Chasseur de molécules

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Publié le 11 mai 2002
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Directeur de l’unité de neurobiologie et de pharmacologie moléculaire (unité 109) de l’INSERM, Jean-Charles Schwartz s’est lancé dans l’aventure industrielle. Cofondateur du laboratoire Bioprojet Pharma, il est reconnu pour ses travaux dans le domaine du système nerveux central.

On lui doit (avec l’aide de ses collaborateurs bien sûr !) de remarquables travaux sur le rôle de l’histamine en tant que neurotransmetteur et sur la connaissance des récepteurs H1 au niveau du cerveau, base de départ pour la mise au point des anti-H1 nouvelle génération dépourvus d’effet sédatif. Depuis toujours intrigué par le fonctionnement du cerveau, Jean-Charles Schwartz avoue ne pas avoir résisté à l’appel du traitement des maladies mentales. Mais curieusement, sa démarche a abouti à la commercialisation d’un antidiarrhéique !

Tout commence véritablement en 1968. A trente-deux ans, alors pharmacien chef des Hôpitaux, responsable de la pharmacie et du laboratoire de biochimie à l’hôpital Broca, Jean-Charles Schwartz crée sa propre équipe de recherche avec un nombre réduit de personnes. « Je désirais sortir des carcans universitaires », explique-t-il. Et de démarrer « de bric et de broc ». « Nous n’avions aucun matériel, il a fallu que j’aille pleuré auprès des dirigeants de l’Assistance publique », se rappelle-t-il.

Un peu d’inconscience et beaucoup de motivation… Résultat : Jean-Charles Schwartz intègre l’INSERM en 1972 avec les membres de son équipe. L’occasion alors d’inaugurer les locaux d’un centre de recherche fondamentale bâti sur le terrain de l’hôpital Sainte-Anne à Paris et baptisé Paul-Broca. En filiation directe de son précédent laboratoire.

Depuis près de trente ans, Jean-Charles Schwartz travaille dans les mêmes locaux. Mais la mini-équipe compte désormais près de quarante personnes ! De directeur d’unité, il devient en 1998 directeur d’un institut fédératif de recherches regroupant non moins de huit unités INSERM et services cliniques. Une belle réussite dans le domaine de la recherche débouchant non seulement sur de nouvelles classes de médicaments mais aussi sur la commercialisation du premier inhibiteur de l’enképhalinase intestinale. Aboutissement concret de plus de dix ans d’expérimentation, le racécadotril (Tiorfan) voit le jour en 1993. Jean-Charles Schwartz ne cache pas sa fierté au vu de l’application thérapeutique de « sa » molécule, commercialisée dans plus de cinquante pays. Singulière histoire d’un produit au destin loin d’être prévisible. « Au départ, nous cherchions une substance capable de protéger les enképhalines du cerveau, c’est-à-dire les peptides opioïdes. Nous voulions en fait mettre au point un analgésique, une sorte de morphine endogène », explique le directeur de recherche. Mais les essais cliniques en ont voulu autrement. Et pour cause : le produit ne passait pas la barrière hématoencéphalique. A ce stade de développement et ayant dépensé toutes leurs économies, les chercheurs, ne pouvant plus faire marche arrière, se sont alors tournés vers une nouvelle cible : la sphère gastro-intestinale. Un antidiarrhéique antisécrétoire était né, restait encore à le commercialiser.

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Le beau « pipeline » de Bioprojet Pharma

Au lieu de confier le brevet à une firme pharmaceutique, Jean-Charles Schwartz décide de créer son propre laboratoire, esprit d’indépendance oblige. Aidé de Jeanne-Marie Lecomte, pharmacienne-chimiste et ancienne président de Pasteur Vaccins, il fonde en 1992 Bioprojet Pharma. « Nous avons beaucoup hésité, mais la perspective unique d’une expérience pharmaceutique fondée sur la recherche nous a séduits. Une telle structure permet de ne pas perdre de vue le côté scientifique du produit. Je suis d’ailleurs toujours surpris de rencontrer des personnes du marketing sans aucune notion scientifique ! », confie-t-il.

