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La belle percée de la voie sous-cutanée
De plus en plus utilisée dans de nombreuses pathologies, la voie sous-cutanée est loin d’avoir dévoilé tout son potentiel. De récentes innovations technologiques pourraient lui ouvrir des perspectives inattendues.
Polyarthrite rhumatoïde, hépatite, sclérose en plaques… La voie sous-cutanée s’est invitée ces dernières années dans de plus en plus d’indications thérapeutiques. Il faut dire que cette galénique possède bien des vertus : « Son principal intérêt, c’est qu’elle est moins invasive que la voie intraveineuse qui est parfois difficile à mettre en place ou à maintenir, rappelle Emmanuel Forestier, chef du service maladies infectieuses et tropicales du centre hospitalier Métropole Savoie. Elle est également plus adaptée aux traitements courts et diminue le risque d’infections et de thromboses. » Le problème, c’est qu’elle n’a pas toujours été considérée comme un axe prioritaire par les laboratoires pharmaceutiques. « Dans la plupart des développements, la forme intraveineuse, plus simple et plus rapide à développer, est privilégiée », reconnaît Sylvain Huille, responsable de la coordination scientifique et de l’innovation chez Sanofi France.
Inverser la tendance
Mais la donne pourrait bientôt changer. Sous l’impulsion du Subcutaneous Drug Development & Delivery Consortium, créé il y a quatre ans, les grands laboratoires pharmaceutiques s’investissent dans la réalisation de médicaments sous-cutanés. Roche a ouvert la voie dès 2018 avec Hemlibra (emicizumab), un anticorps monoclonal bispécifique administré en traitement prophylactique pour prévenir ou réduire les saignements chez les patients atteints d’hémophilie A avec inhibiteur anti-facteur VIII et d’hémophilie A sévère sans inhibiteur. « Sa première vertu, c’est qu’il génère un équivalent de taux de facteur VIII entre 10 et 12 %, ce qui permet de rendre un profil d’hémophilie sévère en hémophilie mineure, se félicite Nicolas Giraud, président de l’Association française des hémophiles (AFH). Autre avantage : les injections se déroulent une fois par semaine, tous les 15 jours, où toutes les quatre semaines, alors qu’auparavant les hémophiles A devaient s’injecter du facteur VIII recombinant ou plasmatique deux à trois fois par semaine. »
Sanofi s’est lui aussi engouffré dans la brèche avec Dupixent (dupilumab), un anticorps monoclonal employé dans le traitement de la dermatite atopique, de l’asthme sévère et de la polypose nasale. « Ce nouveau médicament a été développé d’emblée en mode d’administration sous-cutané, confirme Sylvain Huille. D’abord sous la forme de seringue préremplie, puis d’auto-injecteur de 2 ml qui constitue une réelle innovation sur le marché. » Pour le scientifique, l’exemple de Dupixent préfigure d’ailleurs une tendance lourde. « Dans les années à venir, les produits biopharmaceutiques pourraient vivre la même évolution que les traitements contre le diabète, avec l’apparition d’auto-injecteurs qui se généraliseraient progressivement, y compris dans des thérapeutiques lourdes comme le cancer. »
Les dernières innovations technologiques ont en effet permis de dépasser une barrière qui paraissait infranchissable. « Pendant longtemps, les auto-injecteurs ne permettaient pas d’administrer plus de 2 ou 3 ml dans le tissu sous-cutané, rappelle Sylvain Huille. Avec les on-body delivery systems (OBDS) en cours de développement clinique, nous disposerons demain de dispositifs qui se fixeront sur la peau et délivreront progressivement des volumes pouvant aller jusqu’à 10 ml, voire au-delà. » D’autres innovations pourraient accélérer le mouvement. « Une technologie fondée sur l’enzyme hyaluronidase a la particularité de rendre le tissu cutané plus maniable et perméable de manière transitoire, confie le responsable de la coordination scientifique et de l’innovation de Sanofi France . Des traitements sont déjà proposés avec cette enzyme en oncologie, tel Herceptin (trastuzumab) du laboratoire Roche pour le cancer du sein HER2 positif. » Dans l’hémophilie, les recherches se concentrent sur des anticoagulants comme le fitusiran (Sanofi) ou le concizumab (Novo Nordisk). « Les premiers traitements devraient arriver sur le marché dès 2024, annonce Nicolas Giraud. Ils auront l’avantage de pouvoir être administrés aux hémophiles A et B, avec ou sans inhibiteur, à un rythme d’injection qui pourra aller jusqu’à une fois par mois. »
