DE LA RECHERCHE À LA PRODUCTION

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Publié le 7 décembre 2013
Par Isabelle Guardiola
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26 ans après le premier Téléthon, Généthon fabrique des médicaments de thérapie génique dans son propre laboratoire. Un changement d’échelle nécessaire à l’heure où se multiplient les essais cliniques. Retour sur l’aventure d’une petite association devenue le porte-drapeau du combat contre les maladies rares.

En 1958, Yolaine de Kepper, mère de sept enfants, dont quatre sont atteints par la myopathie de Duchenne, crée l’Association française contre les myopathies. Cette mystérieuse pathologie musculaire conduit à la dégénérescence de l’ensemble de la musculature : la marche et, au-delà, le diaphragme, le cœur… L’objectif est alors de se révolter contre l’inacceptable : l’absence de diagnostic et l’impuissance de la médecine face à une maladie pour laquelle n’existe aucune prise en charge. Dix ans plus tard, la maladie est prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale et, en 1986, le gène responsable de la plus fréquente des maladies neuromusculaires de l’enfant est identifié.

En décembre 1987, le premier Téléthon, un marathon télévisuel qui existe aux Etats-Unis depuis 1966, est organisé en France. Grâce à la collecte, l’AFM-Téléthon lance des appels pour soutenir massivement la recherche génétique, équiper des laboratoires et soutenir les familles au quotidien. Le Généthon, laboratoire créé par l’AFM-Téléthon en 1990 (voir encadré ci-contre), publie entre 1992 et 1996 les premières cartes du génome humain, une avancée qui accélère la découverte des gènes responsables des maladies génétiques. Mises à la disposition de la communauté scientifique, ces cartes sont le point de départ du décryptage du génome humain, lequel s’achèvera en 2003. L’association a pris le parti de s’intéresser à l’ensemble des maladies rares* : « Notre combat est d’intérêt collectif, et ce que l’on apprend sur d’autres maladies rares sert pour les myopathies, qui font partie des pathologies les plus complexes », résume Frédéric Revah, directeur général du Généthon. La complexité des maladies rares stimule la créativité des chercheurs en matière technologique. Ainsi, on peut espérer que les essais menés sur la rétinite pigmentaire, par exemple, servent un jour à soigner la dégénérescence maculaire, ou encore que les recherches sur la maladie de Huntington, maladie héréditaire et orpheline du système nerveux, puissent soigner la maladie de Parkinson.

Permettre au patient de produire à nouveau sa protéine déficiente

Les maladies rares touchent moins d’une personne sur 2 000 dans la population européenne. 3 millions de personnes en France sont touchées. On répertorie 7 000 pathologies graves et chroniques, pour lesquelles le pronostic vital est souvent engagé. Tous les organes (yeux, muscles, foie, cœur…) peuvent être atteints. 80 % des maladies rares sont génétiques, ce qui signifie que les personnes souffrent de mutations génétiques affectant des fonctions essentielles de certaines cellules. On retrouve donc cette mutation dans toutes les cellules du corps, sauf que toutes n’utilisent pas la même partie de l’ADN. L’instruction affectée, seulement utilisée par exemple par les cellules musculaires, n’aura ainsi pas d’influence sur le cerveau.

Le principe de la thérapie génique (ou thérapie par le gène) est de mettre dans la cellule une copie d’un gène normal pour compenser le déficit du gène malade. On injecte dans l’endroit malade (œil, muscles…) le gène altéré. À cela près qu’un gène n’entre pas spontanément dans une cellule… Pour passer cette barrière, il faut utiliser un transporteur, un vecteur, qui fait pénétrer le gène dans la cellule. « Les médicaments de thérapie génique, synthétise Frédéric Revah, sont formés d’un gène thérapeutique transporté par un morceau de virus qui lui donne le moyen d’entrer dans la cellule. On associe le gène à un “promoteur”, une petite séquence d’ADN qui rend possible son fonctionnement une fois au sein de la cellule. Le gène fonctionnel permet alors au patient de produire à nouveau la protéine dont la déficience était la source de la maladie. » On reconstitue donc en laboratoire des morceaux de virus – c’est-à-dire son enveloppe – pour entrer dans les cellules : le virus adéno-associé (AAV), non pathogène et simple à manipuler, et le VIH, pénétrant facilement dans le système immunitaire et qui pourra ainsi y apporter le gène-médicament.

Des médicaments déjà en phase de pré-industrialisation

Dès le début 2000, la recherche s’est concentrée sur la conception de médicaments en lançant des essais thérapeutiques. On en arrive aujourd’hui à une phase de pré-industrialisation, ce qui marque des progrès assez rapides. La production s’avère complexe : il n’est évidemment pas possible d’imaginer une réaction chimique pour produire ces médicaments de thérapie génique. On fait appel aux biotechnologies en utilisant une cellule productrice hyperspécialisée capable de produire un produit de thérapie génique, pourvu qu’on lui fournisse le bon gène. La complexité des produits s’explique par leur structure : à titre de comparaison, la masse moléculaire relative d’un médicament comme Prozac est de 309 Mr (avec une douzaine d’atomes de carbone); pour un médicament de thérapie génique, elle est 10 000 fois supérieure. « Il nous était indispensable de nous doter de notre propre outil de production car nous allions être bloqués dans les essais cliniques », poursuit Frédéric Revah. D’où la construction, en 2012, à proximité du laboratoire d’Evry (Essonne), du Généthon Bioprod, devenu établissement pharmaceutique en 2013.

