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La révolution médicale
Aujourd’hui, de plus en plus de nouveaux médicaments sont issus des biotechnologies. Demain, grâce à eux, l’espérance de vie devrait augmenter de plusieurs années. Une révolution thérapeutique est en marche qui devrait également bouleverser profondément le paysage industriel.
Pas une semaine ne se passe sans que les médias ne se fassent l’écho des dernières avancées en matière de génomique, de protéomique, de thérapie génique… mais aussi des controverses sur le clonage humain ou encore le maïs transgénique. Pour Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux Affaires européennes, auteur du rapport « Relever le défi des biotechnologies » publié en mars dernier, nous sommes incontestablement en train de vivre une véritable révolution dans le domaine de la santé qu’il n’est pas exagéré de comparer à celle initiée par Pasteur à la fin du xixe siècle. Une analyse confirmée par Philippe Pouletty, président de l’association France Biotech, qui indiquait, en février dernier, dans le cadre de la présentation du plan Biotech 2003-2007, que « grâce aux biotechnologies, la qualité de vie et l’espérance de vie devraient augmenter de plusieurs années dans les vingt prochaines années dans les pays développés ».
Si plusieurs définitions des biotechnologies coexistent, celle qui a été adoptée par les Américains, pionniers en la matière, semble la plus adaptée. Ainsi, il s’agit de « l’ensemble des techniques utilisant des éléments vivants, matériels cellulaires, subcellulaires ou moléculaires, pour produire ou modifier des éléments ou organismes d’origine végétale ou animale ». De fait, elles correspondent à des procédures particulières de fabrication et non à des produits déterminés. Leur champ d’application est très vaste mais c’est incontestablement la santé qui est la plus concernée, réalisant près de 90 % du chiffre d’affaire du secteur.
Quatre objectifs majeurs. Si les produits issus des biotechs ne sont pas tous une alternative à la chimie traditionnelle, ils offrent toutefois de nouvelles perspectives pour la recherche, le développement et la production de médicaments, vaccins et produits de diagnostic. Ils permettent d’atteindre quatre grands objectifs. Le premier est bien sûr de prévenir, traiter et guérir des maladies qui ne répondent pas aux thérapies conventionnelles. Le deuxième est de développer des médicaments plus spécifiques et plus efficaces tout en diminuant les effets indésirables. Produire des protéines humaines (insuline, érythropoïétine…) en grande quantité afin de pouvoir traiter certaines carences ou désordres biologiques et enfin éliminer les risques de contamination par des agents pathogènes en évitant d’avoir recours à des matières premières d’origine humaine ou animale (facteur antihémophilique VIII, hormone de croissance…) sont les deux autres objectifs. Aujourd’hui, plus de la moitié des nouveaux médicaments sont issus des biotechs, selon Amgen. Près de 140 médicaments de ce type ont déjà reçu une AMM aux Etats-Unis (dont plus de 50 % les cinq dernières années) et plus de 350 spécialités sont dans les derniers stades de développement clinique. Les produits développés apportant le plus souvent une amélioration significative du service médical rendu, leur impact sur un plan de santé publique est majeur.
Antithrombotiques, antiviraux et hormones. Selon Freedonia Group, le chiffre d’affaires mondial des produits pharmaceutiques dérivés des biotechs devrait atteindre 28,6 milliards de dollars en 2004. Trois groupes de produits devraient en réaliser l’essentiel : ceux agissant sur la fluidité du sang, les antiviraux et les hormones et assimilés (tels que les analogues de l’insuline). Il faut dire que certains médicaments issus des biotechs sont déjà des blockbusters, comme par exemple l’érythropoïétine (Eprex), développée par Amgen et commercialisée par Johnson #amp; Johnson. En 2001, ses ventes ont dépassé les 3,4 milliards d’euros.
Avec près de 1 500 entreprises dont plus de 340 cotées en Bourse, une capitalisation boursière de plus de 220 milliards d’euros en mai 2002 (350 milliards en mai 2000) et près de 180 000 emplois directs, les Etats-Unis sont les leaders incontestés du secteur. Mais hormis une douzaine de sociétés qui emploie plus d’un millier de personnes, le secteur des biotechs est surtout composé de PME, comprenant quelques dizaines de salariés. Si le nombre de sociétés reste stable, on observe des mouvements rapides de créations d’entreprises puis de regroupements et fusions. Ainsi, lors du premier semestre 2002, huit des vingt-cinq premières sociétés ont annoncé ou finalisé une fusion dans le top 50 des biotechs ! Les montants échangés sont particulièrement élevés (Amgen #amp; Immunex : 16 MdEuro(s) ; Millenium #amp; Cor Therapeutics : 2 MdEuro(s) ; MedImmune #amp; Aviron : 1,5 MdEuro(s)). Sur un plan économique, seule une minorité de sociétés génère un chiffre d’affaires suffisant pour permettre le développement des infrastructures nécessaires au développement, à la fabrication et à la commercialisation de nouveaux produits.