Les chimiothérapies dans le viseur
En oncologie, l’équipe dirigée par Julien Nicolas, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à l’Institut Galien Paris-Saclay (IGPS), a conçu, en collaboration avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et LabOniris, une nouvelle chimiothérapie administrable en sous-cutané. « Aujourd’hui, seules neuf petites molécules anticancéreuses non-vésicantes et non-irritantes peuvent être prescrites par cette voie, rappelle Julien Nicolas. Lorsque vous mettez en présence des molécules nécrosantes ou irritantes avec le tissu sous-cutané, celui-ci va au mieux être irrité, au pire se nécroser, ce qui empêche d’administrer par cette voie des traitements extrêmement efficaces comme les taxanes (par exemple, le paclitaxel), la doxorubicine ou la gemcitabine. » Les chercheurs du CNRS ont donc décidé de coupler un polymère hydrophile et biocompatible, le polyacrylamide, au paclitaxel, principe actif très hydrophobe, vésicant et nécrosant de Taxol, pour le rendre non-nécrosant et non-irritant pour les tissus environnants . Les premiers résultats publiés à la suite des développements précliniques chez la souris sont prometteurs. « Nous nous sommes aperçus que la voie sous-cutanée était moins toxique que la voie intraveineuse, assure Julien Nicolas. Nous avons donc pu augmenter les dosages jusqu’à 60 mg par kg, alors que Taxol était limité à 15 mg par kg. »
Selon lui, cette découverte ouvrirait de nouveaux horizons. « D’un point de vue conceptuel, ce couplage serait susceptible de fonctionner avec tous les types de principes actifs, qu’il s’agisse de petites molécules, de protéines, de peptides ou d’anticorps », pronostique le directeur de recherche au CNRS. Mais pour se généraliser, les traitements anticancéreux par voie sous-cutanée devront dépasser une contrainte, celle de la biodisponibilité. « Lorsque vous injectez une chimiothérapie par la voie intraveineuse, 100 % du principe actif arrive dans le sang, rappelle Julien Nicolas. En sous-cutané, nous ne sommes pour l’instant qu’à 80 %, au mieux… »
Lorsqu’on lui demande si la voie sous-cutanée pourrait s’imposer comme le nouvel eldorado de la galénique, Sylvain Huille se montre donc très prudent. « Elle pourrait effectivement accélérer les prises en charge au domicile, ou pourquoi pas à l’officine, y compris dans les pathologies les plus lourdes. Mais cela devra se faire dans le respect des parcours de soins, rappelle-t-il. Je ne crois pas en revanche à un basculement complet des traitements vers cette voie. Mais elle aura vocation, dans les années à venir, à prendre progressivement toute sa place dans les modes d’administration qui seront proposés au patient. »
LE PARADOXE DES ANTIBIOTIQUES
En l’absence d’autorisation de mise sur le marché, l’administration d’antibiotiques par la voie sous-cutanée n’est pas autorisée en France. Elle était pourtant utilisée par 96 % des infectiologues et des gériatres sondés lors d’une enquête réalisée en 2015 par le groupe d’infectiogériatrie (GInGer). « Pour inciter les laboratoires à se pencher sur cette voie qu’ils ont jusqu’ici ignorée pour les antibiotiques, nous avons comparé la pharmacocinétique de trois médicaments, la ceftriaxone, l’association pipéracilline/tazobactam et l’amoxicilline/acide clavulanique, par voie intraveineuse versus sous-cutanée, confie Emmanuel Forestier, membre du GInGer . Même si nous ne disposons pas encore de tous les résultats, nous avons acquis la conviction que quasiment toutes les β-lactamines sont administrables de cette façon. En matière de biodisponibilité, nous obtenons des résultats équivalents à la voix intraveineuse. Le seul bémol concerne des effets secondaires locaux qui peuvent parfois être gênants avec l’apparition de douleur ou d’œdèmes. Mais dans la pratique, rien de rédhibitoire. » Signe des temps ? Cette étude comparative a été financée par… l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
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