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Les étapes de fabrication débutent par une culture de cellules (fermentation ou upstream) dans de grandes cuves, sortes de boîtes de Petri géantes, qui contiennent des plateaux superposés pour que les cellules en se développant puissent adhérer aux parois. Le ratio entre les moyens mobilisés, les quantités de produit requises et les besoins des patients est impressionnant. « Selon les pathologies, détaille Alain Schwenck, responsable du site de bioproduction, on a besoin de plus ou moins de produit. Ainsi, pour les pathologies du muscle, il va falloir des quantités bien plus importantes : pour retrouver le mouvement d’un bras, ce n’est pas qu’un seul muscle qu’il faudra traiter… » Pour fabriquer le traitement d’un patient atteint de myopathie de Duchenne, il faudrait ainsi imaginer 200 mètres de hauteur de plateaux, 166 semaines de manipulation… Une aberration pour monter un essai clinique requérant l’inclusion d’au moins 10 patients. Il fallait inventer des méthodes technologiques adaptées à ces médicaments : on a mis au point des bioréacteurs fabriquant en 6 semaines le traitement de 100 patients. Grâce à une cuve de 200 litres, on récupère ainsi… 15 à 200 millilitres.

L’objectif n’est cependant pas de faire pousser des cellules mais de fabriquer des vecteurs viraux. La suite des opérations consiste à infecter les cellules par des constructions virales. A cela succède une élimination par filtration (downstream) des éléments indésirables, en particulier des cellules qui ont servi de supports à la croissance des vecteurs. Le tout avec la prise en compte du facteur temps, incompressible dans cette culture du vivant : une à trois semaines pour la pousse des cellules, quelques jours pour les infecter puis les filtrer, sans compter les multiples contrôles en amont et en aval, soit environ six semaines par lot.

* Parmi les maladies rares, on parle de « maladies orphelines » pour désigner celles pour lesquelles on ne dispose d’aucun traitement efficace.

Les bras armés de la recherche

Depuis 1987, l’AFM investit plus d’un milliard d’euros en R&D. 40 % vont à des groupes de recherche académiques et cliniques en France et à l’étranger et 60 % aux « bras armés », laboratoires stratégiques créés à l’initiative de l’AFM et parfois avec la collaboration d’autres organismes de recherche.

Le Généthon, le plus ancien d’entre eux (1990), rassemble 230 personnes menant des recherches en thérapie génique. L’Institut de myologie, institut d’excellence sur le muscle et ses maladies, regroupe 270 personnes à la Pitié-Salpêtrière à Paris. L’I-Stem, à Evry, dirigé par Marc Peschansky, étudie les cellules-souches pour réparer ou régénérer un organe ou un tissu endommagé. Enfin, on trouve le Pôle nantais de thérapie génique. Ces quatre bras armés sont rassemblés sous la bannière de l’Institut des biothérapies pour les maladies rares.

Téléthon : 5 nouveaux essais à financer

Le Téléthon 2013 aura lieu les 6 et 7 décembre. Il est possible de faire un don au 36 37 ou sur telethon.fr afin de soutenir de nouveaux essais thérapeutiques pour des maladies rares.

Système immunitaire : nouvel essai international de thérapie génique, démarré en Angleterre et auquel participe la France, pour la granulomatose septique chronique, un déficit immunitaire héréditaire très invalidant.

Vision : lancement fin 2013 d’un nouvel essai de thérapie génique pour la neuropathie optique héréditaire de Leber, maladie qui se manifeste par une perte asymétrique brutale de la vision centrale, généralement entre 15 et 30 ans, et pour laquelle il n’existe aucun traitement efficace. Cet essai est mené par Généthon en collaboration avec l’Institut de la vision à Paris.

Cerveau : lancement fin 2013 d’un essai clinique de phase I/II de thérapie génique pour la maladie de Sanfilippo B, laquelle se traduit par une dégénérescence nerveuse irrémédiable.

L’objectif de cet essai mené par l’Institut Pasteur et soutenu financièrement par l’AFM-Téléthon est d’évaluer sur un an la tolérance et l’innocuité de cette thérapie innovante chez 4 enfants âgés de 18 mois à 4 ans révolus.

Hématologie : lancement d’un essai de thérapie génique pour une maladie génétique rare des globules rouges qui entraîne la défaillance progressive et sévère de la moelle osseuse (anémie de Fanconi). Le vecteur de thérapie génique sera produit à Généthon courant 2013.

Dermatologie : démarrage en 2014 d’un essai de thérapie cellulaire pour traiter des ulcérations cutanées liées à la drépanocytose (maladie génétique du sang). Après avoir réussi à reconstituer, fin 2009, un épiderme à partir de cellules-souches embryonnaires, les travaux du laboratoire I-Stem se poursuivent pour proposer cette ressource illimitée de cellules comme alternative thérapeutique aux patients atteints de maladies rares de la peau mais aussi aux grands brûlés ou aux nombreuses personnes souffrant d’ulcères associés à différentes maladies (diabète…).