Bioprojet Pharma, c’est aussi l’opportunité de développer d’autres molécules se trouvant dans le « pipeline », fruits de la collaboration entre Bioprojet et l’INSERM. Actuellement en phase 2 d’essais cliniques : un inhibiteur de la vasopeptidase (antihypertenseur), nouvelle classe inventée par Jean-Charles Schwartz et ses collègues. Egalement en cours de développement, un agoniste des récepteurs H3 cérébraux aux effets anti-inflammatoires et protecteurs de la muqueuse gastrique qui promet de concurrencer les coxibs dans les années à venir. Mais le « capital » médicaments de Bioprojet ne s’arrête pas là. Il possède aussi une molécule promnésique (antagoniste des RH3) promue à un bel avenir via son application envisageable dans la maladie d’Alzheimer. Un autre produit, premier de sa classe (antagoniste des RD3 à la dopamine), paraît intéressant dans le sevrage à la cocaïne, à la nicotine et à l’alcool.

Toujours prêt à enrichir leurs activités, Jean-Charles Schwartz et Jeanne-Marie Lecomte saisissent l’opportunité de racheter le centre de recherche GlaxoSmithKline près de Rennes. Ainsi, en septembre 2001, Bioprojet Biotech est inauguré. De nouveaux horizons s’ouvrent avec le développement de la génomique. Pour notre chercheur, cette évolution s’inscrit tout naturellement dans un cheminement visant surtout à favoriser la recherche. « Jusque-là, Bioprojet n’avait pas de murs et dispersait ses contrats de recherche ça et là. Désormais, tout ce monde est regroupé dans une même enceinte », explique-t-il.

Très sollicité par ses diverses activités, il partage son temps entre son fief parisien de l’INSERM et son pôle industriel rennais. Sans oublier les nombreux congrès scientifiques auxquels il participe à travers le monde. Devenu enseignant de physiologie presque malgré lui ou plus exactement « en remplaçant un ami », il compte désormais parmi les professeurs à l’Institut universitaire de France. Une telle carrière sans distinctions serait presque une hérésie ! De la médaille d’or de l’Internat de pharmacie en 1965 au prix Galien 2001 de la recherche pharmaceutique, il est élu membre de l’Academia europae en 1994 et est également docteur honoris causa de l’Université libre de Berlin (1997). A 66 ans, l’esprit d’initiatives intact, notre chercheur aux multiples facettes espère bien poursuivre sa route vers de nouvelles avancées pharmacologiques.

En pratique

– Conditions requises pour intégrer l’INSERM à un poste de chercheur : être titulaire d’un doctorat d’Etat et être âgé de moins de 31 ans (sauf dérogations particulières), la nationalité n’importe pas.

– La procédure : retirer un dossier de candidature avant le mois de Janvier. L’admissibilité a lieu sur titres et travaux à l’issue d’une audition. Dernière étape, l’admission est décidée par un jury présidé par le directeur général de l’INSERM(épreuve orale).

– La carrière : les pharmaciens débutent au grade de chargés de recherche deuxième catégorie (CR2) pendant 4 ans avant d’être promus (CR1). Un concours permet d’accéder au poste de directeur de recherche deuxième puis première catégorie.

– La rémunération : de 2 000,80 à 3 621,76 euros (bruts) par mois pour un chargé de recherche et de 2 901,83 à 5 136,71 pour un directeur de recherche.

– Postes d’accueil (CDD) : chaque année, des postes temporaires s’ouvrent aux pharmaciens internes ou anciens internes et titulaires d’un DEA. L’admission se fait sur dossier pour une durée de 1 à 2 ans renouvelable 1 fois, en tant que chargé de recherche première catégorie.

– Pour en savoir plus : http://www.inserm.fr.