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In silico : les fashion modèles de la médecine
Mettre à profit les modèles mathématiques et les jumeaux numériques pour simuler des essais cliniques, améliorer le diagnostic, ou prédire l’évolution d’une tumeur… La médecine in silico devrait révolutionner de nombreux champs de la sphère médicale dans les années à venir.
C’est dans le domaine de la simulation des essais thérapeutiques, via des jumeaux numériques, que la médecine in silico est la plus avancée. « Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) accepte désormais le recours aux essais in silico dans ses processus d’approbation de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux, et l’Europe devrait rapidement suivre, souligne Thierry Marchal, secrétaire général de l’Avicenna Alliance. Il faut dire que cette approche permet d’accélérer les essais précliniques et cliniques, d’identifier plus rapidement les traitements inefficaces ou nocifs, tout en évitant de mettre en danger les patients réels. L’université de Bologne a, par exemple, développé un modèle qui lui a permis d’effectuer en deux semaines 800 000 simulations de l’interaction d’un médicament dans les os sur 1 000 patients, alors qu’il lui aurait fallu attendre dix ans pour voir l’évolution du traitement en test clinique. »
Exploitation de données à tour de bras
Pour réaliser leurs essais in silico, les laboratoires pharmaceutiques ont recours à des bras de contrôle synthétiques incluant les données cliniques de plusieurs milliers de patients recueillies lors d’essais cliniques précédents. En France, l’entreprise Lixoft a développé une suite logicielle qui a été adoptée par la plupart des grands laboratoires pharmaceutiques et des agences de régulation des médicaments. « Le logiciel Monolix construit des modèles précliniques et cliniques à partir de données d’essais cliniques, explique Marc Lavielle, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) et à l’origine de la création de cette start-up en 2011. Ces modèles sont ensuite exploités en utilisant le logiciel Simulx, qui se charge de simuler des essais cliniques in silico afin d’évaluer la pharmacocinétique et la pharmacodynamique d’un nouveau traitement sur une cohorte de patients virtuels. »
Développés à partir des technologies de l’intelligence artificielle comme le machine learning ou le deep learning, qui consistent à développer des algorithmes capables d’apprendre automatiquement un ensemble de règles en s’appuyant sur des réseaux de neurones, ces modèles numériques devraient aussi ouvrir la voie au diagnostic et au pronostic augmentés. « Cela fait maintenant plusieurs années que l’on espère, avec la technologie Radiomics, être en capacité de prédire une caractéristique histologique des tumeurs à partir d’un scanner ou d’une IRM, mais elle n’a jamais véritablement fonctionné, rappelle Eric Vibert, professeur de chirurgie digestive à la faculté de médecine de l’université Paris-Saclay et chirurgien au centre hépatobiliaire de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Grâce à l’intelligence artificielle, nous devrions gagner en précision et en prédiction. De nombreux développements sont, par exemple, en cours dans le domaine de l’anatomopathologie, notamment grâce à l’analyse des lames histologiques virtuelles. »
C’est sur ce champ que s’est positionnée la start-up toulousaine SmartCatch. « Elle a développé une sorte de nanofilet capable de détecter dans le sang de patients atteints de cancer la présence de cellules tumorales circulantes (CTC), même en infime quantité, explique Thierry Marchal. Or ces CTC permettent d’évaluer l’agressivité et le potentiel métastatique d’un cancer. » Certains programmes investissent même le champ du curatif. « L’université de Saragosse, en Espagne, est en train de piloter le projet européen Primage, note Thierry Marchal. Celui-ci vise à développer un modèle numérique capable de prédire l’évolution d’une tumeur cancéreuse en fonction des particularités des patients après avoir testé in silico l’impact de différents traitements. »
Les jumeaux numériques devraient également s’inviter demain dans les blocs opératoires. Au sein de la chaire innovation Bloc opératoire augmenté (BOpA), issue d’un partenariat entre l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’Institut Mines-Télécom (IMT) et l’université Paris-Saclay, des chirurgiens et des mathématiciens œuvrent de concert afin de concevoir des jumeaux numériques hémodynamiques. « Grâce à des objets numériques qui reproduisent en réalité augmentée les caractéristiques biomécaniques d’un foie, nous pourrons anticiper les conséquences de nos actes chirurgicaux en mesurant l’impact sur la pression et le débit dans les vaisseaux du foie, tout en visualisant les transformations anatomiques induites par les déformations des tissus du foie provoquées par l’intervention », annonce Eric Vibert, le directeur de cette chaire.
