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Une révolution qui n’est pas… artificielle
Aide à la décision diagnostique et thérapeutique, médecine prédictive, suivi des patients à distance, pharmacologie personnalisée… Le champ d’exploration de l’intelligence artificielle en médecine semble infini. Mais pour quels usages et quels bénéfices pour le système de soins ?
L’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur la médecine de demain reste compliqué à évaluer, comme le reconnaît le Dr Alain Livartowski, conseiller médical à la direction des data de l’Institut Curie. « Si de nombreux laboratoires de recherche travaillent sur le sujet à travers le monde, force est de constater que l’IA reste à ce jour très peu utilisée en clinique », rappelle ce médecin oncologue qui préside aussi le conseil scientifique du groupement d’intérêt public Health Data Hub.
Les premiers cas d’usage se concentrent pour l’heure dans la sphère de l’aide à la décision diagnostique et thérapeutique. « Sur une radiographie, les algorithmes d’IA sont capables de mettre le doigt sur de petits détails difficiles à voir à l’œil nu pour un radiologue, souligne Hugues Martin, responsable de la communauté e-santé d’Idate DigiWorld, un think tank qui réalise des études prospectives pour ses membres : de grands industriels, des opérateurs télécoms ou encore des acteurs du numérique. Milvue, une start-up francilienne, a par exemple développé, pour les services de radiographie d’urgence, des algorithmes capables de détecter sept pathologies osseuses et pulmonaires en moins de 1 minute, d’indiquer le niveau de priorité de l’examen à réaliser par le radiologue et de préparer le compte rendu. »
Une IA de rupture
Pour Alain Livartowski, la plupart des modèles mathématiques actuellement utilisés relèvent de ce qu’il appelle l’IA de confort. « Ces algorithmes d’aide à la décision se distinguent le plus souvent par une meilleure reproductibilité. Ils permettent aussi d’éviter les erreurs ou les biais, et font gagner un temps précieux aux médecins. Mais ils se contentent de faire mieux, et plus rapidement, ce que l’humain sait déjà faire. L’IA de prochaine génération sera une IA de rupture avec des machines capables d’accomplir des choses que l’humain ne sait pas faire : poser certains diagnostics, prédire l’efficacité ou la résistance à un traitement… »
Dans la sphère du diagnostic, des laboratoires de recherche travaillent par exemple sur le mésothéliome, une tumeur assez rare de la plèvre que les meilleurs spécialistes ne parviennent toujours pas à pronostiquer. « Demain, des algorithmes nourris à l’IA pourront peut-être déterminer si la tumeur d’un patient est de bon ou mauvais pronostic », estime Alain Livartowski. Dans l’univers de la médecine prédictive, ces théories et techniques suscitent aussi beaucoup d’espoirs. « En génétique médicale, la start-up GenOmnis s’est appuyée sur la bioinformatique et l’IA pour développer deux logiciels d’interprétation des mutations génétiques, note Marguerite Leenhardt, lab manager du riality Lab, un lieu créé par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Marseille (Bouches-du-Rhône) pour aider les acteurs de la métropole à comprendre, à s’approprier et à expérimenter les technologies de l’IA. Ces programmes identifient les sites d’épissage accepteurs et donneurs dans les molécules d’ARN et combinent les signaux identifiés pour prédire le caractère pathogène des mutations, avec des performances sans équivalent sur le plan de la rapidité, de la spécificité et de la sensibilité. »
L’IA commence aussi à être mise à contribution pour anticiper certains événements cliniques. Depuis cinq ans, le laboratoire Amgen et la start-up Owkin mènent de concert des travaux pour savoir si le machine learning peut prédire plus efficacement le risque cardiovasculaire. Les résultats d’une étude conduite sur 13 000 patients en prévention secondaire, publiés dans la revue scientifique European Heart Journal, sont prometteurs. « Nous avons pu démontrer que notre modèle de prédiction, qui embarque une vingtaine de variables, était deux fois plus performant à données égales en matière de précision que les calculateurs de risque mis actuellement à disposition des cliniciens, assure Adrien Rousset, responsable des diagnostics digitaux chez Amgen. Et les travaux menés sur près de 100 000 patients dans différentes aires thérapeutiques tendent à confirmer l’intérêt de ces nouvelles technologies. »
Des traitements personnalisés
L’IA devrait aussi ouvrir la voie au développement de traitements plus efficaces et personnalisés. « Combinée aux données cliniques, elle pourrait apporter une réponse à la question que se posent tous les laboratoires pharmaceutiques : est-ce que le patient va répondre au traitement, note Adrien Rousset. Demain, grâce à l’analyse plus poussée des biomarqueurs, nous serons en effet en mesure de proposer des protocoles thérapeutiques encore plus personnalisés aux patients atteints de cancer. » Le dispositif médical de boucle fermée de Diabeloop, qui calcule la quantité d’insuline dont les patients diabétiques de type 1 ont besoin, s’appuie lui aussi sur l’IA. « Notre solution abrite un algorithme autoapprenant qui automatise et personnalise la délivrance d’insuline, confie Marc Julien, le directeur général délégué de Diabeloop. Nous avons également développé un simulateur afin d’évaluer notre algorithme avant qu’il ne soit testé au cours d’essais cliniques sur les patients. » La personnalisation des traitements est aussi au cœur des travaux menés par l’équipe de Joseph Ciccolini à la faculté de pharmacie d’Aix-Marseille Université. « Partant du principe que toutes les tumeurs cancéreuses sont différentes, des chercheurs spécialisés en pharmacocinétique et en pharmacologie clinique ont développé un modèle mathématique complexe, fondé sur des méthodes computationnelles et algorithmiques, qui permet d’individualiser les choix et les schémas posologiques en fonction de la typologie de chaque tumeur et du profil de chaque patient », note Marguerite Leenhardt.
Le déploiement de ces traitements personnalisés pourrait d’ailleurs bousculer le quotidien des officines. « Si on arrive un jour à une pharmacologie personnalisée, il faudra que la logistique des pharmacies soit capable de traiter ces nouveaux flux, pronostique Hugues Martin. On peut aussi imaginer que, demain, les officines contribueront directement ou indirectement à alimenter les modèles d’IA en leur remontant les données de stocks qu’elles écoulent. »
PERFORMANCES ET ÉTHIQUE
Dans une étude sur les impacts de l’intelligence artificielle (IA) en médecine, Iqvia a identifié trois grands bénéfices. « En automatisant des tâches chronophages et en facilitant l’accès au dépistage, l’IA améliorera la performance et la qualité des soins, détaille Stéphane Sclison, senior principal d’Iqvia. Elle permettra également d’optimiser l’organisation des soins et de gagner en efficience en traitant davantage de patients avec des protocoles thérapeutiques personnalisés. In fine, cela aura des répercussions positives sur la qualité de vie des patients, et cela générera de substantielles économies pour le système de santé. » Cependant, il ne faut pas oublier les questions éthiques que ces innovations posent, comme le précise Hugues Martin. « Dans un rapport publié l’année dernière, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé le cadre, rappelle le responsable de la communauté e-santé d’Idate DigiWorld. Le déploiement de l’IA ne devra pas se faire au détriment de l’être humain, qui devra conserver son libre arbitre. Les algorithmes devront également contribuer au bien-être et à la sécurité des patients, favoriser l’inclusion, et apporter des garanties en matière de transparence sur les méthodes de calcul utilisées. Il faudra en effet que les acteurs de cette industrie soient en capacité de rendre des comptes en cas d’erreur pour que les médecins ne soient pas désignés seuls responsables. »
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