L’industrie fait son marché. En parallèle, les grands groupes pharmaceutiques sont dans l’obligation de commercialiser entre trois et quatre médicaments innovants majeurs par an pour maintenir leur croissance et faire face à la prochaine mise dans le domaine public de nombreuses molécules. Or, avec un taux moyen d’une molécule nouvelle développée en interne par an, ces groupes n’ont pas d’autre solution que de recourir à une croissance externe.
Les nouvelles techniques de recherche, la multiplication des prestataires de services – les CRO (contract research organizations) et les CMO (contract manufacturing organizations) – , l’augmentation du nombre de produits sur le marché et la probable segmentation du marché conduisent les groupes pharmaceutiques à s’orienter vers des structures moins intégrées et plus innovantes. L’industrie pharmaceutique apparaît donc comme un partenaire privilégié des sociétés de biotechnologies, à même de permettre le véritable développement de ce marché encore très fragile. Et qui devrait très vite se concentrer car les « big pharmas » cherchent des partenaires capables d’offrir une large palette de compétences dans un domaine thérapeutique donné. Il faudra également surmonter l’écueil de la culture, car celle des géants de la pharmacie, traditionnellement issus de l’industrie chimique, est diamétralement opposée à celle des biotechs : domaines d’activités différents, aversion au risque, procédures hypercentralisées, processus de décision peu rapides, vision mondiale des marchés… Bref, la collaboration, si elle peut être fructueuse, s’apparente souvent au mariage entre la raison et la passion.
Du côté de l’industrie pharmaceutique française, l’approche est pragmatique. Pour Patrick Tricoli, directeur de la valorisation de l’innovation chez Sanofi-Synthélabo, les biotechnologies peuvent apporter une vaste panoplie d’outils permettant, en ne changeant pas le coeur de métier du groupe pharmaceutique, d’aller plus vite, de diminuer les taux d’échec et de développer de nouveaux concepts. C’est cet aspect qui a été à l’origine des accords de partenariat entre Sanofi-Synthélabo et une poignée de sociétés de biotechnologies. Ce groupe, dont le métier est basé sur plus de 40 années de connaissance de la chimie, n’envisage cependant pas de s’impliquer dans l’immédiat dans des programmes de thérapie génique ou de production importante de protéines.
Retard français. Selon Ernst #amp; Young*, la France se situerait au troisième rang européen, derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les sociétés créées au début des années 80, dont les plus connues sont Genset et Transgène, n’ont pas atteint leurs objectifs et n’ont pas permis aux investisseurs d’avoir le retour escompté. Genset a d’ailleurs récemment été racheté par le groupe suisse Serono. Mais une nouvelle génération d’entreprises (Cerep, NicOx, Hybrigenix, Diatos, IDM…) permet à la France de rattraper peu à peu son retard.
L’implantation de filiales de groupes étrangers permet aussi de combler un déficit industriel. Avec plus de 240 sociétés actives, le nombre de sociétés de biotechnologies localisées en métropole a doublé ces quatre dernières années. On compte également à travers l’Hexagone huit génopoles avec chacun des axes de spécialisation. Si elles ne rivalisent pas en taille avec leurs homologues américaines, de nombreuses sociétés françaises connaissent une croissance harmonieuse. Points communs : elles se sont défini une cible d’activité précise. L’expérience montre en effet qu’il vaut mieux se focaliser sur un domaine thérapeutique étroit, en tentant d’atteindre une position de leader sur le marché mondial pour un produit, plutôt que de mener plusieurs projets à risque en parallèle, en espérant que l’un d’entre eux aboutira.
Solidarité nationale. Cette dynamique résulte de profondes modifications du paysage économique français. L’efficacité du transfert de technologies et de l’essaimage de la recherche issue des laboratoires publics a été améliorée (grâce à la loi sur l’innovation de juillet 1999), même si beaucoup de chemin reste encore à parcourir. En effet, la viabilité économique des projets doit encore être renforcée. Le rôle des structures d’accompagnement (incubateurs, INSERM Transfert, Catalyseur Centrale-ESSEC…) reste donc primordial même si l’accès aux capitaux devient moins problématique, grâce aux fonds d’investissements créés en 2000 et l’accès aux capital-risqueurs. Signe qui ne trompe pas, le seul secteur à afficher une croissance des montants investis (+ 15 %) lors du premier semestre 2002 est celui de la santé/biotech avec 60 millions d’euros investis. La part relative de ce secteur ayant triplé en deux ans, passant de 8 % à 24 %.
