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Impression 3D : le médicament s’ajuste et prend du relief
A l’aube des années 2000, évoquer l’impression de médicaments en 3D relevait de la science-fiction. Aujourd’hui, ce scénario est en passe de devenir réalité et pourrait même révolutionner toute la chaîne de valeur du médicament. Explications.
« Il y a un an, nous étions le premier hôpital en France à nous équiper d’une imprimante 3D, confie Maxime Annereau, le pharmacien en charge de ce projet à l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne). Désormais, quatre autres établissements hospitaliers s’en sont dotés ou sont sur le point de le faire. Au rythme où vont les choses, à l’horizon 2025 ou 2026, tous les hôpitaux pédiatriques et la moitié des centres hospitaliers imprimeront des médicaments en 3D. » Il faut dire que la technologie progresse à grands pas. Les premières imprimantes 3D de médicaments sur le marché utilisent l’extrusion semi-solide, le dépôt de fil fondu et l’extrusion directe de poudre. « Ces trois technologies permettent de fabriquer des médicaments de toute petite taille, avec des microdosages, de n’importe quelle forme et en faible quantité, résume Ian Soulairol, pharmacien, cofondateur et directeur technique et scientifique de MB Therapeutics, une health tech française qui vient de se lancer sur ce marché. L’extrusion semi-solide est la technologie la plus avancée car elle se révèle plus simple à mettre en œuvre. L’accumulation des couches de gel ou de pâte, qui contiennent le principe actif et les excipients, se déroule à température ambiante ou basse, entre 30 et 50 degrés. Les deux autres modes impliquent des températures plus élevées, entre 80 et 200 degrés. »
Les enfants d’abord
Le premier champ d’usage de l’impression 3D de médicaments devrait concerner la pédiatrie. « Les médicaments sont en général conçus pour des adultes, avec des formes et des dosages inadaptés aux enfants, rappelle Maxime Annereau. Grâce à l’impression 3D, nous allons pouvoir combler ce manque. A l’hôpital Gustave-Roussy, nous sommes en train de préparer des gels pédiatriques qui se présenteront sous une forme proche des bonbons afin de donner un côté ludique à la prise du traitement. » La technologie devrait aussi s’immiscer dans la sphère de la cancérologie et de la gériatrie. « En oncologie pédiatrique, nous allons travailler sur le topotécan, qui est aujourd’hui administré par voie orale ou intraveineuse en association avec le témozolomide dans le traitement des neuroblastomes, annonce le pharmacien. Or, les gélules actuellement sur le marché comportent des dosages qui ne sont pas adaptés en pédiatrie. Nous allons donc imprimer le topotécan sous forme de films dispersibles, l’objectif étant de démarrer les essais sur un premier patient au printemps prochain. »
La polypharmacie devrait également constituer un territoire de prédilection. Preuve en est, l’hôpital Gustave-Roussy est sur le point de démarrer un essai clinique en sénologie. « Les patientes atteintes d’un cancer du sein doivent prendre des antiaromatases de type létrozole ou des antiœstrogènes, associés à un traitement de soins de support pour prévenir les bouffées de chaleur ou les troubles musculosquelettiques, rappelle Maxime Annereau. Or, beaucoup de patientes arrêtent le traitement car celui-ci se révèle trop contraignant. Elles s’exposent ainsi à un risque de rechute multiplié par trois. Nous allons donc lancer un essai clinique qui associera dans un même médicament le tamoxifène, un antiœstrogène à libération immédiate, à un traitement de soins de support à libération prolongée et gastrorésistant. Tout est prêt, nous attendons le feu vert de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)… »
L’impression 3D de médicaments devrait aussi ouvrir la voie à la médication personnalisée. « De nos jours, c’est au patient de s’adapter à son traitement. Avec l’impression 3D, c’est le traitement qui s’adaptera au patient », résume Maxime Annereau. Elle pourrait également être mise à contribution afin de faciliter la gestion de certains traitements ou d’adapter les modèles de libération. « L’ANSM vient de nous donner le feu vert pour réaliser un essai clinique en hématologie sur 300 patients où nous allons reformuler sous forme orale une molécule disponible uniquement par voie intraveineuse, confie Maxime Annereau. Le but est d’épargner aux patients de passer chaque jour à l’hôpital sur de très longues durées. » « L’impression 3D pourrait enfin être utilisée en cas de ruptures de stock sur certains médicaments ou pour faciliter la mise sur le marché de traitements de niche qui ne dépassent pas actuellement la phase d’essais cliniques faute d’avoir trouvé un modèle économique viable », ajoute Valentin Collet, manager au cabinet d’audit et de conseil KPMG France.
