Les douleurs neuropathiques

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Publié le 31 octobre 2015
Par Nathalie Belin
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Mécanisme, symptômes et traitement, presque tout différencie les douleurs neuropathiques des autres types de douleurs. Parce qu’elles sont chroniques et difficiles à soulager à 100 %, d’autres moyens non pharmacologiques peuvent être utiles en association.

Qu’est-ce que c’est ?

• Des douleurs chroniques : les douleurs neuropathiques font partie des douleurs évoluant depuis plus de trois mois.

• Périphériques ou centrales : elles sont liées à une lésion ou à un dysfonctionnement du système nerveux périphérique (nerfs, ganglions sensitifs…) ou central (moelle épinière, cerveau).

• Cette atteinte du système nerveux explique que ces douleurs répondent mal aux traitements visant à limiter l’inflammation ou à inhiber la transmission des influx douloureux.

• Leur prévalence est estimée à 6,9 % en France. Elles représentent 25,6 % des douleurs chroniques d’intensité modérée à sévère.

Et les autres douleurs ?

• Les douleurs nociceptives ou par excès de nociception, aiguës ou chroniques, surviennent sur un système nociceptif sain (voir lexique). Elles sont en rapport avec une lésion des tissus qui induit la stimulation des nocicepteurs à l’origine du déclenchement de la douleur. Elles répondent bien aux antalgiques et anti-inflammatoires.

• Les douleurs dysfonctionnelles sont liées à des anomalies des systèmes de contrôle de la douleur sans lésion identifiée. Les plus fréquentes sont la fibromyalgie et les syndromes douloureux régionaux complexes (SDRC) de type 1 (voir lexique). À savoir : des douleurs mixtes peuvent combiner douleurs nociceptives, neuropathiques, dysfonctionnelles.

Comment se manifestent-elles ?

Souvent déroutantes pour le patient et incomprises par l’entourage, elles surviennent de façon spontanée, toujours dans la même zone. Il peut aussi s’agir de paresthésies (voir lexique). Au niveau du territoire atteint, il existe aussi un déficit sensitif tactile ou au chaud, au froid… et parfois moteur. Les douleurs peuvent être :

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• spontanées et survenir sans stimulation douloureuse. Souvent, il s’agit d’accès paroxystiques à type de « décharges électriques », « coups de couteau », « éclairs  » sur un fond douloureux permanent à type de compression, de sensation d’étau, de froid qui fait mal ;

• provoquées et survenir sans facteur déclenchant – on parle d’allodynie – via le frottement d’un vêtement, le contact d’un objet, etc. Il peut aussi s’agir d’une hyperalgésie, douleur ressentie de façon exagérée par rapport à l’intensité de la stimulation mécanique ou thermique.

Quelles sont les étiologies ?

• Les plus fréquentes : lombosciatiques ou névralgie cervico-brachiale (voir lexique), lésions nerveuses traumatiques ou post-chirurgicales tels les plaies, les douleurs fantômes de l’amputation, un stripping des varices avec lésion du nerf saphène, une prothèse du genou…

• Les autres étiologies sont celles susceptibles d’entraîner une agression du système nerveux :

→ périphérique : diabète, zona, alcoolisme, sida, cancer, compression tumorale, iatrogénie (certaines chimiothérapies ou antirétroviraux) ;

→ central : AVC, sclérose en plaques, lésion de la moelle épinière, traumatisme crânien…

Comment faire le diagnostic ?

• Il repose surtout sur l’examen clinique et l’interrogatoire, qui recherchent un contexte de lésion ou de maladie du système nerveux. Il peut s’écouler des mois ou années entre la survenue de la lésion nerveuse et celle de la douleur.

• Le questionnaire DN4 est un outil d’aide au diagnostic. Dix items sont répartis en quatre questions se rapportant aux manifestations de la douleur et à l’examen du patient (voir encadré). Au moins quatre « oui » orientent vers des douleurs neuropathiques. Les deux premières questions, facilement utilisables à l’officine, ont aussi une bonne valeur d’orientation ; un score d’au moins 3 sur 7 peut faire évoquer une douleur neuropathique et conduire à orienter le patient vers un médecin, voire un spécialiste neurologue.

• Des échelles d’évaluation de la douleur caractérisent son intensité et son retentissement.

Comment se fait l’évolution ?

Des phases d’accalmie alternent généralement avec des crises douloureuses de plusieurs semaines ou mois. Parfois, les douleurs s’aggravent la nuit, lors d’efforts physiques, d’une émotion, d’un stress ou en cas d’anxiété. À l’inverse, le repos, la relaxation peuvent soulager transitoirement. Dans tous les cas, le retentissement sur la qualité de vie est important : sommeil altéré, symptômes dépressifs ou anxieux…

Quelle prise en charge ?