Le financement reste cependant toujours en deçà des attentes des industriels. Parmi les mesures de soutien demandées, les sociétés réclament des investissements (et non des subventions) de la part de l’Assurance maladie dans le cadre du fonds « Sciences de la vie ». Accessoirement, cette activité offrirait, selon les auteurs de cette proposition, une rentabilité financière comprise entre 15 et 20 % par an…
De son côté, Jean-François Mattéi se dit conscient que les pouvoirs publics doivent faire rapidement de nombreux efforts en faveur des biotechnologies (lire encadré p. 30).
Autre problème émergent : celui du coût pour la collectivité. Les médicaments issus des biotechnologies peuvent être scindés en deux grandes catégories : les médicaments destinés au traitement des maladies orphelines et ceux qui sont destinés à des pathologies plus courantes. La problématique du coût de ces médicaments est, tant du fait du petit nombre de malades traités que des enjeux éthiques, très particulière. Le traitement de certaines pathologies orphelines peut en effet dépasser quelques centaines de milliers d’euros par an et par patient. Ce prix peut paraître démesuré à certains. Cependant, et comme l’a rappelé le sénateur Huriet lors des premières Rencontres françaises sur les médicaments orphelins organisées en septembre, « il faut considérer ces dépenses comme un acte de solidarité nationale, les coûts étant répartis sur un petit nombre de patients ». Avec en toile de fond la volonté d’éviter de sombrer dans les dérives eugéniques qui ne manqueront pas de surgir lorsque les diagnostics préimplantatoires se généraliseront.
Pour les autres médicaments, la problématique des coûts est la même que pour le reste de l’industrie pharmaceutique. Selon Patrick Tricoli, « un des dangers est d’adopter un comportement différent en fonction de l’origine des produits. L’industrie pharmaceutique et les sociétés de biotechnologies ont en effet la même finalité : mettre sur le marché des médicaments innovants répondant à des besoins médicaux non satisfaits. De plus, les payeurs restent les mêmes ».
Vers une médecine individualisée. Du fait des coûts de développement et de la segmentation des marchés, les prix de revient des médicaments issus des biotechnologies seront de plus en plus élevés. Si la quasi-totalité des acteurs considère que l’innovation a un coût, nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale. Ainsi, si les sociétés de biotechnologies n’ayant pas encore de produits sur le marché font le pari d’un remboursement décent de leurs futurs médicaments, les organismes payeurs ne semblent pas aujourd’hui intégrer cette problématique. Patrick Tricoli estime qu’en l’absence d’une concertation rapide, le marché pharmaceutique pourrait, dans un futur proche, connaître une situation catastrophique tant au niveau de l’équilibre financier des structures que pour la situation du secteur en Europe.
Reste encore une question en suspens. Celle de l’impact des biotechnologies sur la distribution des médicaments. Actuellement, la distribution en ambulatoire de certains de ses produits se heurte, sur un plan purement pratique, aux propriétés physicochimiques des molécules. Ainsi les produits biologiques imposent des conditions de manipulation et de conservation strictes. Les voies d’administration et la nature même de ces substances imposent une administration sous surveillance. Donc le plus souvent à l’hôpital. Cependant, et c’est déjà le cas pour certaines molécules, des traitements en dehors du circuit hospitalier classique restent envisageables.
Autre conséquence probable du développement de ce secteur : l’évolution d’une médecine de « masse », fondée sur une approche de la maladie, vers une médecine plus individualisée. Une telle approche ne pourra faire l’économie d’une connaissance individualisée des patients. Le pharmacien d’officine, s’il parvient à assurer une traçabilité de l’acte pharmaceutique et à accompagner ses actes d’un conseil de qualité, devrait avoir – du fait de sa position centrale parmi les différents acteurs de santé – un rôle primordial.
A retenir
Selon la définition américaine, les biotechnologies sont « l’ensemble des techniques utilisant des éléments vivants, matériels cellulaires, subcellulaires ou moléculaires, pour produire ou modifier des éléments ou organismes d’origine végétale ou animale ».
Le chiffre d’affaires mondial des produits pharmaceutiques dérivés des biotechnologies devrait atteindre 28,6 milliards de dollars en 2004.
La moitié des nouveaux traitements arrivant sur le marché est issue des biotechnologies, selon Amgen.
Avec près de 1 500 entreprises spécialisées biotech, les Etats-Unis sont les leaders incontestés du secteur.