Un nouvel écosystème
Pour cet expert, l’impression 3D pourrait affecter en profondeur l’ensemble de la chaîne de valeur du médicament, depuis la recherche et développement jusqu’à l’administration des traitements. « Pendant les essais cliniques, elle permettra d’être plus agile, plus précis, plus économique et plus rapide, explique-t-il. La production des médicaments pourrait intervenir également tout au long du parcours de soins, à l’hôpital et dans les pharmacies. » Valentin Collet ne croit toutefois pas au scénario qui verrait toutes les officines s’équiper. « D’abord parce que ces machines coûtent cher, une centaine de milliers d’euros, souligne-t-il. Ensuite parce qu’il pourrait s’avérer complexe de stocker la matière première requise pour l’impression. » Maxime Annereau est sur la même longueur d’onde. « Les officines ayant développé de gros préparatoires devraient naturellement se positionner à l’horizon 2027 ou 2028, les autres devraient fonctionner avec un schéma où le pharmacien sera chargé d’éditer le plan de posologie qu’il transmettra à un prestataire disposant d’un stock suffisant pour pouvoir répondre à la demande », pronostique-t-il.
C’est sur ce segment qu’entend intervenir MB Therapeutics, que Ian Soulairol a cofondé avec Stéphane Roulon, l’ancien responsable du laboratoire impression 3D de Sanofi. « Notre offre intègre la commercialisation d’imprimantes pharmaceutiques fabriquées par un industriel installé à Bayonne, confirme ce pharmacien. Notre premier modèle utilise l’extrusion semi-solide, le second, qui devrait sortir en 2026, sera plug and play [prêt à l’emploi, NdlR] et capable de gérer les trois modes d’impression. Nous allons aussi développer des cartouches d’impression qui intégreront directement le principe actif et les excipients. Nous venons de terminer le développement d’une première cartouche incorporant une molécule à visée pédiatrique. Les essais devraient démarrer en 2025, pour un début de commercialisation espéré en 2026. »
Pour se faire une place au soleil dans la fabrication du médicament, l’impression 3D devra toutefois franchir un certain nombre d’obstacles. Le premier concerne la capacité de production des imprimantes. « Les modèles disponibles aujourd’hui mettent entre cinquante secondes et une minute trente pour produire un comprimé, note Maxime Annereau. C’est beaucoup trop long pour proposer une production de masse. Mais un nouveau mode d’impression en cours de développement fondé sur une technologie de photopolymérisation par laser permettra de le faire en six secondes… » Le principal frein pourrait donc être d’ordre réglementaire. « Pour l’instant, les agences du médicament ne savent pas encore comment appréhender cette technologie, observe Valentin Collet. A ce jour, Spritam [lévétiracétam, NdlR] reste d’ailleurs, à ma connaissance, le seul médicament imprimé en 3D autorisé, la Food and Drug Administration lui ayant délivré une autorisation de mise sur le marché en 2017. »
Maxime Annereau partage le même constat. « Pour l’instant, l’ANSM se montre très frileuse puisqu’elle ne nous a pas encore autorisés à démarrer l’essai sur le tamoxifène associé au soin de support, qui pourrait pourtant potentiellement éviter que 15 % des patientes atteintes d’un cancer du sein soient non observantes », regrette-t-il. Mais ce pharmacien est persuadé que la chaîne du médicament s’apprête à vivre une véritable révolution. « Le terrain de jeu de l’impression 3D de médicaments est immense. L’écosystème mettra peut-être plusieurs années avant de se constituer, mais cela arrivera… », conclut-il.
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