Les douleurs neuropathiques ne sont pas soulagées par les antalgiques habituels.

• L’objectif visé : réduire la douleur de 50 %, voire de 30 %.

• Le choix de la molécule dépend de l’étiologie, du profil du patient, des co-médications.

• Le traitement de fond de première intention repose sur :

→ des anti-épileptiques : prégabaline (Neurontin), gabapentine (Lyrica) ;

→ des antidépresseurs tricycliques : amitriptyline, clomipramine, imipramine, non recommandés chez les personnes âgées ;

→ la duloxétine (Cymbalta), antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline chez le patient diabétique ;

→ la carbamazépine (Tegretol), utilisée de longue date mais ses effets indésirables limitent son emploi, idem pour la phénytoïne ;

→ d’autres anti-épileptiques hors AMM : lacosamide, lamotrigine, lévétiracétam, topiramate… ;

→ les emplâtres de lidocaïne (Versatis), recommandés seuls ou en association à un traitement de fond dans les douleurs post-zostériennes ;

→ les antalgiques de palier II ou les morphiniques au besoin pour soulager les accès paroxystiques ou traiter les autres types de douleurs associées ;

→ le vaccin Zostavax, indiqué dans la prévention du zona et des douleurs post-zostériennes chez le patient de plus de 50 ans.

• Le traitement de fond est initié à faible dose, progressivement augmentée pour limiter les effets indésirables. L’amélioration peut nécessiter trois à quatre semaines de traitement bien suivi, voire plus. L’anti-épileptique ou l’antidépresseur est instauré pour au moins six mois. L’arrêt est envisagé après une période assez longue de réduction de la douleur à dose stable, environ six mois. Il est arrêté peu à peu pour éviter un syndrome de sevrage, voire un effet rebond.

• En cas d’efficacité partielle : augmenter les doses jusqu’au maximum toléré, ou associer deux classes. Antidépresseur?+ anti-épileptique est préconisé.

• En cas d’échec : changer de classe ou essayer une autre molécule au sein de la même classe.

• À dire aux patients : l’antidépresseur ou l’anti-épileptique est prescrit pour son action contre la douleur ; il se prend tous les jours et non à la demande. Son délai d’efficacité est parfois de plusieurs semaines et son efficacité est souvent partielle. Il ne faut pas l’arrêter trop tôt s’il marche, ni brutalement. Si des effets indésirables surviennent, ils sont réversibles à l’arrêt du traitement.

Y a-t-il d’autres traitements ?

• La neurostimulation électrique transcutanée peut être associée aux antalgiques. Elle est indiquée en cas de douleurs périphériques bien localisées. Un courant électrique de faible tension est transmis via des électrodes placées sur la peau au niveau de la zone touchée. Il crée une stimulation qui « masque » l’influx douloureux.

• L’acupuncture, la sophrologie, l’hypnose et autres techniques de relaxation, ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales, peuvent être utiles pour limiter la douleur chronique, quelle que soit son origine.

• Les systèmes implantables de neurostimulation médullaire s’adressent aux patients souffrant de douleurs neuropathiques sévères et rebelles aux traitements médicamenteux.

Lexique

→ Système nociceptif : ensemble des éléments du système nerveux (voies, récepteurs…) à l’origine de la transmission de la douleur et de son contrôle.

→ SDRC de type 1 : anciennement appelés algodystrophies, ces syndromes douloureux régionaux complexes surviennent dans un contexte post-traumatique (entorse, foulure…) mais sans lésion nerveuse.

→ Paresthésies : sensations anormales mais pas réellement douloureuses et habituellement non motivées par un stimulus extérieur. Le patient parle de fourmillements, picotements, courants d’air, d’impression d’eau chaude ou froide, de peau cartonnée… Si elles sont considérées comme désagréables, elles s’appellent dysesthésies.

Questionnaire DN4

1. La douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ?

Oui Non

1. Brûlures

2. Sensation de froid douloureux

3. Décharges électriques

2. La douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ?

Oui Non

4. Fourmillements

5. Picotements

6. Engourdissements

7. Démangeaisons

3. La douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen clinique met en évidence…

Oui Non

8. Hypoesthésie au tact

9. Hypoesthésie à la piqûre

4. La douleur est-elle provoquée ou augmentée par…

Oui Non

10. Le frottement

Si le score du patient est égal ou supérieur à 4/10, le test est positif.

Lexique

→ Névralgie cervico-brachiale : compression et irritation d’une racine nerveuse cervicale soit par une hernie discale, soit le plus souvent par une poussée inflammatoire d’une arthrose cervicale.