Calculs en profondeur
Dans la sphère cardiovasculaire, les modèles numériques permettent déjà d’éviter certaines interventions chirurgicales. « Deux professeurs de l’université de Stanford, aux Etats-Unis, ont créé Heartflow, une solution qui évite, grâce à la modélisation, de pratiquer des examens invasifs comme la mesure de la réserve coronaire (FFR) chez les personnes atteintes de maladies coronariennes, note Dominique Chapelle, directeur de recherche au sein de l’équipe-projet M3DISIM d’Inria, et responsable scientifique du laboratoire commun AP-HP/Inria Bernoulli Lab. Ces examens consistant le plus souvent à envoyer un cathéter dans les coronaires ne sont pas sans risques pour les patients. Or les essais cliniques ont démontré que la méthode in silico affichait des performances comparables aux mesures traditionnelles. »
L’ophtalmologie devrait, elle aussi, se convertir. « Lors d’une opération de la cataracte, il faut procéder à une incision pour retirer la lentille naturelle et la remplacer par une lentille artificielle, rappelle Thierry Marchal. Or la position et la profondeur de l’incision, qui conditionnent la réussite de l’opération, sont intimement liées aux caractéristiques de l’œil de chaque patient. La start-up Optimo Medical a donc développé Optimeyes, un logiciel capable de créer un jumeau numérique de l’œil d’un patient, et de procéder à des kératotomies virtuelles fondées sur des simulations biomécaniques et thermomécaniques spécifiques à chaque patient afin d’optimiser les paramètres des incisions en prenant en compte les déformations de l’œil pendant l’intervention. »
Les modèles numériques devraient aussi s’inviter dans le quotidien des anesthésistes. Inria et l’AP-HP travaillent de concert sur AnaestAssist, un projet de monitorage augmenté en temps réel du système cardiovasculaire capable de déterminer avec une grande précision l’état du patient et d’orienter l’anesthésiste vers le meilleur scénario thérapeutique pendant l’intervention. « Alimenté en continu par les données hémodynamiques du patient, le programme créera un jumeau numérique que l’anesthésiste pourra interroger afin d’identifier des signaux physiologiques non mesurés et de calculer les biomarqueurs de la performance du cœur ou de l’état des vaisseaux », explique Dominique Chapelle.
La médecine in silico devrait in fine ouvrir la voie à la médecine personnalisée. « Tous les médecins rêvent de pouvoir administrer à leurs patients le traitement ou le dispositif médical le plus efficace car correspondant parfaitement à leurs caractéristiques, rappelle Dominique Chapelle. Avec le jumeau numérique d’un patient, ce rêve pourrait devenir réalité. Avant d’implanter un pacemaker chez un insuffisant cardiaque, le chirurgien pourra choisir le modèle le plus adapté, déterminer le meilleur placement, ainsi que le réglage optimal en préopératoire. Ce qui permettra du coup d’améliorer l’efficacité des dispositifs, alors qu’aujourd’hui une partie des patients ne présentent aucun bénéfice après la pause d’un tel pacemaker. Le problème, c’est que nous n’avons pas encore trouvé de modèle économique pour cette médecine personnalisée qui bouscule aussi les méthodes traditionnelles d’évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux », conclut Dominique Chapelle.
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