Dis-moi ta religion, je te dirai comment tu te soignes

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Publié le 6 mars 2004
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La relation entre nos origines religieuses et notre rapport au médicament peut paraître étrange. Et pourtant, non seulement elle existe, mais elle s’explique aussi.

Le médicament n’est pas une simple denrée que l’on peut standardiser de façon planétaire, sa consommation dépend de la perception des patients. Une perception qui est influencée par le statut social, la nationalité mais aussi par la religion et son histoire », insiste Robert Pujol, officinal et membre du groupe de pharmacologie sociale à la faculté de médecine de Toulouse, qui a notamment établi la « carte d’identité pharmaceutique des religions ». Ainsi, l’influence de la religion sur le comportement des patients transparaît au travers d’une étude belge (université de Louvain) sur les prescriptions relatives à des bronchopneumopathies en tout genre, effectuée dans deux villes flamandes : l’une catholique (belge) et l’autre protestante (hollandaise).

Résultats des observations : les malades belges consultent systématiquement un médecin et 50 % d’entre eux prennent un antibiotique, alors que les patients hollandais ne considèrent pas le recours au médecin comme indispensable et seuls 20 % ont recours aux antibiotiques. Les auteurs n’expliquent pas ces différences selon la nature de l’agent causal mais opposent le catholicisme d’une part, au réformisme hollandais d’autre part. L’un considérant la souffrance et la maladie comme moyen de salut, avec comme corollaire la prise systématique de médicaments, alors que le protestantisme, imprégné par le désir d’autonomie, ne croit guère au contrôle de la maladie par le médicament.

Les chrétiens seraient très attachés aux médicaments.

Même conclusions de la part de Sylvie Fainzang, anthropologue et auteur de Médicaments et religions (Presses universitaires de France), qui précise : « Peu importe que l’on soit croyant ou athée, c’est la culture religieuse, soit l’ensemble des valeurs transmises par la religion, mais aussi l’histoire collective du groupe qui importent. Les choses se transmettent inconsciemment de génération en génération. »

Les recherches de Sylvie Fainzang lui ont aussi permis de découvrir que le judaïsme « valorise la négociation avec les médecins », la discussion et la controverse étant considérées comme des valeurs fortes au sein même de la religion. Dans la culture musulmane, il faut au contraire marquer sa « dévalorisation par rapport au médecin » et donc accepter a priori la prescription. « Ce qui ne veut pas dire que les croyants prendront le médicaments, car la prescription religieuse l’emporte alors sur la prescription médicale. »

Pas de doutes pour Robert Pujol, le pharmacien doit prendre en compte l’origine religieuse des patients pour une éducation optimale au comptoir. « Il faut savoir que les bouddhistes ont une réticence vis-à-vis des médicaments. A contrario, la tradition chrétienne y est très attachée. Le Christ est même représenté en… apothicaire sur certains retables du xvie siècle ! »

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De là à questionner chaque malade à propos de sa religion, il y a un gouffre qui ne sera sans doutes jamais franchi. « Mais rien n’empêche de demander à une personne d’origine maghrébine si elle suit le ramadan, de façon à adapter les posologies », conseille Robert Pujol. A méditer…

L’islamisme

Interprétation de la maladie Nécessaire à l’homme pour affirmer sa foi.

Représentation des médicaments

Moyen facilitant la guérison.

Signes particuliers

Fatalisme (en cas d’inefficacité, « seul Dieu permet la guérison »).

Le judaïsme

Interprétation de la maladie Partie intégrante de la vie.

Représentation des médicaments

« Gardiens de la vie. »

Signes particuliers

Acceptation de tous les médicaments « pour éviter les souffrances inutiles ».

Le protestantisme

Interprétation de la maladie Passage obligé pour « révéler sa vigueur et sa foi ».

Représentation des médicaments

Scepticisme vis-à-vis de leur possibilité de contrôler une maladie.

Signes particuliers

Recours non systématique aux médicaments.