En Europe, en termes de nombre de laboratoires, la France (259) est troisième derrière l’Allemagne (540) et le Royaume-Uni (430).
L’épopée des biotechnologies
Voici quelques dates clés dans l’histoire des biotechnologies depuis la publication, en 1953, dans le magazine « Nature », des travaux de Francis Crick et James Watson décrivant la structure en double hélice de l’ADN. – 1960/68 Déchiffrage du code génétique.
– 1971 Première synthèse complète d’un gène.
– 1973 Clonage du premier gène d’origine animale.
– 1975 Moratoire visant à encadrer
les expériences sur l’ADN recombinant (conférence d’Asilomar en Californie). Production
des premiers anticorps monoclonaux.- 1978 Production d’insuline recombinante.
– 1981 Introduction d’un gène humain, codant pour un interféron, dans une bactérie.- 1983 Les Etats-Unis adoptent l’Orphan Drug Act qui, en conférant une exclusivité commerciale de sept années pour les médicaments orphelins, favorisera l’essor des leaders du secteur des biotechnologies.- 1987 Le Bureau des brevets américain rend brevetables « les organismes vivants multicellulaires non naturels et non humains, incluant les animaux ».- 1988 La première « oncosouris », génétiquement modifiée, fait l’objet d’un brevet.
– 1990 Une coalition internationale lance le programme Human Genome Project. French Anderson réussit la première thérapie génique.
– 1993 Deux petites associations professionnelles fusionnent et donnent naissance à
la Biotechnology Industry Organization (BIO). Plus de 1 000 sociétés, issues de 34 pays, en font aujourd’hui partie.
– 1997 Naissance – très médiatisée – de la brebis Dolly en Ecosse.- 1998 Elaboration des premières lignées de cellules embryonnaires humaines. Premières ébauches de la cartographie du génome humain.- 2000 Le 14 mars, MM. Clinton et Blair ont appelé, tout en réaffirmant le principe de la protection intellectuelle des inventions à partir des gènes, à une collaboration scientifique mondiale afin d’aboutir à un libre accès des données du génome humain. Suite à cette annonce, les valeurs du secteur s’effondrent.
– 2001 Publication de la cartographie du génome humain.- 2002 Gene Bridges obtient un brevet pour sa technologie qui permet enfin de cloner des gènes de toutes tailles et de tous types, chose qui n’était pas possible jusqu’à présent.
Jean-François Mattéi soutient la recherche
« La France n’est que le troisième pays européen dans le domaine des biotechnologies. Notre position de leader dans le domaine de l’industrie pharmaceutique doit nous permettre de progresser encore. Nous y travaillons et vous pouvez compter sur le ministère de la Santé pour avoir un rôle moteur dans ce domaine », a déclaré le ministre, en septembre, à l’occasion de l’inauguration des nouveaux locaux marseillais de la société Trophos, une PMI française de biotechnologies créée en 1999. « Ce soutien ne se limite pas aux nouvelles molécules d’aujourd’hui via une politique de prix adaptée ou un accès plus rapide aux consommateurs. Les innovations de demain doivent aussi être préparées ! Mon ministère jouera donc un rôle clé au côté des ministères de la Recherche et de l’Economie, des Finances et de l’Industrie dans le développement des biotechnologies. »
PALMARES : LES LEADERS MONDIAUX (EN 2001)
1 – Amgen : 4 Md$.
2 – Genentech : 2,2 Md$.
3 – Serono : 1,4 Md$.
4 – Genzyme : 1,2 Md$.
5 – Chiron : 1,1 Md$.
6 – Biogen : 1 Md$.
7 – MedImmune : 618 M$.
8 – CSL : 441 M$.
9 – Celltech Group : 436 M$.
10 – Genencor International : 326 M$.
Les Français et les biotechnologies
Si une majorité de Français (88 %) pense que l’utilisation des biotechnologies permettra (certainement ou probablement) de guérir de nouvelles maladies, de constituer une réserve de tissus organiques (58 %) ou de choisir les caractéristiques physiques et le sexe de son enfant (52 %), ils sont aussi 66 % à penser qu’elles seront à l’origine de… nouvelles maladies. Ces résultats, tirés d’une enquête Ipsos/Amgen, montrent donc une certaine méfiance du grand public vis-à-vis des biotechnologies. Les controverses sur le clonage ou les OGM y sont pour quelque chose. Mais la méconnaissance sur le sujet aussi. Plus de la moitié des Français (56 %) les confondent avec l’écologie, voire avec la phytothérapie (44 %).
* « Life Sciences in France 2001 : Where creativity meets business ».
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