. « En France, cette hiérarchie de la thérapeutique n’existe pas, explique Jean-François Bergmann. Les autorités françaises, en particulier la HAS, ne veulent pas s’y risquer ». Ce que conteste Gilles Bouvenot : « Les avis de la Transparence hiérarchisent ». Même s’il convient cependant qu’ils sont peu accessibles : « Qui va écrire ce formulaire, à partir de quelles données ? Est-ce que ce ne sera pas un livre de plus sur le bureau du praticien ? »